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Entretien : les étudiants de grandes écoles se vendent-ils toujours mieux que les profils universitaires ?

Longtemps, le match était plié. Plus de réseaux, plus proches des entreprises, les grandes écoles préparaient des « bêtes à entretien »… Mais les universités n'ont pas dit leur dernier mot.

Selon certains spécialistes, l'opposition entre écoles de commerce proches de l'entreprise et formations universitaires éloignées du marché du travail serait en train de tomber.
Selon certains spécialistes, l'opposition entre écoles de commerce proches de l'entreprise et formations universitaires éloignées du marché du travail serait en train de tomber. (DR)

Par Florent Vairet

Publié le 8 sept. 2021 à 13:05Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:19

Matthieu fait partie des coachs en préparation d'entretien les mieux notés de la plateforme Superprof. Ses élèves le choisissent car ils veulent intégrer les entreprises les plus sélectives de Paris : Bain, McKinsey, BCG, pour les cabinets de conseil en stratégie ; mais aussi des firmes à multiples tours et aux process de recrutement très exigeants, comme Amazon.

Il reçoit des jeunes diplômés de tous horizons, ou presque. Un tiers issu d'écoles de commerce, un tiers d'écoles d'ingénieurs et un tiers d'universités. A la question de savoir si chacun de ces profils types sait se vendre aussi efficacement, Matthieu répond par la négative. Il voit d'abord une différence entre les commerciaux et les ingénieurs. « Les premiers savent mieux se marketer. C'est inhérent à leurs études, les écoles d'ingénieurs forment moins bien à ça », constate-t-il. Quant aux universités, « elles sont historiquement moins inscrites dans une logique d'insertion professionnelle ».

Oral du concours : place aux communicants

Bien sûr, il existe des vendeurs de tapis hors pair qui sortent de l'université et des étudiants d'écoles de commerce aussi performants qu'un Houellebecq atone en promo sur les plateaux télé. Toutefois, ces derniers sont connus pour leur sens de l'autopromotion, en partie dû au fait qu'ils ont une conscience aiguë de la compétition. Le but n'est pas d'être bon, mais le meilleur. Un sentiment qui est intériorisé dès le début de leur parcours.

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Avoir les meilleures notes en terminale pour décrocher la meilleure prépa. Après deux ans de travail intensif, la lutte atteint son apogée au moment du concours, dont les résultats se feront à l'aune des sacro-saints classements. « Il est vrai que cette compétition les met plus à l'aise lors de la concurrence plus tard avec un grand nombre de candidats », assure Felix Papier, directeur général adjoint de l'Essec.

Et l'ultime épreuve à l'oral est un quasi-entretien d'embauche où chacun doit savoir exhiber ses plus belles passions-engagements, tout en se montrant le plus percutant sur son projet professionnel. « L'objectif de cet entretien est d'évaluer la capacité à communiquer, la confiance et la connaissance de soi », ajoute le responsable. Un exercice qui constitue un premier écrémage entre les bons et les mauvais « self-vendeurs ».

Elite de la nation or not ?

Si bien s'exprimer est toujours avantageux devant un jury, reconnaît Sophie Dimich-Louvet, directrice à HEC du recrutement étudiant, elle précise que les membres du jury sont aussi conscients que les étudiants continueront à améliorer leurs soft skills dans la suite du cursus. Et là est la grosse part de la valeur ajoutée des grandes écoles : le développement de ces savoir-être, avec une place toute particulière donnée au leadership.

A l'Essec, le 30 août dernier, soit le jour de la rentrée, les étudiants ont débuté leur année par un séminaire de prise de parole en public animé par des comédiens de théâtre. Après ces trois jours, ils ont travaillé sur les grands défis du monde. En bout de course, tous les groupes sont intervenus devant cinq cents personnes, profs et camarades de promo. S'est ensuivi un séminaire sur l'entrepreneuriat avec toujours le même rituel de fin : une présentation.

Au fur et à mesure de leurs années d'études et des projets de groupe, ils apprendront leurs points forts et comment charmer au mieux. « C'est cette confiance qui les aide à se mettre en avant avec assertivité lors des entretiens », estime Sophie Dimich-Louvet, qui tient à souligner le rôle dans leur préparation du soutien des profs et « l'excellente collaboration entre étudiants, s'entraînant parfois aux mêmes entretiens ».

Le monde de l'entreprise leur est familier, et ils finissent par s'y sentir à l'aise. Ils le côtoient via les cours des profs salariés de grandes entreprises, lors de stages ou de contrats en alternance (25 % de la promo à l'Essec), sans oublier les grands-messes des forums écoles-entreprises.

