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Ils ont fait le lycée autogéré de Paris, voilà ce qu'ils sont devenus (avec ou sans bac)

Ils l'ont connu par le bouche-à-oreille, des conseillers ou des éducateurs, et s'y sont épanouis. Même s'ils l'ont quitté il y a bien longtemps, ou peu de temps, tous et toutes ont ensuite eu des parcours atypiques. Récits.

Toutes celles et tous ceux qui ont souhaité témoigner gardent un souvenir ému de leur passage au LAP - quelque soit le chemin qu'ils aient suivis ensuite.
Toutes celles et tous ceux qui ont souhaité témoigner gardent un souvenir ému de leur passage au LAP - quelque soit le chemin qu'ils aient suivis ensuite. (DR)

Par Marion Simon-Rainaud

Publié le 11 juin 2021 à 07:07Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:18

Dans le XVe arrondissement de Paris se trouve une expérimentation datant de 1982. C'est le LAP : lycée autogéré de Paris. Un établissement où les élèves sont responsables aussi bien du ménage, de la cuisine que de leur présence en cours, où les profs sont leurs égaux, où l'inscription au bac n'est pas automatique - le taux de réussite à l'examen est d'environ 40 %. Pas de hiérarchie non plus, ni de proviseurs ou de surveillants. Tout le monde tutoie tout le monde. Au total, ils sont environ 240 élèves et s'appellent les « LAPiens ». Seuls une poignée d'établissements expérimentaux, qui se présentent comme des « espaces de liberté » existent en France.

Pour comprendre le fonctionnement de ce lycée parisien, il faut en comprendre les deux principes fondamentaux : la libre fréquentation et l'autogestion. Elèves et profs prennent ensemble, en commissions, toutes les décisions concernant l'organisation de l'établissement et statuent sur les dossiers de candidature des lycéens. Aucun cours n'est obligatoire, les absences ne sont pas sanctionnables et rien n'empêche un élève de Seconde de suivre un cours de philosophie de Terminale. En tout, il y a trois classes de chaque niveau, et de nombreuses spécialités allant de la géopolitique à l'art plastique, en passant par le cinéma et la musique.

Qu'ils l'aient quitté il y a trente ou seulement trois ans, les « LAPiens » gardent un souvenir ému de cet « endroit unique » qui, pour certains, « [les] a sauvés ». On a retrouvé d'anciens élèves - avec ou sans bac - pour savoir ce qu'ils étaient devenus.

Lili Poli, 21 ans, comédienne

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Déjà formée par une école primaire alternative Vitruve, à Paris, Lili Poli dit avoir développé une « phobie scolaire » pendant son collège. Au moment de le quitter, elle a cherché des lycées axés sur les arts (musique, cinéma, théâtre, spectacle vivant, etc.). Sa mère tombe alors sur le site du LAP. « Quand je suis arrivée au LAP je me sentais très mal avec moi-même et j'en suis sortie épanouie. » Après trois années dans l'établissement, la jeune femme l'a quitté, sans bac, en 2018 pour rejoindre les Cours Florent - auxquels elle avait postulé dès la première pour « être sûre d'y être ». Elle y a suivi deux ans de formation en comédie musicale et trois en théâtre. Pourtant, elle le dit sans tergiverser si elle est devenue comédienne « c'est en partie grâce au LAP. Ils m'ont donné confiance en moi pour le faire. J'aimais énormément le fait qu'on me donne des responsabilités, que l'on m'écoute, me retrouver au même niveau que mes professeurs et surtout qu'on me laisse explorer plein de projets artistiques. J'y ai aussi appris à donner mon avis ! » Pour compléter son activité malmenée par la pandémie, la jeune femme est également renfort costumes sur les plateaux de cinéma et fait modèle pour des shootings photo.

Lili Poli est comédienne et Louis Provust étudiant aux Beaux-Arts de Limoges.

