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Série

Expert-comptable : un métier plus proche des patrons que des chiffres

« Ces métiers mal-aimés », épisode 1 - Barbants, un peu geek, toujours la tête plongée dans les chiffres, des dingos du calcul mental… Les clichés vont bon train sur la profession des experts-comptables, ces super diplômés du secteur de l'audit et de la finance. Mais la réalité, à en écouter certains, est toute autre.

Sylvain Muller, le comptable dans la série télévisée Caméra Café.
Sylvain Muller, le comptable dans la série télévisée Caméra Café. (Capture d'écran)

Par Camille Wong

Publié le 31 mars 2021 à 07:01Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:18

C'est rarement un rêve d'enfant. Enfin, sauf peut-être pour Charles Lejeune, un expert-comptable de 32 ans à la tête du cabinet nantais Françoise Fradin & Associés. « C'est un peu cliché mais, petit, j'adorais jouer au Monopoly et à La Bonne Paye », confie-t-il. Les clichés, sa profession en regorge. Les experts-comptables seraient des geeks, toujours le nez dans les chiffres et un poil barbants. Le genre de profession, qui, en soirée avec des inconnus, a tendance à provoquer un blanc quand la question tant redoutée tombe : « Et toi, tu fais quoi dans la vie ? »

Nassim Drouaz est devenu un maître de l'esquive. « Je reste toujours très évasif, et à l'étranger je m'invente carrément une autre vie. Je dis que je suis artiste ou musicien pour éviter d'être catalogué comme une personne ennuyeuse », explique ce professionnel de 35 ans, à la tête de Far Advisory, son propre cabinet parisien qu'il a lancé début 2020. Et de conclure, tranquille : « J'ai une sorte de double identité : je parle de mon métier uniquement à ceux qui le comprennent. »

Diversité des clients

Loin d'être des ermites accros à leur tableau Excel, les experts-comptables passent plutôt leurs journées auprès de leurs clients. « Je reste rarement une journée seule dans mon bureau. C'est un métier avec beaucoup de relationnel et de pédagogie, où l'on traduit au chef d'entreprise le langage administratif et fiscal », souligne Sophie Beny, 29 ans, associée gérante d'un cabinet In Extenso à Bergerac (Dordogne). La jeune femme, qui rêvait petite de devenir institutrice, y trouve son compte.

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Les secteurs d'activité sont eux aussi très divers : médecine, artisanat, industrie, commerce, architecture… « Quand je travaillais dans un cabinet spécialisé dans l'agriculture, je suis montée dans un silo de maïs. Jamais je n'aurais imaginé faire ça dans ma vie », raconte avec le sourire Sophie Beny. « Quasiment dans toutes les rues de Nantes, je connais un restaurateur ou un artisan client de mon cabinet », relève Charles Lejeune. Et d'ajouter : « On me dit souvent que je ne ressemble pas à un expert-comptable parce que je suis souvent en Stan Smith. Jamais de ma vie professionnelle je n'ai porté de cravate », s'amuse-t-il.

Le soutien du chef d'entreprise

Alors oui, il y a bien une partie un peu « rébarbative » : il faut maîtriser la fiscalité. Une matière peut-être ardue au premier regard, mais qui est assez vivante finalement au vu des évolutions régulières en matière de taxes et d'impôts en France. Surtout, la fiscalité « est une base qui nous permet d'aller au contact des clients et d'avoir un rôle de conseil », poursuit l'experte-comptable. « On cherche à apporter des solutions et à donner des réponses concrètes pour faire bouger les choses, abonde Nassim Drouaz. Vous arrivez parfois sur des projets stratégiques avec des questions essentielles sur l'acquisition d'une entreprise, par exemple, et c'est vous qui allez conseiller. » Il n'empêche que la rigueur reste essentielle, tout comme l'amour des chiffres. « C'est un métier qui nécessite de la discipline. Un comptable bordélique, c'est une catastrophe », ajoute le professionnel.

