« Remise en cause de l’égalité républicaine », « méritocratie en péril », « sélection au rabais »… Rarement réforme éducative aura autant enflammé le débat. Au printemps 2001, la procédure des conventions éducation prioritaire (CEP) élaborée par le directeur de Sciences Po de l’époque, Richard Descoings, et trois anciens élèves (Cyril Delhay, Madani Cheurfa et Vincent Tiberj) envahit les journaux et l’arène politique. La voie spécifique que la prestigieuse école veut réserver à des élèves issus d’une zone d’éducation prioritaire (ZEP) brise le tabou du concours à la française, dont Sciences Po était l’étendard.
Décidé à « démanteler le trafic de la démagogie », le syndicat étudiant de droite Union nationale interuniversitaire saisit les tribunaux administratifs, en vain. Le 17 juillet 2001, une loi, approuvée par le Conseil d’Etat, conforte Sciences Po et lui laisse la main pour mener une expérience inédite avec sept lycées partenaires. Vingt ans plus tard, ils sont au nombre de 166.
Dans cette ambiance électrique, Ana Stephan se présente à son oral d’admission le 10 septembre 2001. Ses professeurs du lycée Guy-de-Maupassant à Colombes (Hauts-de-Seine) ont présélectionné la jeune fille, brillante élève arrivée de Roumanie à l’âge de 8 ans sans parler un mot de français, pour lui donner une chance d’intégrer l’école de la rue Saint-Guillaume où seuls 0,5 % des nouveaux entrants ont des parents ouvriers, 2 % employés et 2,5 % commerçants ou artisans.
A la fin de l’échange, Richard Descoings soumet à la candidate un article du Parisien paru la veille sur le sujet. « Il m’a dit : “Mademoiselle, vous vous rendez compte que Le Parisien annonce déjà votre victoire ? A-t-il raison d’être si confiant ?”J’étais totalement déstabilisée, j’ai pensé qu’il ne fallait pas paraître trop présomptueuse, relate Ana Stephan. J’ai répondu qu’il valait mieux être prudent et que cet article ne l’était peut-être pas suffisamment. » Le rouge lui monte aux joues lorsque son examinateur lui rétorque qu’être toujours prudent est la meilleure façon de ne jamais rien faire. « Ce n’est qu’a posteriori que j’ai compris le sens de sa phrase : si Richard Descoings n’avait pas impulsé l’ouverture aux lycées ZEP, celle-ci n’aurait jamais eu lieu », analyse Ana.
« Un côté braconnier »
Pour Aurélia Makos, en terminale au lycée Saint-Exupéry de Fameck (Moselle), « Sciences Po est arrivé comme un cheveu sur la soupe » en l’an 2000. « Il y a eu une réunion d’information, on ne savait pas trop ce que c’était », se rappelle-t-elle. Les émissaires de l’école font face à quelques jeunes qui, au mieux, n’en ont qu’une idée très vague. « Il y avait un côté braconnier, on pouvait se retrouver à présenter les conventions éducation prioritaire juste après une information sur une bourse du Rotary…, sourit Vincent Tiberj, qui travaille aujourd’hui à Sciences Po Bordeaux. Notre mission n’était pas vraiment officielle puisque les CEP ont été créées dans un coin, sans le conseil d’administration et sans la communauté enseignante. »
Il vous reste 59.67% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.