Lili Poli est comédienne et Louis Provust étudiant aux Beaux-Arts de Limoges.DR

Louis Pruvost, 25 ans, artiste plasticien (en devenir)

« Sans le LAP, je n'aurais jamais obtenu ma licence aux Beaux-Arts. Ca m'a sauvé la vie, j'étais totalement inadapté ! » Pendant ses trois années au LAP, ce Francilien a suivi des options artistiques : d'abord le théâtre ensuite les arts plastiques. L'objectif de ce multi-redoublant était au départ de passer son bac, qu'il n'a pas eu finalement. Il l'a donc redéfini progressivement, et a changé de cap : il a décidé d'intégrer une classe prépa pour intégrer les Beaux-Arts, à Paris. Il décide alors de retaper sa Terminale, sans s'inscrire au bac cette fois, et en suivant des cours de dessin du soir. Il réussit à entrer aux Beaux-Arts de Limoges, et vient d'obtenir son Diplôme national d'art (DNA, équivalent à une licence) au terme d'une année de cours relativement « normale » malgré la pandémie. Ses spécialités sont la photographie, la peinture et la gravure. Il lui reste encore deux années d'études pour obtenir son DNSEP (équivalent master). Il garde des contacts rapprochés avec le LAP, même s'il n'y est pas revenu depuis deux ans maintenant. « Mais, c'est plutôt bon signe quand on ne revient pas trop souvent ! C'est qu'on est passé à autre chose », sourit-il.

Mona Merriti*, 24 ans, prépare le concours de la police nationale

Son parcours est loin d'être linéaire. La jeune femme qui a grandi à Montreuil est entrée au LAP alors qu'elle était en « échec scolaire » à l'école Boule - où elle était rentrée après le Brevet des collèges pour suivre une formation d'excellence des métiers d'arts. « Je me suis rendu compte que je n'étais pas du tout manuelle ! » Alors qu'elle a raté à deux reprises l'examen de fin de cursus (reconnu niveau bac), elle décide de tenter un bac général L au LAP. L'autogestion du ménage est peut-être ce qui l'a le plus marqué : « Chaque groupe de base est chargé d'une pièce, il n'y a pas de personnel, on est tous responsables des lieux. La réunion hebdomadaire qui réunit tous les groupes composés d'élèves et de profs est la seule obligatoire ! » Elle obtient son bac, et décide d'étudier les sciences humaines jusqu'à suivre un master de recherche en épistémologie et philosophie antique. Mais, le milieu de la recherche lui semble trop « coupé » de la société. La pandémie bouscule ses plans, et accélère ses décisions : elle souhaite faire la même carrière que son père, aux antipodes de la philosophie de l'autogestion : intégrer les forces de l'ordre ! « C'est un peu un coming out. Ce n'est pas facile à expliquer dans ces milieux de l'autogestion. » Ayant laissé tomber les perspectives d'enseignement et de thèse, elle se prépare en faisant beaucoup de sport aux épreuves physiques du concours de la police. « Ma décision a été bien mûrie. Je suis sûre que c'est la bonne », confie-t-elle du bout des lèvres. En plus, si elle réussit le concours, et après huit ans en tant que gardienne de la paix, la diversité des corps de métiers dans l'institution et son statut de fonctionnaire lui permettront une « grande mobilité » - qui lui correspond au regard de ses changements réguliers de cap. « Je trouverai toujours un moyen de rebondir. »

Mona Merriti* se prépare au concours de la police et Victor Mainard, lui, installe et désinstalle les podiums de la Fashion Week, le reste du temps il est ouvrier dans les champs ou les forêts.

Mona Merriti* se prépare au concours de la police et Victor Mainard, lui, installe et désinstalle les podiums de la Fashion Week, le reste du temps il est ouvrier dans les champs ou les forêts.DR

Victor Mainard, 30 ans, saisonnier entre podiums, champs et forêts

Au moment où il a intégré le LAP, Victor Mainard avait triplé sa seconde, et c'était son troisième établissement consécutif en trois ans. Mais, ça a été le dernier. Recommandé par un conseiller d'orientation, le LAP l'a conquis. Victor y a passé ses trois années, sans obtenir son bac en fin de cursus. « J'aurais pu le passer au rattrapage, mais avoir le bac n'était pas un but en soi », justifie-t-il aujourd'hui. Le LAP l'a entre autres éveillé au montage son, à l'escalade et à la photo, lui a ouvert les yeux sur le monde et lui a permis de savoir être à l'aise à l'oral. A la sortie du lycée, il est parti travailler en tant que jardinier ouvrier six mois au Mexique, quand il revient, il décide de devenir maçon et passe son Brevet professionnel (BP) sur deux ans en alternance. Il est ensuite embauché pour monter et démonter les podiums de la Fashion Week, le reste de l'année il fait des saisons en tant qu'ouvrier agricole, notamment en Champagne. « J'aime bien passer d'une sphère à une autre ! » En 2017, il passe un nouveau BP cette fois en tant que chef de chantier et conducteur d'abatteuse forestière. A partir de là, il partage son temps entre les podiums, les champs et les forêts. Habitant dans un camion aménagé, il pouvait vivre partout. Mais, juste avant la pandémie, qui l'a pour le moment privé d'emploi, un problème de dos l'a obligé à s'installer dans une maison en dur, en Bretagne. Son prochain chantier est dans le Centre de la France, il espère qu'il sera remis sur pied pour reprendre la route.

