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Ces matières végétales qui pourraient remplacer le cuir

À base de champignon, de feuille d'ananas, de raisin, de pelure de pomme, de cactus… Sur fond de préoccupations environnementales, de bien-être animal et de communication vertueuse, de plus en plus de marques planchent sur des matières innovantes et naturelles pouvant se substituer au cuir.

Baskets Veja, modèle Urca en «cuir » synthétique.
Baskets Veja, modèle Urca en «cuir » synthétique. (DR)

Par Astrid Faguer

Publié le 11 sept. 2021 à 13:00

Pour leurs noces de cuir, Meghan Markle et le prince Harry ont reçu de la Peta deux paires de baskets Stan Smith d'Adidas en version végane. Soit une alternative respectueuse du bien-être animal et de l'environnement. Un clin d'oeil accompagné d'une lettre d'Ingrid Newkirk, militante et fondatrice de l'association de défense des animaux, pointant les pratiques de l'industrie du cuir : « Nous savons à quel point vous vous souciez des animaux et de l'environnement, contrairement à l'industrie du cuir, qui tue plus d'un milliard d'animaux [1,4 milliard] chaque année et dont le produit final est classé comme matière la plus polluante parmi les textiles. »

S'il faut reconnaître que, du tannage du cuir jusqu'à sa coloration, l'industrie dans son ensemble doit relever des défis pour réduire son impact environnemental et limiter l'usage de matières toxiques, les acteurs de la filière nuancent le propos. À commencer par Frank Boehly, président du Conseil national du cuir. « Il ne faut pas oublier que la filière est une activité de recyclage en soi, puisque les peaux existantes, qui sont un déchet de l'industrie agroalimentaire, sont revalorisées par nos soins. Sans nous, plusieurs millions de tonnes de peaux seraient brûlées ou jetées chaque année », rappelle-t-il.

Dans un contexte croissant de consommation responsable, et à l'heure où le véganisme fait des émules, de plus en plus de maisons de mode - géants du luxe compris -, collaborent avec des start-up innovantes pour imaginer les matériaux de demain reprenant l'aspect du cuir. « Nous n'avons ni restrictions ni réticences face à l'apparition de ces nouveaux matériaux en adéquation avec l'environnement. Bien au contraire. En revanche, nous insistons sur le fait que l'appellation cuir végane ne peut être utilisée, puisque par définition le cuir est de nature animale », précise Franck Boehly.

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Potentiel innovant

Stella McCartney , qui refuse le cuir dans ses collections depuis l'année de création de son label en 2001, s'est associée en 2021 à la start-up californienne Bolt Threads pour concevoir une brassière et un pantalon en Mylo® (une matière naturelle renouvelable à l'infini, issue de racines de champignons appelées mycélium, revêtant l'apparence du cuir). Des pièces qui, si elles ne sont pas en vente aujourd'hui, affichent leur potentiel innovant.

Sac Stella McCartney en « Alter-Mat ».

Sac Stella McCartney en « Alter-Mat ».DR

Côté image, la griffe s'est offert les services de Paris Jackson, la fille du roi de la pop incarnant une nouvelle génération d'éco-activistes. En 2021 toujours, c'est une autre société californienne, MycoWorks , qui a travaillé main dans la main avec Hermès à la création du sac Victoria en Sylvania (matière également issue de la culture du mycélium, qui a été transformée en France chez Hermès par les tanneurs, puis façonnée par les maroquiniers au sein des ateliers). On se souvient également, chez Karl Lagerfeld, du lancement du cabas en cactus K/Kushion et de la campagne de publicité mettant en scène le top militant de la cause green, Amber Valletta.

sac O.V.N.I. d'Amélie Pichard en fibre de feuille d'ananas ou d'alocasia.

sac O.V.N.I. d'Amélie Pichard en fibre de feuille d'ananas ou d'alocasia.Julien Deceroi

Dans le même esprit, on se rappelle des sacs en fibre de feuille d'ananas ou d'alocasia de la créatrice Amélie Pichard pour son projet O.V.N.I. (Objets valorisés naturels ou innovants). « J'ai toujours aimé que ma marque soit un laboratoire d'idées où l'on pouvait expérimenter les matériaux. J'ai beaucoup travaillé le liège ou le raphia. Après ma collaboration végane avec Pamela Anderson, connue pour défendre la cause animale, j'ai eu envie de pousser les recherches pour trouver des alternatives au cuir qui soient à la fois écologiques et respectueuses du bien-être animal. Cela n'est pas si simple car, contre toute attente, faire le choix du végane n'est pas forcément écologique. Si aucune solution ne m'est apparue comme étant parfaite, certaines matières élaborées à partir de fibres naturelles comme la feuille d'ananas (Piñatex) ou l'alocasia m'ont semblé très sensées », explique-t-elle.

