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L’enquête

Echec scolaire : ils ont redoublé plusieurs fois et s'en sont très bien sortis

ENQUÊTE // On les a montrés du doigt, on les a stigmatisés, on les a orientés vers des filières par défaut. Aujourd'hui, les « multi-redoublants » nous livrent leur vécu - que ce soit une aberration, un échec ou un déclic pour chacun d'entre eux. L'occasion de faire, en cette fin d'année scolaire le point sur le cadre actuel du redoublement en France.

Celles et ceux qui ont redoublé plusieurs fois, l'ont souvent vécu comme un passage humiliant. S'ils s'en sont remis, ces 'échecs' ont coloré ensuite leurs parcours atypiques.
Celles et ceux qui ont redoublé plusieurs fois, l'ont souvent vécu comme un passage humiliant. S'ils s'en sont remis, ces 'échecs' ont coloré ensuite leurs parcours atypiques. (iStock)

Par Marion Simon-Rainaud

Publié le 9 juin 2021 à 19:15Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:18

« On ne promet pas un avenir radieux aux élèves redoublants ! » Axel, 28 ans, a redoublé deux fois pendant sa scolarité : sa troisième et sa terminale. Mais il a finalement eu son bac à 20 ans au terme d'un parcours cabossé, ballotté dans plusieurs établissements et catégorisé comme « cancre ». Une fois son bac en poche, il est parti étudier la communication au Canada, il a obtenu sa licence et puis, il est revenu à Paris pour décrocher son master à l'université d'Assas, avant d'être recruté au service communication d'une institution publique. Il n'a pas passé sous silence son parcours scolaire pendant ses entretiens, au contraire il en a fait un atout en expliquant pourquoi il avait redoublé et comment il avait rebondi.

Son parcours de « warrior » n'a pas toujours été facile à porter. Il se souvient des moments « d'humiliation » de « dégringolade », voire de « néant ». « Le redoublement, je l'ai vécu comme un échec foudroyant. Tu es jugé par tout le monde, ta famille, tes potes, tes profs, raconte le jeune homme. Parfois, j'ai baissé les bras. Je me disais : ‘Voilà, tu n'es pas assez bon pour être là ! ' » Il a ressenti une forme de « rejet » de la société avant de trouver de nouvelles opportunités. Avec le recul, il l'analyse comme « une piqûre de rappel », et non plus comme une « sanction ». « Le vrai souci en fait, c'est la stigmatisation. Il faut faire davantage de pédagogie auprès des redoublants, mais aussi aux autres élèves, aux profs et aux parents ! » Maintenant, il se dit « fier » de ses redoublements. Sans, il ne serait pas devenu « la personne qu'il est aujourd'hui ».

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Redoubler ou comment rebondir

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Pour d'autres, les redoublements successifs ont été l'occasion de « traîner » pour « trouver leur voie ». Quand Marie-Sophie, 31 ans aujourd'hui, a redoublé la première fois, c'était « la fin du monde ». Mais, rater son bac ensuite lui a permis de prendre un peu plus son temps pour réfléchir à son avenir. Une fois l'examen en poche, elle intègre une licence Technologies à la fac d'Angers. Une formation orientée vers le monde du travail, pendant laquelle des professionnels interviennent chaque semaine pour raconter leurs métiers. Un jour, un ingénieur en bâtiment explique devant elle ce qu'il fait de ses journées, « avec des étoiles dans les yeux », c'est la révélation ! Elle entre en école d'ingénieurs via une passerelle, et finit major de promo. « Mes parents n'ont rien compris ! » s'amuse-t-elle. Cinq ans après, elle est la mieux payée et la plus épanouie de ses copines de lycée. Marie-Sophie vient de quitter son poste de responsable technique dans une des foncières les plus importantes d'Europe pour un autre acteur du secteur pour lequel elle a été chassée et avec une augmentation de salaire de 40 %.

Au lycée, aucun de ses profs n'aurait parié sur un tel dénouement. « On me disait clairement de regarder les formations de CAP Esthétique comme à toutes les jeunes filles en échec scolaire. Personne ne m'a demandé si ça m'intéressait ! » Alors que les bons élèves sont poussés à ne pas choisir, le plus longtemps possible, pour se garder des « portes ouvertes », les mauvais, eux, sont orientés vers des filières courtes et professionnalisantes. La jeune femme n'en veut pas aux profs mais au système conçu de telle façon qu'il est impossible de « détecter les talents ». Pour elle, les élèves doivent entrer dans le moule, personne n'a le temps pour du cas par cas. Car si on y rentre pas, tant pis. Preuve en est : près d'un tiers des enfants à haut potentiel intellectuel (HPI) , dits surdoués, se retrouve en échec scolaire.