Marjorie Cabrol, 24 ans, étudiante au Conservatoire Grand Avignon en chant lyrique

Après le divorce de ses parents, cette Montpelliéraine d'origine vietnamienne a décidé de venir repasser son bac au LAP. « Le nom m'intriguait », explique-t-elle aujourd'hui. Mais surtout, c'est sa coloration artistique qui a séduit cette chanteuse lyrique en herbe. Avant le LAP, elle a été scolarisée dans un lycée général en L avec une spécialité musique mais supportait 'mal l'autorité'. A côté, elle étudiait la musique au Conservatoire de Montpellier en chant lyrique et faisait également partie du programme jeunes artistes « Opéra Junior » au sein de l'Opéra orchestre national de Montpellier où on chantait dans des productions mises en scènes/concerts dans un cadre professionnel. Elle n'a pas obtenu son bac, mais son année au LAP a été « une vraie leçon ». De « nature discrète », le LAP lui a permis « d'extérioriser » ses pensées, de « s'ouvrir aux autres et au monde ». Elle y a aussi appris à fabriquer un vélo, à jardiner, à peindre, à faire du yoga, etc. 'Mais ce n'était pas juste une activité par pure occupation, il y avait un apprentissage derrière.' Après sa Terminale parisienne, elle a fait une « pause » dans ses études académiques pour se « concentrer sur le Conservatoire ». Cette année, elle suit une formation pour passer un Diplôme d'accès aux études universitaires (DAEU), une équivalence du Bac, à la faculté d'Avignon. L'année prochaine elle va commencer une licence de musicologie à la Sorbonne, à distance - car elle est très attachée au Midi.

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Corinne Cambournac a tout de la slasheuse, et multiplie les activités professionnelles, tandis que Marjorie Cabrol étudie le chant lyrique au Conservatoire d'Avignon.

Corinne Cambournac a tout de la slasheuse, et multiplie les activités professionnelles, tandis que Marjorie Cabrol étudie le chant lyrique au Conservatoire d'Avignon.DR

Corinne Cambournac, 51 ans, slasheuse

« Je n'ai pas le bac, mais trois bac+5 ! » Elle a découvert le LAP à la télé, par un reportage. Dans son lycée « tradi » elle s'ennuyait. Elle avait « soif de liberté et d'autonomie ». Ce n'est pas le bac qui lui restera de ses années de « LAPienne », mais une curiosité intarissable. 'Depuis je n'ai jamais cessé d'étudier. Ca doit être les effets secondaires du LAP.' Son parcours professionnel est aussi riche qu'atypique : elle commence par être infirmière psy (son diplôme lui permet d'avoir le niveau bac) puis passe un Diplôme universitaire (DU) en médecine tropicale quelques années plus tard, bifurque vers la communication et le multimédia à l'an 2000, en validant son premier master à Paris 8, qu'elle double par un autre master en communication numérique et médias au Conservatoire National des Arts et Métiers (Cnam) de Paris, quatre ans plus tard. Elle obtient ensuite un doctorat L3i au Laboratoire Image Informatique Interaction de La Rochelle. Mais, finalement bifurque de nouveau vers la médecine : en passant un autre DU de naturopathe cette fois. En 2014, elle passe un dernier master de psycho socio à Paris 7. Cette diversité de spécialités se traduit par diverses activités professionnelles qu'elle exerce en parallèle : de naturopathe en freelance à formatrice numérique sur Openclassroom, en passant par la gérance d'une agence de communication et la création de produits de santé à base de cacao ! C'est une slasheuse… engagée. Sur son temps libre, elle est bénévole depuis vingt et un ans dans une association qui accompagne des personnes autistes. Comme, elle a plus d'une corde à son arc : elle est aussi en train d'écrire un livre sur les réseaux sociaux, qui devrait être intitulé « Homo Nimbus ».

