Témoignages

Rentrée universitaire : «Après une année pareille, la prochaine ne peut qu’être mieux»

Début septembre, près de trois millions d’étudiants retrouvent la fac en présentiel, après un an et demi loin des amphis. Pour ceux qui étaient en première année de licence, l’an passé, cette (re)découverte est mêlée d’angoisse et de soulagement.
par Cassandre Leray
publié le 7 septembre 2021 à 18h02

Une année à «avancer dans le vide». Sacha n’a pas mis les pieds à l’université depuis octobre 2020. Quelques heures par-ci par-là en avril, grâce à un unique cours en présentiel une semaine sur deux. Au bout du compte, pas plus d’une dizaine d’heures en huit mois. Alors, pour cette rentrée universitaire, c’est comme si Sacha repartait de zéro. L’étudiante de 19 ans débarque en deuxième année dans sa licence de médiation culturelle, à la Sorbonne-Nouvelle à Paris. La boule au ventre, quand même : à cause du Covid, elle n’a pas eu l’occasion de se faire d’amis dans sa promo, ni de trouver un job ou même tout simplement de découvrir les couloirs de sa fac. Elle soupire : «J’ai l’impression d’être passée à côté de l’euphorie d’une vraie première année.»

Sacha et près de trois millions d’autres étudiantes et étudiants reprennent dès cette semaine le chemin des universités. Au compte-gouttes, les dates de rentrée n’étant pas identiques d’une fac à l’autre. Parmi ces jeunes, une partie n’a quasiment jamais connu les cours en présentiel. La faute au Covid-19, qui a provoqué la fermeture des universités pendant de longs mois. Cette rentrée devrait changer la donne, puisqu’un système 100 % en présentiel est au programme. L’occasion pour celles et ceux qui étaient en première année de licence (L1), l’an dernier, de découvrir enfin l’université. Entre soulagement, incompréhension et peur pour l’avenir, des jeunes ayant vécu leur première année d’études dans le chaos de la pandémie confient leur ressenti pour cette rentrée presque «normale».

«Loin d’être au niveau»

Yann, 19 ans, s’en est plutôt bien sorti. Il a réussi à valider sa première année de cinéma à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée (Seine-et-Marne) malgré les galères qui se sont accumulées. Délégué de sa promo et élu de son UFR (unité de formation et de recherche), il en a entendu des témoignages de jeunes désemparés face au Covid. Alors il le sait : retourner à la fac, c’est «une bonne nouvelle pour le moral». En décembre 2020, il racontait d’ailleurs à Libération comment il lui arrivait de boire seul face à la détresse qu’il ressentait : «J’allais tellement mal que je n’arrivais même plus à pleurer. Aujourd’hui encore, ça m’arrive.» Même si «ça va mieux», il ne peut pas s’empêcher de se sentir «loin d’être au niveau» pour démarrer cette L2. Comme beaucoup d’étudiantes et étudiants ayant débarqué dans les études en pleine pandémie, il n’a jamais connu les partiels sur table, pas plus que la prise de notes en amphi. «Ce n’est pas la faute des profs, mais avec les cours à distance, c’était dur de ne pas décrocher», soupire l’étudiant, persuadé qu’il va devoir charbonner, en plus de son job à McDo, s’il veut maîtriser la méthodologie universitaire rapidement.

Jeanne, elle, a lâché prise : «J’ai eu des cours avec des profs dont je n’ai jamais vu le visage, on n’avait aucun lien… J’ai décroché.» Finalement, elle redouble sa L1 de droit à Rennes. «Vu ce à quoi ressemblait l’année passée, j’ai l’impression de recommencer à zéro, lâche-t-elle. Mais j’ai peur de repasser au distanciel et redoubler encore une fois.» D’autant plus que Jeanne va devoir jongler entre fac et petit boulot. Sans ça, impossible pour elle de s’en sortir financièrement, à l’image des innombrables jeunes violemment touchés par l’augmentation de la précarité provoquée par la crise du Covid. «Pendant toute l’année dernière, j’ai cherché un travail sans rien trouver», explique l’étudiante de 19 ans. Impossible de faire sans une année supplémentaire : «Mon père ne peut pas m’aider plus. J’ai déposé mon CV partout, on verra bien.»

«Peur qu’il soit trop tard»

Malgré les craintes face à l’évolution de la pandémie, cette rentrée universitaire pourrait bien être un début de remède à l’isolement qui a grignoté le moral des étudiantes et étudiants pendant un an et demi. Sacha compte bien sur cette reprise pour rencontrer les amis qu’elle aurait aimé se faire l’année dernière. Ses seules connaissances dans sa classe ne sont pour l’instant que des noms dans un groupe WhatsApp. Mais difficile de nouer des liens en ayant manqué les soirées d’intégration qui rythment habituellement les L1. «J’ai peur qu’il soit trop tard et que je ne réussisse pas à nouer des amitiés, souffle l’étudiante, qui peine à se projeter à l’université. Tout change tout le temps et c’est angoissant. On nous dit un truc une semaine et, deux semaines après, c’est plus valable.»

Au fond, une phrase revient souvent dans la bouche des étudiantes et étudiants : et si tout ça ne durait pas ? Oui, toutes et tous attendaient avec impatience le retour à la fac. Mais les mesures sanitaires pour lutter contre la propagation du Covid-19 laissent Alcyone, comme d’autres jeunes, perplexe : «J’ai peur que les protocoles soient mal gérés et qu’on se retrouve à fermer les facs toutes les quatre semaines à cause de clusters. En plus, on peut être vacciné et attraper le Covid.» Il y a quelques semaines, Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, annonçait la couleur. En cas de cluster dans un groupe d’étudiants, parmi les personnes considérées comme cas contacts, seuls les étudiantes et étudiants non vaccinés seront placés à l’isolement. Pas de quoi rassurer Alcyone, en L2 de biologie à Montpellier. Elle se demande même si «retourner à la fac est une bonne idée pour l’instant» : «On a l’impression que ça va mieux avec la vaccination, mais j’ai peur de l’apparition d’autres variants.» Même angoisse pour Cléophée, en L2 de droit à Rennes : «La semaine dernière, l’amphi était blindé, on ne pourra jamais respecter les gestes barrières», déballe-t-elle, s’admettant incapable d’«assumer une nouvelle année à distance si on nous reconfine».

«Après une année universitaire pareille, la prochaine ne peut qu’être mieux. Mais la pandémie est toujours là», résume Jeanie, étudiante en prépa pour devenir prof des écoles, qui partage les inquiétudes d’Alcyone. Encore au-delà du retour à l’université et des protocoles, ce qui tiraille Jeanne, c’est surtout l’absence de perspectives pour l’avenir : «Est-ce que ça sert à quelque chose de faire de longues études pour ne pas avoir de travail ensuite, vu l’état des entreprises à cause du Covid ? s’interroge-t-elle. J’ai peur que la pandémie ne s’arrête jamais, et que tout ce que je fais soit inutile.»

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