Editorial du « Monde ». Dis-moi dans quel quartier tu habites, combien gagnent tes parents, où ils sont nés, et je te dirai si tu réussiras à l’école. A l’heure où 12,4 millions d’élèves de la maternelle à la terminale reprennent le chemin des classes, les légitimes préoccupations liées à la persistance de la pandémie et à ses risques spécifiques en milieu scolaire ne doivent pas éclipser le mal profond et persistant dont souffre l’éducation nationale : la ségrégation qu’elle opère entre élèves riches et élèves pauvres.
La France a trop longtemps vécu avec l’illusion que son système scolaire, largement public, centralisé, où la répartition des professeurs échappe aux chefs d’établissement et où l’affectation des élèves obéit à la carte scolaire, était nécessairement égalitaire. Depuis vingt ans, les enquêtes PISA de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) attestent périodiquement le contraire.
La France est l’un des grands pays développés où l’origine sociale pèse le plus sur les performances et les trajectoires scolaires. Avec un budget autrement plus conséquent, elle ne fait pas mieux que le Chili ou la Roumanie en matière d’égalité. Les élèves aux résultats insuffisants y sont le plus regroupés, et l’écart de réussite entre les élèves issus de l’immigration et ceux d’origine française y est supérieur à la moyenne. La surreprésentation des enfants issus des classes moyennes, aisées et blanches dans les filières générales du lycée, puis dans les études supérieures, est établie. Près de 80 % des étudiants des 10 % d’établissements supérieurs les plus sélectifs sont des enfants de cadres et d’enseignants.
Priorité nationale
Les mécanismes de ce véritable « darwinisme social », selon l’expression du sociologue François Dubet, sont connus. Les enseignants les moins expérimentés affectés dans les établissements les plus difficiles, des priorités budgétaires favorisant les formations d’élite, et surtout un mécanisme de répartition des élèves qui maintient l’entre-soi et contourne l’exigence de mixité, porteuse à la fois d’apprentissage du vivre-ensemble et d’ambition scolaire pour les élèves défavorisés.
Aucun gouvernement, ni de gauche ni de droite, ne s’est réellement attaqué à cette entaille béante dans le pacte républicain. L’exécutif actuel n’est pas resté inactif : dédoublement des classes de CP et de CE1, nouvelles règles d’affectation dans les lycées parisiens, quotas de boursiers dans les filières postbac, remplacement de l’ENA par une institution plus ouverte aux milieux populaires. Mais l’égalité scolaire, enjeu déterminant, suppose d’être érigée en priorité nationale. Cela passe par des politiques résolues de rééquilibrage budgétaire entre les filières et de mixité sociale dans les collèges et lycées.
Des solutions existent : redécoupage de la carte scolaire, fusion de collèges, jumelage de collèges difficiles avec des lycées favorisés, seuil de mixité scolaire fixé comme en matière de logement, transparence sur les critères utilisés par les algorithmes d’affectation. Leur mise en œuvre n’est pas simple : peu populaires chez les électeurs les plus favorisés par le système actuel, qui sont aussi les plus enclins à voter, de telles mesures supposent aussi de bousculer les pratiques des professeurs.
Une loi contre le « séparatisme » scolaire et pour l’égalité reste à concevoir. Un jour de rentrée, où les bonnes résolutions sont de mise, doublé d’une veille de campagne présidentielle, où les enjeux cruciaux pour le pays sont sur la table, ne constitue-il pas un moment propice pour en lancer l’idée ?
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