Mélaka, 43 ans, dessinatrice de BD

Après avoir redoublé sa seconde, et fâchée avec le système scolaire, Mélanie Karali appelée « Mélaka » a entendu parler du Lycée autogéré de Paris (LAP) par le bouche-à-oreille. Elle s'y est rendue « pour voir », et a fait l'essai pendant une semaine. A la fin, elle a été « comblée ». Le système conventionnel ne lui correspondait pas. « Avant le LAP, je glandais comme pas possible au collège et au lycée ! J'avais un problème avec l'autorité. » Mais, le LAP l'a réconciliée avec les cours. Elle y a passé trois ans, au terme desquels elle n'a pas voulu passer son bac et donc ne s'est pas inscrite. « Je savais déjà ce que je voulais faire et je n'en voyais pas l'utilité. » A la suite du lycée, elle fait une alternance dans le journal dessiné et satirique « Psikopat », fondé par son père le dessinateur Paul Karali, dit « Carili ». Mélaka y travaille ensuite pendant vingt ans. En 2019, ils mettent la clé sous la porte, mais elle lance son propre journal dessiné, « Mazette », cette fois, en format numérique. En parallèle, elle publie sept bandes dessinées, dont le plus récent « Sous les bouclettes » est paru en 2018. Elle vit des droits d'auteur, son salaire est modeste, mais elle a quitté Paris il y a quinze ans pour « vivre bien avec ses poules et ses moutons ». Avec certains de ses anciens camarades de lycée, elle a gardé contact. « C'est un établissement à part, j'en garde vraiment un beau souvenir. » D'ailleurs, elle suit toutes les activités du LAP sur Facebook et le conseille à toutes celles et ceux qui se posent la question. « Ma grande fille a l'âge d'entrer au lycée, je regrette qu'elle ne puisse pas intégrer le LAP. »

Mélaka signe des albums BD mais tient aussi un blog illustré depuis plus de dix-sept ans et Mike Tanzey a fait des concerts de rap grâce au LAP, à la fin de chaque année.

Mélaka signe des albums BD mais tient aussi un blog illustré depuis plus de dix-sept ans et Mike Tanzey a fait des concerts de rap grâce au LAP, à la fin de chaque année.DR

Mike Tanzey, 21 ans, après STAPS, le journalisme

« Je n'étais pas fâché avec les études, mais avec le système pédagogique. » Orienté vers le LAP par une éducatrice spécialisée, Mike Tanzey y a passé quatre années. Il a d'abord fait ses trois ans de lycée de manière linéaire, mais sans bac à la fin. Il l'a alors quitté pour faire un service civique dans un club de football. Puis, au terme d'un an de coupure, il a décidé de repasser en Terminale au LAP et d'obtenir le bac. Pour revenir, comme pour y entrer la première fois, il a expliqué les tenants et les aboutissants de son projet de vie. Cette fois, il obtient le bac et s'inscrit en STAPS. La formation ne lui convient pas, il vient de choisir une nouvelle voie : le journalisme. Il va suivre des cours à partir de la rentrée prochaine et pour les trois années à venir à l'école de la Communication, du Journalisme et du Design Graphique (IICP). Au sein du LAP, il a créé un atelier de rap, qui a lieu tous les jeudis pendant quatre heures, pendant toute l'année, à la fin les lycéens se produisent sur scène - et ça continue même sans lui.

* Le prénom et le nom ont été modifiés

LE LAP PARFOIS SUR LA SELLETTE, TOUJOURS EN place

En 2011, l'académie de Paris menace de supprimer cinq postes d'enseignants, du fait d'un taux d'encadrement jugé supérieur à la moyenne. Avec 25 professeurs pour 240 élèves, le taux du LAP est en effet plus élevé - mais en contrepartie, l'établissement n'emploie pas de personnel administratif et d'entretien.

Surtout, des effectifs importants sont essentiels à la bonne marche du lycée. Les jeunes, âgés de 16 à 21 ans et qui restent souvent entre trois et cinq ans dans l'établissement, viennent au LAP pour trouver de l'attention et une écoute qu'ils n'auraient pas eues ailleurs.

Mais, rien n'est acquis. Depuis le 6 mai, le LAP est de nouveau en lutte contre la décision du gouvernement de supprimer un demi-poste enseignant, soit « onze heures de sa dotation horaire globale ».

Néanmoins le risque de fermeture n'est plus d'actualité. Le LAP est toujours bien installé rue de Vaugirard, dans le sud de la capitale. Et les demandes affluent toujours… pour peu d'élus chaque année (en moyenne 90 dossiers pour 75 places en Seconde, et 50 pour 25 en Première).

Marion Simon-Rainaud

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