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Aux Jeux paralympiques, le chemin tortueux du sport adapté

A Tokyo, les sportifs en situation de handicap intellectuel participeront à la « grand-messe planétaire » pour la cinquième fois de leur histoire, après en avoir été exclus pour tricherie de 2004 à 2012.

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Publié le 24 août 2021 à 18h04, modifié le 25 août 2021 à 15h22

Temps de Lecture 4 min.

La délégation française lors de la cérémonie d’ouverture, à Tokyo, mardi 24 août.

Dans le traditionnel ballet des fauteuils et des lames en carbone se tiennent des sportifs, droits et vaillants, au handicap presque invisible. Comme leur place aux Jeux paralympiques qui se tiennent du 24 août au 5 septembre. Sur les quelque 4 400 athlètes présents à Tokyo, les personnes déficientes mentales représentent moins de 5 % des sportifs paralympiques et ne participent qu’à trois disciplines – natation, tennis de table et athlétisme – sur les vingt-deux présentes au Japon.

« S’il y a plus d’athlètes en handisport [pratiqué par les handicapés physiques ou sensoriels], c’est parce qu’ils représentent plus de handicaps », explique Marc Truffaut, le président de la Fédération française de sport adapté (FFSA) – spécifique aux handicaps mentaux et psychiques.

Si les classifications des catégories consacrées aux sportifs handicapés physiques sont multiples, souvent temporaires et réévaluées à quelques années d’intervalle pour garantir l’équité du mouvement paralympique, la classe des « handicaps mentaux » est, elle, unique. Elle oppose sans distinction les athlètes déficients intellectuels et semble s’être figée dans le marbre depuis la réintégration « à dose homéopathique » de ces sportifs au rendez-vous quadriennal, à Londres en 2012, ainsi que l’expliquait la directrice technique nationale de la FFSA, Marie-Paule Fernez, sur la chaîne YouTube Sport en France, en juillet.

Une décennie de mise au ban

L’expérience paralympique de sportifs en situation de handicap mental a, en effet, d’abord tourné court. Après une première participation aux Jeux d’été en 1996 et à ceux d’hiver en 1998, les Jeux de Sydney avaient été le théâtre d’une supercherie conduisant à la mise au ban de l’ensemble du sport adapté pendant plus d’une décennie.

Sacrée championne paralympique en 2000, l’équipe espagnole de basket avait joué avec dix joueurs valides sur douze. Infiltré dans l’équipe ibérique, le journaliste Carlos Ribagorda avait révélé l’imposture après le tournoi et affirmé n’avoir passé aucun test intellectuel. S’estimant incapable de mesurer le niveau de handicap intellectuel des sportifs, le Comité international paralympique avait alors exclu les athlètes handicapés mentaux. En réplique, leur fédération internationale (l’INAS-FID, aujourd’hui Virtus) avait créé les Global Games – jeux mondiaux qui ont lieu tous les quatre ans –, dont la première édition s’est tenue en parallèle des Jeux d’Athènes, en 2004.

Sur les 138 membres de la délégation française aux Jeux japonais, six vont défendre les couleurs du « sport adapté ». Un nombre qui peut paraître faible au regard des milliers de licenciés de la FFSA (65 000 en 2019 avant le Covid-19). C’est pourtant mieux qu’à Londres (quatre) et qu’à Rio (cinq).

Si les élus sont si peu nombreux, c’est que les critères de sélection se sont durcis après le scandale des Jeux de Sydney. Avec huit à douze concurrents par épreuve, la sélection des sportifs handicapés mentaux aux Jeux paralympiques est drastique. « En athlétisme, il fallait être dans les quatre premiers aux derniers championnats du monde ou dans les six premiers au classement mondial au 1er avril 2021 », détaille Marc Truffaut.