Une menace ou un épouvantail

Les profils d'Axel ou de Marie-Sophie correspondent à celui d'une génération de jeunes Français qui a suivi sa scolarité dans les années 1980 et 1990 - période pendant laquelle les redoublements sont très répandus dans les écoles françaises. Les profs en menacent les élèves à la moindre mauvaise note, les parents s'en servent comme un épouvantail. Retaper telle ou telle classe peut s'expliquer par plusieurs facteurs : une insuffisance de niveau, une stratégie d'orientation ou (plus rarement) des problèmes extérieurs - famille, déménagement, accident, etc. Quelle qu'en soit la raison, quand cela arrive, c'est donc une punition, voire une tare. Mais est-ce utile pour l'enfant ou l'adolescent ?

« Au mieux, le redoublement n'a pas d'effet, mais il s'avère dans bien des cas nocif pour la réussite scolaire des élèves, pour le développement de leur estime de soi et d'autres mesures sociopsychologiques », tanche le rapport du Centre national d'étude des systèmes scolaires (Cnesco) publié en 2015. Les rares effets positifs obtenus s'inscrivent « à court terme dans des contextes très particuliers ». En revanche, « le redoublement a toujours un effet négatif sur les trajectoires scolaires et demeure le meilleur déterminant du décrochage. A niveau égal en fin de troisième, les élèves 'en retard' obtiennent de moins bonnes notes que les élèves 'à l'heure', sont moins ambitieux que ceux-ci et sont plus souvent orientés en filière professionnelle », établit le rapport.

Le stress des exams

Certains bravent le destin qui leur est assigné. Pendant sa scolarité entre le Sénégal et la France, Arnold, 25 ans, a redoublé deux fois, en CE1 et en 1re « pour passer en S », puis raté deux fois son bac. Au total, il a accumulé quatre ans de retard. Il obtient finalement son bac ES, au troisième essai, après avoir suivi une ultime Terminale au sein d'une classe spéciale composée de multi-redoublants, au lycée polyvalent Newton de Clichy. Pourtant, le traumatisme est si installé que le jour du bac il stresse. « J'avais une pression de malade. » Alors qu'il a de bonnes notes tout au long de l'année, il le décroche sur le fil. « Tu te dis que tu l'as raté deux fois, pourquoi pas trois ? »

Ces « épreuves » ont forgé sa personnalité. « J'ai toujours été sur la sellette. » Il ne sait plus combien de fois il a entendu « faites vos preuves », à combien d'autres il a « promis » de faire des efforts, de travailler deux fois plus que les autres. Journaliste diplômé (cette fois « du premier coup », insiste-t-il) il a créé son propre média indépendant baptisé L'Echo des banlieues et trouvé sa voie. Pour André Tricot, professeur d'université en psychologie à l'Ecole supérieure du professorat et de l'éducation Midi-Pyrénées, spécialiste du redoublement : « C'est un schéma psychologique classique dans les récits autobiographiques. Pour se construire, on insiste sur les moments difficiles et la façon dont on les a surmontés. »

L'école m'a traumatisé. J'ai obtenu ma licence plus par orgueil que par nécessité.

Maxime, multi-redoublant, 28 ans

Ceux qui n'acceptent pas la fatalité du redoublement ont « la chance » de développer « un esprit de revanche » qui les porte pour la suite, selon le professeur. C'est le cas de Maxime, 28 ans, en cours de reconversion pour devenir développeur back-end : « L'école m'a traumatisé. Je suis retourné à la fac de lettres pour me prouver que je n'avais pas le niveau que me renvoyait l'institution. J'ai obtenu ma licence plus par orgueil que par nécessité. » Même s'il est toujours « amer » il a envisagé de devenir prof dans le secondaire. Une gageure pour un multi-redoublant ! Finalement, le modèle d'éducation l'a « dégoûté vu de l'intérieur ». C'est pourquoi après plusieurs années à l'étranger entre l'Australie, l'Allemagne et le Japon, où il a connu d'autres manières d'enseigner, il a décidé de se former en ligne au développement informatique. « Au moins dans ce domaine, on ne te demande pas de diplôme, quand tu es bon, tu es bon. »