Il faut dire que leur rôle a plus que jamais été renforcé avec la crise sanitaire. Et leur métier s'est imposé au coeur de l'économie. Entre les prêts garantis par l'Etat, le chômage partiel, les fonds de solidarités… Les cabinets et leurs experts ont tourné à plein régime. « Quand vous traversez la crise avec de fortes incertitudes, les chefs d'entreprise ont besoin de se reposer sur des personnes de confiance et nous sommes des sortes de confidents, avec un rôle de soutien important. Parfois, on fait presque partie de leur famille », glisse Pierre-Antoine Gorcy, 30 ans, associé gérant d'un cabinet In Extenso à Vesoul (Haute-Saône). « Je dis souvent qu'on est le médecin du patron : on donne des ordonnances pour guérir au mieux les maux de l'entreprise », ajoute Charles Lejeune, d'humeur métaphorique.

Des super diplômés

Les outils sont, eux aussi, loin d'être austères. « Oui, c'est un métier de chiffres, mais la profession se métamorphose. Nous avons beaucoup de données, et celles-ci sont de plus en plus automatisées, ce qui nous permet de gagner du temps sur la partie saisie pour l'orienter vers l'accompagnement et le conseil », indique Pierre-Antoine Gorcy. La crise sanitaire avec le télétravail et la concurrence des start-up sur les métiers de comptabilité ont poussé le secteur à s'adapter. « Chaque année, je suis assez friand du zéro papier : on utilise des applications sur nos téléphones et des logiciels. Le temps où l'on agrafait les frais sur une page et où l'on amenait une boîte à chaussures au chef d'entreprise est révolu », assure Charles Lejeune.

Pour obtenir le sacro-saint Graal dans la profession, à savoir le grade d'expert-comptable, il faut passer par des études tout aussi rigoureuses. La profession reste très réglementée, voire segmentée entre ceux qui ont le diplôme, et ceux qui ne l'ont pas. « C'est la seule filière dans la finance qui vous permet d'aller très très loin dans les études », glisse Nassim Drouaz. Equivalent d'un bac+8, le DEC (diplôme d'expertise comptable) permet aux professionnels de devenir associé et de certifier les comptes d'une entreprise, par exemple.

Une aisance financière et du travail à gogo

La profession compte environ 21.000 experts-comptables, pour 2,5 millions d'entreprises clientes. Le taux de chômage est inexistant. L'Ordre des experts-comptables estimait même en 2019 que 57 % des structures avaient des postes non pourvus. Ces professionnels peuvent travailler en entreprise ou dans un cabinet. Dans le premier cas, l'expert-comptable est plus autonome et mono activité, avec des horaires plus cadrés. Dans le second, les relations sont plus formelles et hiérarchisées avec des sujets plus diversifiés, où les débutants sont rapidement formés au management.

Derrière, la rémunération a de quoi être attractive. Un expert-comptable avec moins de sept ans d'expérience sur ce poste peut gagner entre 44.000 et 69.000 euros brut annuels (étude Hays) en fonction des régions. Après sept ans, les niveaux atteignent jusqu'à 96.000 euros. Reste que de l'aveu de tous les experts-comptables interrogés, c'est un métier où l'on ne compte pas ses heures si on est en libéral, et l'équilibre avec la vie personnelle n'est pas toujours simple à gérer. « Mais, même si le grand public n'en a pas toujours conscience, c'est un métier passion », glisse l'un d'entre eux.

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Série « ces métiers mal-aimés »

Ils sont experts-comptables, notaires, gestionnaires de syndic, actuaires, banquiers… et leur profession pâtit d'une mauvaise réputation. A travers leurs témoignages, nous vous proposons un nouveau regard sur leur métier et de déconstruire les clichés.

Episode 2 : Gestionnaire de syndic : un métier détesté à tort ?

Camille Wong

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