Un an après, la formation et la recherche restent les oubliées du Ségur de la santé

Pauline Bluteau Publié le
Un an après, la formation et la recherche restent les oubliées du Ségur de la santé
Un an après la signature des accords du Ségur de la Santé, à Matignon, l'heure est au bilan. // ©  Hamilton / REA
Le 13 juillet 2020, le ministre de la Santé, Olivier Véran, signait les accords du Ségur de la santé après sept semaines de discussions. Mais un an plus tard, étudiants et universitaires pointent toujours du doigt le manque de concertation sur les volets formation et recherche, grands absents du Ségur.

Interrogé le 23 juin dernier par les sénateurs, Olivier Véran n’a pas caché son enthousiasme et sa décontraction. "Nous sommes à la veille des un an du Ségur de la santé. Les évolutions réglementaires sont une réalité avec des avances sur les engagements que nous avions signés avec les syndicats, notamment en ce qui concerne les revalorisations. Et nous n'avons pris du retard dans aucun des domaines dans lesquels nous nous étions engagés."

Si les revalorisations salariales ont bien été officialisées dès la fin de l’année 2020, notamment pour les internes (+5 à 10%) et les étudiants paramédicaux (+20% pour les indemnités de stage), d’autres sujets manquent pourtant à l’appel.

Que ce soit côté formation ou côté recherche, le caractère universitaire de la santé a semble-t-il été oublié du Ségur. "Il y a une vision hospitalière et non hospitalo-universitaire, tous les acteurs de la santé ne s’y retrouvent pas. D’ailleurs, d’emblée, les universités ont été écartées, il a fallu forcer la porte pour y entrer. C’est, de ce point de vue, très décevant", raconte Manuel Tunon de Lara, président de la CPU. Une absence qui pèse encore aujourd’hui à la fois sur les universités mais aussi sur les praticiens hospitalo-universitaires (PHU), débordés dans leurs différentes missions, et sur les étudiants qui voient la qualité de leur formation mise à mal.

Absence de synergie entre les ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur

C’est sans doute le fond du problème, ou en tout cas, ce qui expliquerait l’absence de considération pour la formation et la recherche en santé : le manque de synergie entre le ministère de la Santé et celui de l’Enseignement supérieur. "Je regrette ce manque d’articulation, de cohérence, qui serait nécessaire. Le Ségur n’a pas été une réponse aux volets formation et recherche", estime Manuel Tunon de Lara.

Le Ségur a été réactif pour aider l'hôpital mais a écarté volontairement la recherche et l'hospitalo-universitaire. (D. Samuel, Université Paris-Saclay)

Pourtant, les liens entre l’hôpital et l’université ne sont plus à démontrer. "Nous avons une double tutelle, le ministère de la Santé doit se saisir de la formation et ne pas laisser la part belle au ministère de l’Enseignement supérieur. Dans CHU, il y a bien le U et il ne faut pas l’oublier", plaide Jeanne Dupont-Deguine, vice-présidente à l’ANEMF.

La nécessité de reconsidérer la carrière des PHU

Les carrières des hospitalo-universitaires font d’ailleurs partie des points sensibles qui n’ont pas (ou peu) été abordés pendant le Ségur. "Ils ont trois missions : le soin, la recherche et l’enseignement. Mais ils ne sont pas extensibles, ils ont un travail énorme et ne peuvent plus le faire correctement", s’indigne Didier Samuel, doyen de la faculté de médecine à Paris-Saclay. Selon lui, ce choix de carrière est devenu un véritable "parcours du combattant", de moins en moins attractif car peu valorisé.

"Aujourd’hui, trop peu d’internes se projettent dans ces carrières. Nous assistons à une fuite des hospitalo-universitaires. Nous n’avons pas pris la mesure de cette perte d’attractivité", explique Manuel Tunon de Lara, pour qui il s’agit plus d’une ignorance de la réalité que d’un manque de considération des ministères.

Le 4 juin dernier, 145 présidents d’université, doyens et directeurs ont publié une tribune dans le Monde pour dénoncer un système "en chute libre". "Ce n’est pas tous les jours que nous signons tous un texte comme celui-ci mais cela n’a pas été pris en considération. Le Ségur n’était peut-être pas une réponse à ces questions, mais il va tout de même en falloir une", insiste le président de la CPU.

On a voulu donner des réponses à court terme avec le Ségur, or, il fallait des solutions à moyen terme sur la formation. Nous comprenons qu'il faille du temps. (M. Tunon de Lara)

Selon l’ANEMF, le manque d’hospitalo-universitaires se fait largement ressentir. "Il y a de plus en plus d’étudiants en médecine mais pas d’augmentation du nombre de PHU. Il y a une inadéquation qui se creuse. Or, on ne peut pas apprendre correctement quand on est douze dans une chambre. Il en va de la qualité de la formation, c’est primordial, à la fois pour les étudiants mais aussi pour les patients."

Replacer les universités au centre des décisions

C’est donc tout un modèle qui est à repenser. Le 12 juillet dernier, en s’appuyant sur le groupe de travail consacré aux carrières hospitalo-universitaires, les ministères ont déjà dévoilé 24 mesures, en particulier sur la revalorisation de ces métiers. À compter du 1er janvier 2022, la grille de rémunération des professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) sera réévaluée à la hausse. Notamment pour que l’écart vis-à-vis des praticiens hospitaliers se réduise (lui-même ayant été réévalué au moment du Ségur). Les ministères envisagent également la création d’une prime d’enseignement supérieur et de recherche (PESR) pour les hospitalo-universitaires afin de reconnaître leur investissement dans ces domaines.

À l’occasion du premier "anniversaire" du Ségur de la santé, le cabinet du ministère a aussi rappelé l’ambition des accords signés en 2020 en vue d’une "transformation profonde du système de santé". Dès la rentrée, les priorités seront davantage en lien avec l'organisation du temps de travail, la qualité de vie au travail, la qualité des soins, l'amélioration de la gouvernance des hôpitaux, le déploiement des outils numériques… mais aucune mention quant à la formation ou à la recherche.

La CPU envisage, de son côté, de faire de nouvelles propositions en vue de l’élection présidentielle, notamment pour ce qui est des conditions d’encadrement des étudiants en santé. "Il faut réfléchir à un nouveau modèle pour les plus jeunes. C’est une question de bien-être au travail et non de salaire, estime Didier Samuel. Il faut consacrer du temps aux étudiants, investir, il nous faut des moyens." Autant de changements qui ne pourront pas se faire sans les universités. "Il faut réorganiser en profondeur ce que devrait être l’hôpital universitaire. Nous sommes en retard, il y a urgence", conclut le président de la CPU.

Pauline Bluteau | Publié le