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Sourdoués, l'unique école des métiers du numérique ouverte aux sourds

Se former au numérique 100% en langue des signes, avec des élèves et des profs eux-mêmes sourds, c'est ce que propose Sourdoués, une école lyonnaise unique en France. Son concept, prêt à essaimer dans d'autres villes, est à découvrir à l'occasion de la Journée mondiale des sourds célébrée le 25 septembre.

Seuls 5% des jeunes sourds entament des études supérieures et 2% les terminent
Seuls 5% des jeunes sourds entament des études supérieures et 2% les terminent (Michel Gonzalez - Signes & Formations)

Par Corinne Dillenseger

Publié le 17 sept. 2021 à 07:01Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:19

Le constat est sans appel : seuls 5% des jeunes sourds entament des études supérieures, 2% les terminent, au prix d'un véritable tour de force comme en témoigne Virginie Delalande, première avocate sourde.« Il faut savoir que 80% des personnes sourdes connaissent de réelles difficultés à lire et à écrire le français, commente Cédric Richard, directeur de l'école Sourdoués . Celles qui réussissent sont issues de familles sourdes et utilisatrices de la langue de signes, mais elles sont rares. »

Pour les autres, l'évolution professionnelle est plus chaotique et débouche souvent sur un emploi peu qualifié. « Les jeunes sont empêtrés dans des filières professionnelles comme la cuisine ou la menuiserie qu'ils n'ont pas forcément choisies. Certains n'ont jamais travaillé convaincus qu'ils n'en sont pas capables. Ils sont désabusés, isolés, incompris, avec comme seule perspective de toucher l'AAH [allocation aux adultes handicapés NDLR]. Un vrai gâchis !» déplore Cédric Richard.

Redonner confiance

Ce formateur connaît bien ces profils coincés entre échec éducatif, sentiment d'infériorité et culture de l'assistanat. C'est à eux que s'adresse en priorité l'école Sourdoués, portée par la SCOP Signes & Formations, et située près de Lyon sur le Campus numérique de la Région Auvergne Rhône-Alpes. « Nous voulons leur mettre le pied à l'étrier, leur donner l'occasion d'apprendre un métier qui leur plait vraiment dans un secteur avec de gros débouchés : le numérique », indique le directeur de l'école.

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Pour y parvenir, les jeunes suivent une formation certifiante de webdesigner (option UX/UI designer ou développeur web) labellisée Grande Ecole du Numérique , intégralement conçue et dispensée en langue des signes par des enseignants sourds. « Nos formateurs ont aussi un rôle de référent. Ils redonnent confiance aux jeunes en leur prouvant qu'on peut être un professionnel du numérique sourd, travailler et contribuer au bien commun en payant des impôts », martèle Cédric Richard.

Et les jeunes sourds en redemandent. « C'est génial, les enseignants signent directement, je comprends tout », témoigne Mathieu, 19 ans dans une vidéo tournée à l'école. Détenteur d'un CAP Menuiserie obtenu à l'Institut national des jeunes sourds de Paris et passionné par le dessin, il a suivi la formation de webdesigner à Sourdoués en 2020. « Ici c'est ma langue, j'apprends plus facilement, plus vite, c'est adaptée et accessible, c'est une vraie chance pour moi ! » confirme le jeune, recruté depuis comme graphiste chez un concessionnaire automobile parisien. Même constat pour Juliette, 28 ans, diplômée d'une école de photographie à Paris. « Avant, ça discutait dans tous les sens, c'était compliqué, j'avais du mal à suivre. Ici quand je ne comprends pas, je peux poser des questions en langue des signes, c'est top ! ».

Pour ces jeunes, c'est aussi l'opportunité d'exprimer leur sensibilité et leur talent pour les arts visuels et la conceptualisation. « Avec une langue visuelle et tridimensionnelle, ils ont une approche intuitive et directe, que ce soit dans les interfaces graphiques, les arborescences, les parcours utilisateurs… » appuie le directeur de l'école.

Un seul prérequis : maîtriser la langue des signes française

Depuis 2017, Les Sourdoués accueille entre 12 et 15 sourds et malentendants par an. Agés en moyenne de 22 ans, ils viennent de toute la France. Aucun diplôme n'est exigé. Seul impératif : maîtriser la langue des signes française (LSF). La sélection porte sur le CV et une vidéo de motivation en LSF, « pour estimer leur intérêt, leur objectif professionnel et leur niveau en LSF » tient à préciser Cédric Richard. Si l'étape est concluante, le jeune passe un entretien pédagogique en visio avec les formateurs, voire des tests de logique et de programmation s'il choisit l'option de développeur web.

La formation dure un an (930 heures de cours, 5 mois de pratique dans une entreprise) et est gratuite. Selon sa situation, le jeune se positionne sur un contrat de professionnalisation, bénéficie de l'Aide individuelle à la formation de Pôle emploi ou intègre le dispositif CARED (contrat d'aide au retour à l'emploi durable), un parcours spécifique à la Région Auvergne Rhône-Alpes qui prend en charge les coûts pédagogiques et la rémunération des stagiaires les plus fragiles et éloignés de l'emploi.

Un job à la clé

Pendant l'année, les étudiants préparent leur projet professionnel, rencontrent des DRH, des chefs d'entreprise, et sont poussés à mettre en avant leur employabilité. Et ça marche. « 40 étudiants sur les 46 formés depuis 2017 se sont vus proposés un emploi, souligne Cédric Richard, que ce soit dans des entreprises, des start-up, des PME ou des associations. »

L'école joue les entremetteuses, rassure et accompagne les employeurs. « Embaucher l'un de ces jeunes sourds permet à l'entreprise de se mettre en conformité avec la loi, répond à leur politique RSE Handicap et leur apporte des références culturelles et créatives différentes », argumente le directeur.

Forte de son succès, l'école ouvrira une formation de développeur web et web mobile à Toulouse le 23 octobre 2021 en collaboration avec WebForce3, et bien sûr toujours 100% en LSF. Une autre session devrait voir le jour à Lille ou Paris, à la rentrée 2022.

Corinne Dillenseger

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