En plus de devoir obtenir leur sélection sur les terrains de sport, les sportifs handicapés doivent présenter une déficience intellectuelle détectée avant l’âge de 18 ans, et sont également soumis à une batterie de tests pour prouver leur handicap et ses effets sur la pratique sportive. Un panel d’experts en psychologie évalue leurs difficultés au quotidien, puis leur « intelligence sportive » (temps de réaction, mémoire, perception spatiale, etc.). Le cycle de bras des nageurs déficients mentaux est, par exemple, censé être inférieur à celui des sportifs valides car leur handicap entraîne souvent des difficultés de coordination et de rythme.

Huit disciplines reconnues de haut niveau

Ces critères excluent d’office les sportifs handicapés psychiques (sujets à une maladie psychique chronique, comme la schizophrénie) dont il est « difficile de démontrer l’impact permanent du handicap dans la performance », concède Marc Truffaut. Pour autant, le patron du sport adapté français, également président de la Fédération internationale des athlètes déficients mentaux (Virtus), plaide pour la création de nouvelles catégories aux Jeux pour séparer les athlètes déficients intellectuels des déficients intellectuels avec un surhandicap (pour les personnes trisomiques notamment), comme c’est le cas aux championnats d’Europe et du monde.

Mais le procédé est loin d’être simple. « Dès l’instant que l’on ajoute un sport adapté, il faut retirer une discipline du programme paralympique », prévient M. Truffaut. Une extension aux dépens des autres qui s’explique par la limitation du nombre de participants aux Jeux olympiques et paralympiques (10 000 en tout). A cela s’ajoute un problème d’ordre financier. « Pour développer une recherche autour de la classification, les fédérations internationales doivent débloquer entre 150 000 et 200 000 euros pour une discipline », précise le président de la FFSA.

A l’échelle nationale, le sport adapté s’est, en revanche, développé, profitant du coup de projecteur des paralympiques pour redorer sa réputation. Depuis 2009, huit disciplines (l’athlétisme, la natation, le tennis de table, le basket, le football, le cyclisme, le ski alpin et le ski nordique) sont reconnues de haut niveau par le ministère des sports. La fédération a, elle, doublé son nombre de licenciés pour devenir la première fédération de sportifs en situation de handicap en France, devant celle de handisport. « On a eu un bond des licences après Londres », se souvient Marc Truffaut. La médaille de bronze du pongiste Pascal Pereira-Leal – la première pour le sport adapté – a ainsi contribué à sortir la pratique de l’anonymat.

Après le temps de la reconnaissance et de la découverte, le sport adapté est à l’ère de la reconquête. Avec, en ligne de mire, les Jeux d’été de Paris 2024 pour lesquels la FFSA espère qu’une épreuve réservée aux personnes trisomiques soit créée. Le directeur technique national adjoint au sein de la FFSA, Hervé Dewaele, y voit, pour sa part, un « signe fort » pour « montrer la diversité des personnes en situation de handicap intellectuel ».

Les Jeux paralympiques de Tokyo en chiffres
  • 65 000 : nombre de licenciés de la Fédération française de sport adapté (FFSA) avant la crise sanitaire, c’est deux fois plus que la Fédération de handisport (32 000, en 2019).
  • 200 : nombre d’athlètes déficients mentaux présents à Tokyo.
  • 9 épreuves en sport adapté : quatre en athlétisme, quatre en natation et une en tennis de table.
  • 6 représentants français de sport adapté aux Jeux : Gloria Agblemagnon (lancer du poids) ; Léa Ferney (tennis de table) ; Lucas Créange (tennis de table) ; Charles-Antoine Kouakou (para-athlétisme, 400 m) ; Gaël Geffroy (para-athlétisme, 1 500 m) ; Nathan Maillet (paranatation, 100 m dos et 200 m nage libre).
  • 2 : l’objectif de médailles affiché par la FFSA. Sur les six Français engagés en sport adapté, trois jeunes sportifs (Maillet, Geffroy et Ferney) participeront à leurs premiers Jeux paralympiques.
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