Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

L’« adaptative learning », une révolution dans l’enseignement ?

Proposer un apprentissage individualisé aux élèves grâce au numérique, telle est la promesse de l’« adaptative learning », qui serait, selon ses adeptes, de nature à transformer radicalement l’éducation. Le point à l’occasion d’In-Fine, forum international du numérique pour l’éducation.

Par 

Publié le 20 mai 2021 à 08h00, modifié le 02 juin 2021 à 19h03

Temps de Lecture 7 min.

Avec l’essor d’Internet et des applications mobiles, les innovations en matière de numérique éducatif se sont multipliées.

« Nous sommes au début d’une révolution, lance Benoît Arnaud, directeur d’Edhec Online. Le numérique éducatif et l’intelligence artificielle vont changer en profondeur notre manière d’enseigner. L’engouement que nous constatons aujourd’hui pour leurs potentialités n’a rien d’un effet de mode. » Avec l’essor d’Internet et des applications mobiles, les innovations en matière de numérique éducatif se sont multipliées : classes virtuelles, préparation aux examens, MOOC (Massive Open Online Course). Et maintenant l’adaptive learning ou l’« apprentissage adaptatif » en français. Une technologie qui a fait son entrée dans les universités américaines il y a une quinzaine d’années et qui figure aujourd’hui parmi les plus prometteuses.

Le principe : proposer un enseignement au plus près des capacités et des besoins de chacun des élèves tant pour les contenus que pour les rythmes d’apprentissage grâce, notamment, à l’analyse d’une multitude de données collectées et stockées (le big data) et aux neurosciences. Les professeurs le savent bien, pour être efficace, un enseignement doit être le plus personnalisé possible. Mais « face à une classe de 30 élèves avec des niveaux différents, ils n’ont ni le temps ni les moyens de répondre aux attentes de chacun. D’où l’intérêt de recourir à des plates-formes qui proposent à chaque jeune des cours, des exercices ou des évaluations à faire en ligne selon son rythme et ses préférences », argumente Caroline Maitrot, directrice associée de Nomad Education, une start-up spécialisée dans les applications éducatives (EdTech).

Un ajustement en temps réel

Si chaque plate-forme d’adaptive learning possède sa propre méthodologie, le plus souvent tout commence par un test de positionnement de type quiz. L’élève répond à des questions catégorisées selon leur niveau de difficultés. En fonction de son taux de réussite, l’algorithme lui soumet un parcours adapté à sa maîtrise du sujet, sa vitesse de compréhension. « Si l’élève ne réussit pas un exercice, la machine lui en propose d’autres jusqu’à ce que la compétence soit acquise », détaille Caroline Maitrot.

Le contenu de l’enseignement est censé être ajusté au plus près des besoins de l’apprenant. Il ne doit être ni trop facile ni trop difficile, sans être ennuyeux. « Dès lors que l’on met un élève face à un exercice trop facile, il est en sous-charge cognitive et s’ennuie, donc ne s’investit plus. Inversement, s’il est confronté à un exercice trop difficile, il est en surcharge, il est alors fort probable qu’il renonce », analyse Son Thierry Ly, cofondateur de Didask, une plate-forme numérique qui s’appuie sur les sciences cognitives.

L’idée d’adapter les apprentissages à chaque élève de façon automatisée n’est pas nouvelle. Déjà, dans les années 1950, le professeur en psychologie, penseur du behaviorisme, Burrhus Frederic Skinner, créait « la machine à apprendre », une sorte de grosse machine à écrire qui permettait à l’écolier de connaître la réponse à une question immédiatement après y avoir répondu. Ce mode d’apprentissage mécanique qui, selon son concepteur, devait être l’avenir de l’enseignement a fait long feu. « Il y a bien eu des tentatives d’industrialisation mais elles se sont heurtées à de telles résistances, notamment de la part des professeurs, que le projet a été vite abandonné », précise Matthieu Cisel, enseignant-chercheur à l’université de Cergy Pontoise. Et sa participation sous une forme revisitée dans le film « Les sous-doués passent le bac » n’y aura rien changé !

Adaptation permanente

Près de quatre-vingt ans plus tard, la « machine à apprendre » a cédé la place à sa version numérique : l’adaptive learning. La personnalisation des apprentissages se fait désormais de façon automatisée à partir de la collecte et de l’analyse des données laissées par les utilisateurs. « Les traces sont utilisées pour alimenter en permanence l’intelligence artificielle (IA) et améliorer la performance des programmes. Ainsi, si beaucoup d’apprenants échouent sur le même exercice, son niveau de difficulté est revu à la baisse par l’algorithme et vice-versa », détaille Matthieu Cisel. L’IA est également mobilisée pour adapter les choix de ressources pédagogiques et définir le séquencement de ces apprentissages en vue d’acquérir une compétence.

