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Entretien

Réforme de la fonction publique : «Il y a un problème de méthode et une faiblesse de la concertation»

Fonction publiquedossier
Porte-parole de Nos Services publics, Arnaud Bontemps estime qu’une réforme est nécessaire, mais regrette le manque de réflexion sur les objectifs de la fonction publique et craint une remise en cause du statut de ses agents et de ses cadres.
par Amandine Cailhol
publié le 3 juin 2021 à 6h16

Né en avril, le collectif Nos Services publics regroupe une centaine d’agents et cadres de la fonction publique désireux de «reprendre la parole et décrypter de l’intérieur les dysfonctionnements de l’Etat». Pour Arnaud Bontemps, fonctionnaire qui a notamment travaillé pour l’Assurance maladie en Seine-Saint-Denis, et porte-parole du collectif, la réforme de l’Etat portée par le gouvernement élude de nombreuses questions et ne permettra pas de répondre aux difficultés rencontrées par les administrations.

La réforme présentée mercredi est-elle un début de remède aux dysfonctionnements de l’administration ?

Il y a des réformes à mener, c’est nécessaire. Mais il y a un problème de méthode. Les éléments de réponse ne peuvent pas venir que du gouvernement. Les difficultés auxquelles font face les agents des services publics sont beaucoup plus structurelles, liées à des mécanismes de fonctionnement, des logiques excessivement hiérarchiques, une culture de l’obéissance qui empêchent de faire remonter les problèmes. On ne change pas cela par une ordonnance. Il y a une faiblesse de la concertation d’abord avec les premiers concernés, mais aussi au sein du Parlement. C’est une question de société, il serait normal d’en débattre en tant que société.

La refonte de l’ENA est-elle au moins une piste intéressante ?

La question de fond n’est toujours pas posée : dans quelle direction veut-on amener l’administration ? Que souhaite-t-on enseigner aux cadres des services publics demain ? Dans les grandes lignes, donner moins de poids au classement de l’ENA est certainement souhaitable, mais les lacunes de la réforme sont dans ses objectifs trop peu débattus. Et dans ces choses qu’on n’interroge pas, comme le moule, y compris politique et idéologique, que représentent les préparations aux concours administratifs ou encore l’éthos qui est véhiculé par l’ENA.

Parce que si on ne change pas la formation des hauts fonctionnaires, on ne changera pas l’administration…

C’est vrai. Mais ce n’est pas suffisant : il doit aussi y avoir des réponses dans les moyens mis à disposition. Mais surtout, formation et moyens sont conditionnés par les mécaniques internes, qu’il convient d’identifier et de modifier. L’austérité n’est pas seulement un coup de rabot sur nos dépenses, c’est aussi un moule dans lequel on nous apprend à penser. Et nous avons, avant tout, besoin de représentants politiques qui portent une vraie réflexion sur le service public et ses agents.

Quel regard portez-vous sur l’idée, défendue par le gouvernement, de décloisonner la haute administration, en faisant disparaître notamment la logique de corps au profit d’une logique de métier ?

Sur le papier, il y a plein de grandes idées intéressantes : l’harmonisation et le renforcement de l’équité, le développement de la mobilité, le fait de rapprocher les ministères des citoyens. Mais sur le terrain, quand on voit par exemple le gouffre entre conception et exécution sur le sujet de la politique vaccinale, on a un doute sur le fait que ces slogans soient suivis d’effets. Il y a aussi un point de vigilance : certains syndicats craignent une remise en cause de l’indépendance des inspections générales, avec la crainte, en toile de fond, qu’elle ouvre le chemin à une remise en cause plus globale de la protection statutaire des fonctionnaires et de la capacité de poursuivre l’intérêt général. Ce n’est pas tout à fait abstrait.

Pourquoi ?

A la différence d’une entreprise, le service public a cette ambition d’essayer de répondre aux besoins de la population considérés comme relevant de l’intérêt général. Cela implique par exemple un regard différent, un rapport distinct à la hiérarchie et aux citoyens. Or, la précédente réforme de la fonction publique, sous ce même gouvernement, qui mythifie la gestion des ressources humaines dans le privé, a très largement facilité le recours aux contractuels à tout niveau de l’administration. Non sans conséquences sur cette spécificité du service public et notre capacité à accomplir nos missions.

Quelle serait une véritable réforme de l’Etat ?

Elle doit poser la question des objectifs avant celle des moyens. Ce n’est pas qu’une figure de style. La question, c’est à quoi sert le service public et quels sont ses besoins aujourd’hui ? Il est nécessaire de penser le temps long, a fortiori dans une période où on est pris par l’urgence sanitaire et où l’on voit la crise climatique à notre porte. Il faut également repenser les mécanismes de démocratie et l’association des citoyens dans la décision, y compris au niveau très local. Ensuite on pourra déterminer les moyens.

La défiance envers les institutions publiques monte en flèche. Comment l’expliquer ?

Cette défiance vise l’administration mais aussi les politiques. D’ailleurs, les citoyens ne font pas toujours la différence entre les deux. Au sein même de l’Etat, on observe une défiance croissante des agents à l’endroit de leurs dirigeants. Il n’y a qu’à voir la cassure dans l’éducation nationale entre les agents de terrain et le ministère de l’Education… Je ne suis pas certain que cette réforme soit réellement une solution car elle s’accompagne parfois d’une petite musique qui laisse entendre qu’on réformerait la fonction publique parce qu’elle n’a pas su gérer la crise sanitaire. Or il est important de rappeler que dans une démocratie, c’est le politique qui fixe le cap. Les fonctionnaires, eux, ne font que tenir la barre.

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