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Education

Quand l'école n'arrive plus à recruter de profs

INFOGRAPHIE - Cette année encore le nombre de candidats aux concours de recrutement d'enseignants a fortement baissé. La prime d'attractivité annoncée par Jean-Michel Blanquer en cette rentrée ne suffira pas à boucler les emplois du temps. Pour gérer cette crise des vocations, l'Education nationale multiplie les recours aux contractuels. Une solution forcément bancale. 

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Le ministre de l'Education Jean-Michel Blanquer lors d'une conférence de presse sur la prochaine rentrée scolaire, le 26 août 2021 à Paris

Jean-Michel Blanquer doit faire face à une crise majeure des vocations dans l'Education Nationale.

AFP - Christophe ARCHAMBAULT

De 29 à 57 euros nets par mois. C’est le montant de l’augmentation que touchera une partie des enseignants à compter de février 2022. Tous ne seront pas concernés puisque Jean-Michel Blanquer a annoncé, en cette rentrée, privilégier le début et milieu de carrière, en retard d’environ 20% par rapport à la moyenne des salaires des professeurs de l’OCDE. Un professeur débutant qui percevait 1.700 euros nets par mois en 2020 va gagner 1.869 euros après les deux volets d’augmentation de 2021 et 2022. L’objectif du ministre est de parvenir à 2.000 euros nets mais ce sera sous un autre quinquennat. "C’est un montant que l’on atteint aujourd’hui après 13 ans de carrière", se désole Nicolas Glière, cofondateur du mouvement des Stylos Rouges. La grille des salaires des enseignants s’améliore en revanche nettement avec le passage à la hors classe qui permet d’atteindre 3.850 euros bruts en fin de carrière hors prime, mais il faut 53,2 ans en moyenne à un professeur des écoles pour l’atteindre.

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30% de candidats en moins au Capes de maths

Améliorer le pouvoir d’achat des enseignants est devenu une priorité pour attirer des talents alors que la pénurie de profs menace. Car à chaque rentrée, c’est le même casse-tête pour les rectorats et chefs d’établissement: gérer la pénurie de profs qui s’accentue chaque année un peu plus. "Il y a dix ans, quelques matières étaient sous tension comme les maths ou les langues, aujourd’hui le phénomène se généralise y compris chez les professeurs des écoles", constate Gilles Langlois, secrétaire national du syndicat Unsa. Au point que l’académie de Versailles et de Créteil ont créé un concours supplémentaire de professeur des écoles faute de candidats suffisants au concours national.

Dans le secondaire, les maths restent la matière la plus "préoccupante", résume le sénateur (LR) Gérard Longuet dans son rapport "réagir face à la chute du niveau en mathématiques: pour une revalorisation du métier d'enseignant." Entre 2010 et 2020, le nombre de candidats au Capes de maths a fondu de 30%. Cette année, la moyenne des admis à ce concours s’élevait à 8/20. Mais le phénomène s’étend aux sciences, à l’économie et même à l’anglais. "Les étudiants en anglais trouvent aujourd’hui des carrières bien mieux valorisées que l’enseignement dans le tourisme ou l’hôtellerie", constate Laurence Colin, proviseure et secrétaire générale adjointe du SNDPEN-UNSA, le syndicat des chefs d’établissement.

Un gardien de la paix mieux payé qu'un prof

Non seulement les carrières dans le privé sont plus rémunératrices mais la concurrence s’exerce aussi désormais au sein même de la fonction publique d’Etat. Depuis la nette revalorisation des personnels soignants et des policiers, les enseignants figurent en queue de peloton d’autant que les personnels de l’Education nationale sont ceux, au sein de la fonction publique, à toucher le moins de primes. "Un gardien de la paix recruté niveau bac touche, avec ses primes, un traitement équivalent à celui d’un enseignant recruté à bac+5", s’indigne Gilles Langlois. Cette forme de concurrence interne dans la fonction publique devient d’autant plus une réalité que depuis 2020 les ruptures conventionnelles sont ouvertes aux fonctionnaires d’Etat afin de faciliter les évolutions de carrière et les passages d’un ministère à l’autre.

Pour compenser le manque de profs, la rue de Grenelle multiplie les heures supplémentaires. Depuis deux ans, les enseignants du second degré ne peuvent plus refuser à leur chef d’établissement de faire jusqu’à 2 heures supplémentaires par semaine. Un professeur titulaire du Capes peut donc à la demande de son proviseur effectuer jusqu’à 20h par semaine devant les élèves et un agrégé 17h. Mais c’est surtout le recours aux contractuels, ces agents qui n’ont pas passé le concours et qui ne sont pas spécifiquement formés au métier d'enseignant, qui permet de boucler les emplois du temps. "Ces embauches sont en plein essor surtout dans les collèges et les lycées", constate Claude Lelièvre, spécialiste de l’éducation. D’après le bilan social du ministère de l’Education Nationale, près d’un enseignant sur dix dans le public et un sur cinq dans le privé sous contrat n’est plus fonctionnaire. Un ratio qui peut facilement doubler en Seine-Saint-Denis.

Ce sont souvent des anciens salariés du privé en reconversion qui, avant de passer le concours, se frottent à la réalité du terrain. Le mode de recrutement est extrêmement rapide: un entretien de quelques minutes permet de valider une embauche, parfois même il n’y en a pas. Il faut juste pouvoir attester de trois années d’étude dans la matière enseignée. "Rien n’a changé depuis le fameux reportage d’Envoyé Spécial où un journaliste se présentant avec un faux diplôme d’ingénieur et incapable de répondre à cinq questions de base en mathématique se faisait embaucher comme professeur de maths contractuel en 5 minutes", remarque Nicolas Glière.  

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Petites annonces sur pôle emploi 

Dans le privé sous contrat, des sessions de "discernement" sont mises en place directement auprès des parents d’élève en quête de reconversion professionnelle. Des tracts titrés "et pourquoi pas vous…" sont distribués à chaque rentrée scolaire lors des réunions de parents pour tenter de recruter un vivier de contractuels. Dans certains établissements des stages d’immersion d’une semaine en classe sont proposés aux parents qui hésitent à franchir le pas.

Mais avec un salaire moyen de 1.750 euros nets (2.400 euros nets pour les professeurs titulaires), difficile de fidéliser cette population embauchée souvent en CDD et éligible, pour une part, à la prime d’activité. Cette précarisation du corps enseignant accélère le turn-over dans les salles des profs. "Les rectorats multiplient les annonces sur pôle emploi pour trouver un prof de maths ou d’anglais mais le coût du logement ou des transports dissuadent les éventuels prétendants", témoigne Laurence Colin proviseure au lycée Condorcet d’Arcachon. L’an dernier, dans ce même lycée, une classe n’a pas eu de prof de maths de l’année entière. "Nous sommes obligés de bricoler: on évite de pénaliser les classes à examen, on essaye de convaincre un collègue de prendre encore plus d’heures supplémentaires." A quelques jours de la rentrée, Laurence Colin n’avait toujours pas trouvé de candidats pour ce poste de prof de maths vacant.

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