Le 6 septembre 2019, un peu plus d’un mois après être devenu premier ministre, Boris Johnson avait visité le grand marché aux poissons de Peterhead, le premier port de pêche du Royaume-Uni, dans le nord de l’Ecosse. Il avait été accueilli à bras ouverts par des pêcheurs et des marchands de poissons convaincus par le Brexit. « Mais s’il revient aujourd’hui, il faudra qu’il se promène en voiture blindée », maugrée Will Clark, grossiste.
Deux ans après cette visite, et dix mois après l’entrée en vigueur effective du Brexit (le 1er janvier), l’amertume domine à Peterhead. Il est bientôt 8 heures du matin, le froid de la glace pour conserver les poissons engourdit les mains et les enchères sont presque finies dans le grand hangar qui reçoit la marchandise débarquée la veille. Will Clark, un colosse qui avait parlé quelques minutes à Boris Johnson lors de sa visite, a passé ses commandes du jour de cabillauds et de haddocks, qui iront alimenter les poissonniers britanniques. Lui qui a voté pour le Brexit – comme 92 % des pêcheurs – s’estime trahi. « On nous a vendu un rêve », résume-t-il. Celui de reprendre le contrôle des eaux britanniques, et, plus généralement, de retrouver la vie d’antan, quand Peterhead comptait plusieurs centaines de bateaux, contre quelques dizaines aujourd’hui.
« Pas les bons quotas »
Sur le Budding-Rose, son embarcation de 24 mètres, Peter Bruce revient de six jours en mer. Le temps de débarquer la marchandise et de passer quelques heures chez lui, il repartira avec son équipage de cinq personnes le soir même. La météo est bonne, il ne faut pas perdre de temps. Le capitaine accuse l’Union européenne (UE) d’avoir décimé la pêche britannique. Mais le Brexit ? « Quelle déception ! » Aujourd’hui, il n’est pas certain qu’il voterait de nouveau pour la sortie de l’Union européenne. En 2019, avant la pandémie de Covid-19, il faisait 1,5 million de livres (1,8 million d’euros) de chiffre d’affaires. « Cette année, j’aurai de la chance si j’arrive à 1 million. »
Sur le papier, les pêcheurs britanniques auraient de quoi être contents. Eux qui se sont retrouvés au cœur des négociations du Brexit ont récupéré une partie des quotas européens : 25 % de ce que les bateaux de l’UE pêchaient dans les eaux britanniques vont progressivement revenir aux Britanniques d’ici à 2026 (15 % dès cette année). Soit un chiffre d’affaires de 148 millions de livres (173 millions d’euros) transféré de l’UE vers le Royaume-Uni. « Mais ce ne sont pas les bons quotas », soupire Peter Bruce, fils et petit-fils de pêcheur.
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