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Série

Huissier : un métier humain plus proche du médiateur que du cow-boy

« Ces métiers mal-aimés », épisode 5 - La voie est étroite pour devenir huissier de justice (appelés désormais « commissaire de justice »), mais ses missions sont ensuite très larges, s'étendant aujourd'hui au-delà du rôle assigné par le ministère. Et loin d'une image froide et austère.

Toc toc toc.
Toc toc toc. (iStock)

Par Fanny Guyomard

Publié le 3 juin 2021 à 11:58Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:18

Un homme voûté comme un vautour frappe à la porte d'une modeste demeure pour vampiriser ses locataires endettés en leur prenant leurs derniers bijoux de famille. Dur cliché ! « Cela m'arrive très rarement de prendre du mobilier de forte valeur, hormis les véhicules », corrige d'emblée Maître Nicolas Laronde-Fournier, huissier de justice de 41 ans à Clermont-Ferrand.

Sa première mission est d'exécuter les décisions de justice (comme une expulsion de logement) et de porter à la connaissance du justiciable un recours de justice (pour signifier un jugement de divorce par exemple). Le seul métier à pouvoir remplir ces missions-là. Aujourd'hui, un huissier travaille aussi avec des particuliers et des entreprises pour gérer des impayés à l'amiable, donner des conseils juridiques (comment déposer un brevet par exemple, protéger ses mails…), constater une diffamation, un plagiat ou une concurrence déloyale sur internet, et même d'administrer des immeubles… « Un métier intéressant car très transversal, qui touche par exemple au droit de la propriété - dans le cas d'un litige avec un voisin - ou au droit des biens. On fait des constats avant et après des travaux, en utilisant parfois un drone », complète l'officier ministériel.

Ce métier a aussi une forte dimension sociale : « On rencontre des personnes très différentes. Cela demande des qualités humaines, de la diplomatie, de l'empathie, décrit Orlane Gautheron, 36 ans, huissière de justice à Paris. On a un rôle de médiateurs, en commençant par faire retomber l'angoisse seulement générée par le fait de dire 'bonjour je suis huissier' ».

Rarement recours aux forces de l'ordre

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Car toquer à la porte d'une personne pour lui apporter une mauvaise nouvelle n'augure pas forcément d'un bon accueil. Toutefois, « je me suis rarement fait insulter, relativise Maître Laronde-Fournier. Je ne suis jamais agressif, car à la violence répond la violence, et je reste sur mon objectif : trouver une solution. Prendre un véhicule peut être frustratoire, et on essaie également de comprendre si la personne en a absolument besoin pour se déplacer. » L'huissier doit être pondéré et capable d'analyser rapidement une situation. « Quand il y a de la tension, il faut trouver le mot et la posture justes. » Il se souvient par exemple d'un constat d'inventaire et de répartition des meubles où l'un des divorcés jetait le mobilier par la fenêtre…

Cet effort de communication passe aussi par le fait d'adopter la bonne tenue : on évitera ainsi le costume-cravate, parfois trop repérable. « Dans certains quartiers, j'enlève le macaron sur ma voiture et j'arrive tôt le matin », raconte celui qui a eu trois fois recours aux forces de l'ordre en 17 ans. Orlane Gautheron a récemment revêtu un équipement anti-plomb pour faire des constats sur la Tour Eiffel (prendre en photo et en vidéo les filets de sécurité, des dégâts de toiture…).

Selon un sondage Ifop pour l'Union nationale des huissiers de Justice de 2019, 83 % des Français considéraient cette profession comme utile au fonctionnement de la société. On touche là le point qui plaît le plus à Nicolas Laronde-Fournier : « Lorsque les gens me remercient, qu'ils comprennent que je joue mon rôle avec justesse, sérieux et empathie ».

Jusqu'à plus de 8.000 euros par mois

Son métier n'était pas une vocation, comme pour Orlane Gautheron : « C'est venu pendant mes études de droit. Je voulais sortir de l'abstrait des procédures, aller sur le terrain. » La moitié du temps dedans, l'autre dehors, ces « pompiers du droit » peuvent être appelés en urgence pour un constat. « C'est un métier punchy ! », résume celle qui est également cheffe d'entreprise, associée à d'autres huissiers de son étude (le nom donné au bureau de commissaire de justice).

Nicolas Laronde-Fournier évalue sa semaine de travail à une cinquantaine d'heures, en couvrant quatre départements. Certains huissiers sont invités sur les plateaux télé pour vérifier la conformité du tirage au sort. Nicolas Laronde-Fournier, lui, a attesté une fois d'un record mondial : le nombre de tonneaux faits par un véhicule (actuellement détenu par un Français qui peut s'enorgueillir du nombre de 126 en moins de 17 minutes).

En 2022, une réforme fusionne les métiers d'huissier et de commissaire-priseur, pour donner naissance aux commissaires de justice. Une formation de plus, pour ceux qui en suivent toute leur carrière afin de se mettre constamment à jour. Il faut d'emblée aimer les études, car le chemin pour décrocher le titre est rude : master de droit (ou un diplôme équivalent en économie, comptabilité ou gestion) en poche, il faut intégrer l'Institut national de formation des commissaires de justice (Incj) en réussissant des épreuves écrites et orales (question d'actualité française ou de culture générale et un peu d'anglais). Seulement cinquante et un admis en 2021 sur 309 candidats. Les lauréats suivront deux ans d'enseignement théorique, en parallèle d'un stage dans une étude. En 2020, ils étaient 3.355 huissiers de justice en France.

A noter que la profession se féminise de plus en plus. Concernant la rémunération, certains gagnent un petit peu plus que le Smic, nous dit-on, mais les huissiers de justice salariés (34 ans en moyenne) gagnent généralement un peu plus de 4.000 euros brut par mois. Les tutélaires (le chef de l'étude, qui possède une charge) peuvent gagner plus de 8.000 euros.

SERIE « CES METIERS MAL-AIMES »

Ils sont experts-comptables, notaires, gestionnaires de syndic, actuaires, banquiers… et leur profession pâtit d'une mauvaise réputation. A travers leurs témoignages, nous vous proposons un nouveau regard sur leur métier et de déconstruire les clichés.

Episode 1 : Expert-comptable : un métier plus proche des patrons que des chiffres

Episode 2 : Gestionnaire de syndic : un métier détesté à tort ?

Episode 3 : Notaire : un métier stimulant qui va au-delà de la rédaction d'actes

Episode 4 : Inspecteur des impôts : un métier de terrain moins ingrat qu'on pourrait le penser

Fanny Guyomard

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