Enseignement supérieur

Romain Delès : «Parcoursup crée une égalité formelle qui fait oublier des inégalités plus fondamentales»

Parcoursup, plateforme d'admission dans l'enseignement supérieurdossier
Pour le sociologue de l’éducation, la plateforme a entériné le principe du mérite scolaire, qui règne de façon hégémonique en France, allant jusqu’à occasionner une perte de sens pour les élèves.
par Marguerite de Lasa
publié le 26 mai 2021 à 21h55

Trois ans après sa mise en place, Parcoursup continue de susciter des critiques. Romain Delès, maître de conférences en sociologie à l’université de Bordeaux, a mené, avec son collègue Nicolas Charles, une étude comparative de différents modèles d’entrée dans l’enseignement supérieur en Europe. Il revient sur la spécificité du cas français.

Dans votre article, vous montrez qu’en France le modèle d’entrée dans l’enseignement supérieur est fondé sur le principe du mérite scolaire. La création de Parcoursup en 2018 est-elle en rupture ou en continuité avec ce modèle ?

Parcoursup a entériné ce principe du mérite scolaire en construisant une égalité formelle devant la sélection. Une seule plateforme traite toutes les candidatures, la procédure est uniformisée, tout le monde est, apparemment, traité de la même façon. Avant Parcoursup, il y avait toutes sortes d’exceptions, les prépas pouvaient par exemple choisir dans le haut du panier. Evidemment, la plateforme crée une égalité de façade qui contribue par ailleurs, peut-être, à faire oublier des inégalités plus fondamentales, comme l’inégalité des chances scolaires. L’origine sociale est encore déterminante dans la réussite scolaire. Or, c’est elle qui va compter dans l’attribution des places. Mais Parcoursup crée la fiction d’une égalité de départ. Une fois que tout le monde est à égalité, que le meilleur gagne, et on fabrique de la sélection.

En quoi ce critère scolaire est-il une spécificité française ?

Dans les autres pays, on diversifie énormément les critères d’entrée. En Angleterre, la sélection se fait notamment sur le personal statement, qui est un véritable dossier de motivation dans lequel on valorise la motivation et les expériences, c’est-à-dire le mérite personnel de l’élève. En Suède, on peut entrer dans l’enseignement supérieur sans avoir le diplôme de fin de scolarité du secondaire, en faisant notamment valoir son expérience professionnelle. En Allemagne, dans les filières médicales ou paramédicales, on entre avec le temps d’attente (Wartezeit). Il suffit d’attendre suffisamment longtemps et, par persévérance, on intègre les filières qu’on a choisies. En France, les établissements ne regardent pratiquement que les notes. Le mérite scolaire règne de façon hégémonique.

En faisant intervenir le classement systématique des dossiers même dans les filières non sélectives, Parcoursup n’a-t-il pas transformé le modèle d’entrée à l’université ?

Parcoursup n’a pas exactement rajouté de sélection par rapport au modèle précédent : la plateforme attribue plus de places dans l’enseignement supérieur qu’Admission post-bac (APB), l’ancien système d’accès au supérieur. Quand une formation n’est pas sous tension, on ne peut pas dire qu’elle est sélective. Certes, elle organise un classement systématique des candidatures, mais tous les élèves auront une place, car les capacités d’accueil ne sont pas limitées. Dans la très grande majorité des cas, le classement n’induit pas de sélection. Les filières en tension l’étaient déjà dans APB, sauf qu’au lieu d’opérer un classement, on réglait cela par tirage au sort.

Quels sont les autres effets de ce classement systématique ?

Cela retarde le moment où les élèves sont choisis, ce qui pose de réels problèmes de fonctionnement. Dans une classe, les meilleurs élèves vont recevoir leurs affectations très tôt dans le processus. Les autres devront attendre, avec la pression et les contraintes que cela suppose. Ce n’est pas une manière très positive d’intégrer l’enseignement supérieur. In fine, Parcoursup attribue plus de places, mais au prix d’un retardement de l’affectation pour les élèves les plus fragiles.

On a beaucoup parlé de l’effet «marché» de Parcoursup, comme une interface entre les demandes des élèves et les offres de formation. Qu’en pensez-vous ?

Ce marché est entaché de nombreuses imperfections : les formations reçoivent de très nombreuses candidatures et n’ont souvent pas les moyens de les traiter. Les algorithmes locaux, c’est-à-dire la manière avec laquelle sont classées les candidatures, ne sont pas connus des élèves : comment peuvent-ils calibrer leurs demandes ? Enfin, ils peuvent très bien être classés 2 200e sur 2 500 candidatures et pourtant être pris à la fin. Quel sens cela a-t-il pour un élève ? A vouloir formaliser une procédure d’accès unique et soi-disant plus égalitaire, Parcoursup a probablement produit des inégalités de lecture de la procédure et a occasionné une véritable perte de sens pour les élèves.

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