Côté enseignants, l’analyse des résultats des élèves leur permet d’avoir « une visibilité très fine de la progression de chacun, des points qui leur posent problèmes ou, au contraire, ceux qu’ils maîtrisent et sur lesquels ils peuvent passer très vite en classe », souligne Muy Cheng Peich, directrice éducation de l’ONG Bibliothèques sans frontières (BSF) qui adapte depuis 2013 les quelque 4 500 vidéos de la Khan Academy – une association à but non lucratif fondée en 2008 par Salman Khan, dont l’objectif est de « fournir un enseignement de grande qualité à tous, partout ». La jeune femme assure : « C’est lune des premières plates-formes à avoir automatisé et démocratisé la notion d’adaptive learning ».

Un avantage non négligeable dans un contexte où la massification scolaire s’est accompagnée d’une hétérogénéité du niveau des élèves. « Là, les plates-formes ont un rôle à jouer, abonde Son Thierry Ly. Mais à condition de rester attentives à la qualité des contenus des programmes et de bien garder à l’esprit leur finalité qui doit toujours être de répondre à un besoin réel. »

Un argument de vente

Face aux promesses de l’adaptive learning, les entreprises de Edtech sont nombreuses à s’être lancées sur ce marché et à en faire un argument de vente. Au détriment parfois de la qualité. « Certains programmes reposent sur des représentations erronées », regrette le dirigeant de Didask. La croyance en l’existence d’intelligences multiples en fait partie. « L’idée, encore très répandue, selon laquelle il existerait différents styles d’apprentissage – auditif, visuel… – et qu’il faut personnaliser l’enseignement en fonction du style de chacun, est fausse. C’est une théorie qui ne se vérifie pas dans les faits. » Dans le même temps, selon lui, des questions majeures, comme aider les enseignants à créer du contenu numérique de qualité, sont sous-investies. « Le problème est que beaucoup d’acteurs viennent de la technique et ne maîtrisent pas les enjeux pédagogiques. »

Le Monde
Offre spéciale étudiants et enseignants
Accédez à tous nos contenus en illimité à partir de 9,99 €/mois au lieu de 11,99 €.
S’abonner

De quoi alimenter le scepticisme de ceux qui voient dans le recours au numérique une menace pour la qualité de l’enseignement. Une réserve que les plates-formes ont d’autant plus de mal à dissiper que leur efficacité est difficile à mesurer. « Pour prouver que ces technologies sont efficaces, il faudrait pouvoir faire passer des tests à des élèves placés exactement dans les mêmes conditions et comparer les résultats obtenus selon qu’ils ont ou non profité d’un programme », pointe Matthieu Cisel. Or, il est très compliqué de mettre en place des expériences aux conditions comparables.

Pour l’heure, cette méthode est surtout adaptée aux sciences dures, aux langues ou à la lecture et au calcul. Autant de disciplines dont l’apprentissage peut être séquencé, qui repose sur un travail de mémorisation et sur l’acquisition d’automatismes. « En ce sens, la structure de progression des mathématiques est parfaite », souligne Benoît Arnaud. « L’adaptive learning est aussi très utile pour la remise à niveau ou le tutorat, ce que ne peut pas faire un enseignant en classe », ajoute Son Thierry Ly. Mais pour les matières qui font appel à des compétences d’argumentation, d’expression, de réflexion ou d’esprit critique, telles que les humanités, l’algorithme a plus de mal. « Rien ne dit que ce sera encore le cas dans l’avenir. Des logiciels proposent déjà des parcours pour améliorer l’expression écrite et même orale », remarque Matthieu Cisel.

Des appuis à la pédagogie

A en croire la directrice de Nomad, les parents d’élèves et les étudiants se montrent très intéressés par les programmes d’adaptive learning, encore plus depuis la crise du Covid et les longues semaines d’enseignement à distance. Les professeurs, eux, sont plus circonspects face à ce qu’ils jugent être une mécanisation de l’enseignement susceptible de modifier en profondeur leur rôle, voire carrément de les faire disparaître. Une crainte que les acteurs de l’EdTech balaient d’un revers de main. « Ces outils sont faits pour accompagner le professeur. Ce sont des appuis à la pédagogie. Rien d’autre », rassure Benoît Praly, cofondateur de la start-up Domoscio.

Un avis que partage Corinne Kolinsky, enseignante-chercheuse à l’université du Littoral Côte d’Opale chargée de mission en innovation pédagogique : « Tout ce qui peut aider l’enseignant dans la pratique de son métier est bon à prendre ». A condition de rester vigilants face à ceux pour qui le numérique et l’intelligence artificielle seraient la solution à toutes les difficultés. « Un professeur va chercher à comprendre pourquoi un élève choisit systématiquement la mauvaise réponse et tenter de le corriger. Une machine n’est pas capable de ce type d’analyse », nuance l’enseignante. « L’IA ne maîtrise pas non plus l’humour, l’ironie, l’empathie ni l’attention. Or, l’émotion ancre les apprentissages », avertit Guillaume Carnino, historien des sciences et enseignant à l’université de technologie de Compiègne.

Rien d’étonnant alors à ce que le principal débouché des EdTech se trouve du côté de la formation continue. Un marché plus simple à pénétrer et où la relation avec l’enseignant est moins déterminante dans la réussite des apprenants.

Cet article est réalisé dans le cadre d’un partenariat avec In-FINE, Forum international du numérique pour l’éducation.

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Contribuer

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.