Interdit puis réintroduit

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Mais, pour refuser une proposition de redoublement, encore faut-il oser. Or, il est prouvé que les enfants issus de milieux modestes sont plus susceptibles de redoubler car les parents l'acceptent plus facilement. « C'est donc la double peine pour ces élèves ! » souligne André Tricot. En 2012, à niveau scolaire similaire, les élèves défavorisés étaient 1,5 fois plus susceptibles de redoubler que les élèves favorisés, selon l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE). Dernier argument avancé par les détracteurs du redoublement : au niveau financier, chaque année, le redoublement coûte à la France 2 milliards d'euros.

Déclaré « inefficace », « inégalitaire » et « coûteux », le redoublement a donc été interdit en 2014 par la loi pour la refondation de l'école par le gouvernement Hollande en maternelle et en primaire - sauf cas exceptionnel - et fortement ralenti au collège et au lycée. Toutefois, cette possibilité a de nouveau été introduite en 2017 par l'actuel ministre de l'Education, Jean-Michel Blanquer, du CP à la Terminale.

A l'inverse, il existe des pays où l'on ne redouble jamais : la Norvège, le Japon ou encore la Malaisie, d'après l'OCDE. Néanmoins, la tendance en France est structurellement à la baisse : en 2003, 40 % des élèves de 15 ans avaient au moins redoublé une fois, alors qu'ils n'étaient plus que 28 % en 2012, et 22 % en 2015. Aujourd'hui, les chiffres les plus récents compilés par le ministère montrent que parmi les élèves scolarisés en troisième à la rentrée 2019, seuls 2 % ont redoublé en 2020. Il n'existe cependant pas de chiffres globaux comparables à ceux publiés il y a six ans maintenant.

Le taux de redoublement dans le secondaire dans les filières générale et technique (GT) est nettement à la baisse en France depuis plusieurs décennies.

Le taux de redoublement dans le secondaire dans les filières générale et technique (GT) est nettement à la baisse en France depuis plusieurs décennies.DR

Malgré tout, le redoublement reste le principal levier face aux difficultés scolaires d'un élève dans l'inconscient collectif. « Il existe un consensus partagé entre les parents et les enseignants sur le redoublement puisque c'est une ‘mesure spectaculaire'. On a l'impression de ‘faire quelque chose' » pointe le spécialiste André Tricot. Le chercheur belge Hugues Draelants dans un article scientifique « Les fonctions latentes du redoublement », publié en 2008, abonde : « S'attaquer au redoublement c'est donc à la fois heurter 'le bon sens' des enseignants et de nombreux parents qui jugent la méthode efficace. »

Y a-t-il des alternatives au redoublement ? « La mesure la plus efficace reste l'accompagnement tout au long de l'année, et le climat de confiance qui s'instaure entre le professeur et son élève, pointe André Tricot. Il y a aussi la piste des 'summer schools', des camps d'été de soutien scolaire, de plus en plus développés à l'étranger. » Il existe également des programmes spéciaux, à l'initiative des enseignants (qui s'engagent bénévolement), pour aider les multi-redoublants au bac, qui veulent quand même le passer. Mais, ce soutien ultra-ciblé reste très marginal. « Former les professeurs à détecter les élèves en difficulté pour mieux les aider en adaptant leur rythme d'apprentissage est à considérer », suggère de son côté Gilles Demarquet, président de l'Association des parents d'élèves de l'enseignement libre (Apel) qui souhaite absolument éviter les redoublements. Il souligne également qu'il est primordial d'établir un dialogue « même quand tout va bien » avec l'équipe pédagogique.

Alors si on vous propose un redoublement, « la discussion peut s'amorcer sereinement et il est possible de comprendre ensemble ce qui est mieux pour l'élève », recommande le parent d'élève. Quand on demande aux redoublants s'ils le conseilleraient, les avis sont tranchés : Axel répond sans tergiverser « oui, ça peut aider », Maxime rétorque qu'il mettrait de toute façon ses enfants dans le privé et refuserait tout redoublement. Marie-Sophie voudrait que l'on étudie à fond toutes les possibilités, le redoublement devant être l'option en dernier ressort. Il y a un point qui fait cependant l'unanimité : tous et toutes veulent changer le regard que l'on porte sur les redoublants.

Marion Simon-Rainaud

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