Ancienne consultante dans l'industrie maroquinière aux Philippines, Carmen Hijosa a quant à elle développé, après dix à douze années de recherche, le Piñatex, textile à base de fibres de feuilles d'ananas - matière avec laquelle elle a été finaliste du Prix de l'inventeur européen 2021 de l'Office européen des brevets. « En parcourant des fabriques de cuir aux Philippines dans les années 1990, j'ai réalisé à quel point le travail du cuir pouvait être toxique pour les hommes et la nature. C'est aussi aux Philippines que j'ai découvert les possibilités des fibres de feuilles d'ananas gâchées après la récolte, brûlées ou livrées à la décomposition. À partir de ce déchet, nous avons imaginé un matériau écologique. »

Des limites à ces alternatives

Côté qualité, le défi est d'envergure. Ces nouveaux matériaux alternatifs doivent respecter les exigences du marché, entre esthétique, robustesse, souplesse et imperméabilité. « Le Piñatex est un matériau imperméable, qui respire, qui est très léger, plus léger que le cuir traditionnel, et extensible. Aujourd'hui, nous travaillons avec plus de 3.000 marques dans 80 pays, pour la plupart issues du secteur de la mode, dont Paul Smith, Hugo Boss, H & M pour la collection Conscious ou la créatrice Guo Pei. Notre travail est davantage celui d'une collaboration, d'une réflexion commune autour de la matière et de ces possibilités, que celui de simple fournisseur », détaille Carmen de Hijosa. Toutefois, comme tout matériau de substitution, ces alternatives présentent des limites. « Elles ne se patinent pas comme le ferait un cuir animal », relève par exemple Amélie Pichard.

Veste de la styliste Matea Benedetti en Piñatex, «cuir» végétal réalisé à partir de feuilles d'ananas, selon un procédé développé par Carmen Hijoa.

Veste de la styliste Matea Benedetti en Piñatex, «cuir» végétal réalisé à partir de feuilles d'ananas, selon un procédé développé par Carmen Hijoa.DR

Côté basket, le phénomène se poursuit. Au-delà de l'emblématique Stan Smith, les modèles à base de résidus de raisin ou de liège (tels les Nérée ou Gaia chez Le Coq sportif ), ou en pelures de pommes (les modèles Cherry Divine de la marque Caval) débarquent progressivement sur le marché. Sans compter que Veja , label de baskets pionnier d'une mode responsable il y a quinze ans, a fait évoluer les mentalités. Il y a d'abord eu les modèles en cuir Chrome Free, issus d'un tannage innovant sans chrome, métal lourd ou acide dangereux, puis ceux en cuir de poisson - le tilapia, un poisson d'eau douce, dont la peau habituellement jetée a été transformée en cuir selon un procédé entièrement artisanal. « Les marques de mode ont très envie de montrer que le développement durable est une source d'innovation et lancent des premiers produits spectaculaires. Toutes ces pièces en matériaux émergents ne sont d'ailleurs pas forcément à vendre, d'autres ne sont disponibles qu'en petite quantité », note Elisabeth Laville, fondatrice du cabinet Utopies.

Après la fourrure et le cuir exotique, c'est au tour du cuir traditionnel de susciter les critiques et les interrogations des consommateurs. Si aujourd'hui les marques commencent à se mobiliser pour proposer une nouvelle génération de matières et de produits, la recherche n'en est qu'à ses balbutiements. Dernière trouvaille en date : Le « cuir » issu de la fermentation bactérienne de déchets agricoles ou issus de déchets de fleurs, comme chez la start-up indienne Phool . À voir si les consommateurs seront prêts à sauter le pas et si les produits résisteront au temps.

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Ce qu'il faut retenir

L'utilisation du mot cuir fait l'objet d'un décret de janvier 2010, qui précise qu'elle est interdite « dans la désignation de toute autre matière que celle obtenue de la peau animale au moyen d'un tannage ou d'une imprégnation conservant la forme naturelle des fibres de la peau ».

Le marché mondial du cuir est estimé à près de 460 milliards de dollars en 2019 par Grand View Research.

La France est le quatrième pays exportateur d'articles en cuir et de maroquinerie.

Le monde végétal est celui qui offre le plus d'alternatives au cuir pour le moment : mycélium de champignons, feuilles d'ananas ou d'alocasia, résidus de raisin, de liège, de pomme, de fleurs…

Astrid Faguer

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