Certains diront que cette confiance en eux vient aussi du fait qu'on leur rebat les oreilles avec le mantra : « Vous êtes l'élite de la nation ». Mais dans les deux meilleures écoles françaises, on crie à la foutaise. « Personne ne dit ça », assure le directeur adjoint de l'Essec. « Je n'ai jamais entendu cette expression à l'école », avance pour sa part la responsable de HEC. Et de nuancer : « En revanche, nous affichons clairement notre volonté qu'ils deviennent les prochains PDG des boîtes internationales. »

Tout l'art du « personal branding » et du réseau

Pour arriver au sommet des comex, ils devront gravir tous les échelons hiérarchiques. A chaque entretien, la dimension réseau des grandes écoles sera primordiale : pour connaître en amont l'ouverture d'un poste, se renseigner sur les attentes de l'entreprise, voire la personnalité du recruteur. Un indice qui ne trompe pas : « Les grandes écoles imposent à leurs étudiants d'avoir un profil LinkedIn dès la première année et organisent des cours sur la façon de s'en servir », rapporte Anouck Racinet, consultante en développement professionnel à l'Apec.

Pour cette professionnelle qui accompagne les jeunes diplômés dans leur insertion, le « personal branding » fait partie des différences les plus prégnantes entre les deux modèles. « Les grandes écoles placent l'étudiant comme le sujet principal de leur carrière tandis que l'université apprend davantage à mettre en avant le fond, la matière, l'objet de la recherche menée plutôt que les étudiants eux-mêmes. »

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La posture en entretien des profils universitaires est plus travaillée et le discours plus percutant, moins théorique

Evelyne Saimandirectrice du recrutement et de l'attractivité chez Deloitte France

L'archétype étant le thésard. Plongé durant plusieurs années dans un sujet épineux, il aura tendance à mettre en avant ses trouvailles, les recherches de son labo ou l'aura de son directeur de thèse , plutôt que la persévérance dont il a fait preuve.

Heureusement, les choses changent. Cette consultante de l'Apec observe qu'à la faveur de la multiplication des licences et masters professionnels, l'opposition entre des écoles de commerce proches de l'entreprise et des formations universitaires éloignées du marché du travail serait en train de tomber. Elle cite Dauphine bien sûr, mais aussi la Sorbonne Nouvelle ou Paris Nord. Cette dernière a organisé en janvier dernier des simulations d'entretien d'embauche pour des licences scientifiques. « Une vraie réussite sur le plan de la confiance en soi », assure-t-elle.

Cette volonté de se rapprocher du monde de l'entreprise serait en train de faire tache d'huile. « Des universités et en particulier les IAE [instituts d'administration des entreprises] travaillent par exemple sur leur réseau alumni qui commence à monter en puissance », ajoute Jean-François Giret, professeur de sciences de l'éducation à l'université de Bourgogne.

Quid de l'avis des recruteurs ? « Je vois une vraie évolution ces dernières années », confirme Evelyne Saiman, directrice du recrutement et de l'attractivité chez Deloitte France, une entreprise qui recrute 1.600 collaborateurs par an, dont deux tiers d'étudiants et de jeunes diplômés (25 % issus d'universités françaises et étrangères).« Les profils universitaires sont de mieux en mieux préparés à la vie professionnelle. La posture en entretien est plus travaillée, le discours plus percutant, moins théorique », constate la recruteuse. « Et les cursus intègrent davantage de profs venant du monde de l'entreprise. »

La nuance doit également être de mise du côté des grandes écoles, insiste la consultante de l'Apec. « Certaines préparent mal et véhiculent des clichés sur les entretiens avec des listes de questions préparées à poser à chaque entretien », déplore Anouck Racinet, qui regrette de voir ces candidats perdre en spontanéité.

Les enfants des classes sociales favorisées savent mieux se vendre

Sélectionner des candidats sur l'aisance oratoire explique en partie le manque de diversité dans les grandes écoles (pour rappel : les étudiants des grandes écoles n'étaient que 9 % à être issus de CSP défavorisées alors qu'ils représentent plus d'un tiers de l'ensemble des jeunes de vingt à vingt-quatre ans) . Si on a beaucoup parlé de l'incidence de la culture générale, la capacité à communiquer et à avoir confiance en soi sont aussi des discriminants sociaux, d'après Marianne Blanchard, maîtresse de conférences à l'université Toulouse 2 et spécialiste de la sociologie des grandes écoles.

« Ces soft skills ne sont pas équitablement distribuées dans les couches sociales. Dans les milieux les plus favorisés, il y a un sentiment d'être légitime au monde. Il y a des enfants à qui on apprend certaines valeurs car, par exemple, ils portent tel ou tel nom de famille… à l'opposé du syndrome de l'imposteur, plus courant chez les enfants des milieux populaires », explique la sociologue, qui renvoie à l'enquête de Bernard Lahire, lequel a montré en 2019 que les différences de maîtrise du langage apparaissaient dès l'âge de cinq ans entre enfants de classes sociales différentes. A noter que, d'après une étude du Cereq, l'estime de soi et la communication sont les deux savoir-être qui ont le plus d'impact sur le niveau de salaires des jeunes diplômés de niveau master.

Florent Vairet

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