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Deux ans après la réforme du lycée, les "meilleurs élèves recréent la filière S"
La phase d'admission de Parcoursup a débuté le 27 mai.
© Léo Pierre / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Deux ans après la réforme du lycée, les "meilleurs élèves recréent la filière S"

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La phase d'admission de Parcoursup a débuté le 27 mai. Pour la première fois, les élèves de terminale n'étaient plus issus des traditionnelles filières S, ES et L, remplacées par des enseignements de spécialité à la carte. Si les combinaisons possibles sont multiples, de nombreux lycéens tentent de reproduire la série S, espérant garder le plus de portes ouvertes vers l'enseignement supérieur.

Une page s’est tournée. Avec l’arrivée en terminale de la première cohorte qui bénéficie de la réforme du lycée général, les traditionnelles filières S, ES et L ont laissé leur place à des enseignements de spécialité. Mais ont-elles vraiment disparu ? À travers leurs choix de matière, certains élèves s’emploient-ils à les reconstituer ? Marianne se penche sur la question.

C’est l’un des principaux points de la réforme du lycée, entrée en vigueur en 2019 en classe de première : la suppression en voie générale des filières ES, S et L. Outre un tronc commun, les voici remplacées par des enseignements de spécialité. Les élèves doivent en choisir trois en première et en conserver deux d’entre eux en terminale. Parmi la liste : histoire géographie, géopolitique et sciences politiques (HGGSP), mathématiques, physique-chimie, sciences économiques et sociales (SES), littérature, langues et cultures de l’Antiquité, arts, etc… Objectif affiché à l’époque du lancement de la réforme par Jean-Michel Blanquer : « offrir plus de choix aux élèves, éviter les hiérarchies artificielles entre les séries. »

Incertitudes

Sauf que, visiblement, le choix des enseignements de spécialité ne semble pas moins relever du dilemme pour certaines familles que ne l’était celui des séries. Surtout pour la première cohorte, arrivée en terminale cette année, pour qui les attentes des filières de l’enseignement supérieur ne sont pas toujours très claires. « Nous ne sommes pas sûrs à 100 % de la manière dont vont s’opérer les sélections, notamment en fonction des spécialités choisies par les élèves.» s’inquiétait dans Marianne Jean-Rémi Girard, président du Snalc, au lendemain du début de la phase d’admission 2021 de Parcoursup. Pas évident en particulier de trancher pour les deux enseignements à conserver en terminale. « Tant qu’on est sur la triplette on peut avoir des choix assez ouverts, esquisse Claire Krepper, secrétaire nationale du SE-Unsa, alors que dès qu’on arrive à la doublette de terminale les choix se resserrent. »

Alors, pour s’assurer une place dans les cursus sélectifs et ne pas prendre trop de risques, les élèves ont-ils eu tendance à reconstituer les filières traditionnelles à travers leurs choix d’enseignements de spécialité ? « Les élèves se sont emparés des possibilités que leur offre la réforme, assure une communication du ministère de l’Éducation nationale, grâce à la liberté de choix qu’elle leur propose au cycle terminal, ils ont diversifié leurs parcours de formation de façon très sensible par rapport à l’ancienne logique des séries. » Pour preuve, selon la rue de Grenelle, les 400 combinaisons de trois spécialités recensées en première, et les 54 formules de « doublettes » comptabilisées en terminale.

Les plus favorisés surreprésentés dans les sciences

Mais un examen plus poussé des données révèle une tendance chez une part non négligeable d’élèves à reconstituer un noyau scientifique pas si éloigné de ce qu’était la filière S. Ainsi, en 2019, en première, la triplette la plus fréquente, plébiscitée par environ 26 % des élèves, était « mathématiques, physique-chimie, sciences de la vie et de la terre (SVT) ». Loin devant « HGGSP, SES et mathématiques » (6,8 %) et « HGGSP, SES et langues, littérature et culture étrangère » (6,5 %). En terminale en 2020-2021, c’est la doublette « mathématiques, physique-chimie » qui parvenait en tête avec 20 % des voix. « Le choix de spécialité maths-physique-svt est assez massif dans mon lycée » confie Nicolas Pigère, professeur de mathématiques à Sélestat (Bas-Rhin), « les meilleurs élèves recréent la filière S ».

Les meilleurs mais peut-être, aussi, les plus favorisés. Une note du ministère parue en mai dévoilait que « 46 % des élèves qui font des mathématiques en enseignement de spécialité en première et en terminale sont d’origine sociale très favorisée (contre 39 % parmi l’ensemble des élèves de première et de terminale générale) ». D’après cette même note, les élèves très favorisées sont surreprésentés (plus de 50 %) en « mathématiques, physique, SVT » ou « HGGSP, mathématiques, physique-chimie ». À l’inverse, « les élèves d’origine sociale moins favorisée » apparaissent « plus présents dans des combinaisons triplette-doublette plus rares et plus littéraires » comme « HGGSP, humanités littérature philo, SES » ou « HGGSP, SVT, SES ». Au risque d’un lycée à la carte agissant comme un marqueur social. D’autant que d’un établissement à l’autre, les options proposées peuvent varier. Nicolas Pigère s'inquiète lui que, reléguées à un enseignement de spécialité, de moins en moins d'élèves continuent de faire des mathématiques en première et en terminale.

« 20 ans de fracture sociale »

Un dernier critère de distinction, genré, semble s’inviter. D’après le ministère, entre la première et la terminale, 50 % des filles arrêtent la spécialité mathématiques, contre 30 % des garçons.

Nécessairement la faute à la réforme ? Gwenaël Surel, secrétaire général adjoint du Snpden Unsa appelle à la prudence vis-à-vis des conclusions hâtives, en particulier après une année que la pandémie a rendue si particulière. « Il y a certainement une reconduction de la filière S mais il ne faut pas oublier qu’à une époque 50 % des élèves de la voie générale allaient en S » pointe celui qui est également proviseur d’un lycée à Nantes. « Les tireurs d’élite du bac actuel ont la mémoire courte, ça ne gênait personne il y a quelques années de n’avoir que des fils de cadres sup dans certaines classes S. On ne va pas annihiler 20 ans de fracture sociale dans l’éducation nationale en une année. On a réussi la massification, pas la démocratisation. » Claire Krepper espère, elle, que le tronc commun qui occupe « plus de la moitié du temps des élèves » puisse avoir un « impact positif » en regroupant les lycéens quels que soient leurs choix d'enseignements de spécialité.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne