On leur répète qu’ils sont l’« élite de la nation », mais ils ne veulent plus des postes auxquels leur diplôme de HEC, Polytechnique ou Centrale les destine. Quand ces éternels premiers de la classe découvrent qu’on a « oublié » durant leurs brillants cursus de leur parler de l’urgence climatique, que leur école de management ou d’ingénieurs ne les arme pas pour remettre en cause les modèles dominants, ils disent « non ». A des degrés divers, ils se révoltent et refusent de servir le capitalisme destructeur de la planète. Depuis 2018, Marine Miller, journaliste au « Monde », enquête sur cette jeune élite verte, leur rupture et les voies alternatives pour lesquelles ils optent. Elle le raconte dans un livre, La Révolte. Enquête sur les jeunes élites face au défi écologique, qui paraît jeudi 14 octobre aux éditions du Seuil, et dont nous proposons ici quelques extraits.
Bonnes feuilles. Née à la fin des années 1990 et au début des années 2000, une fraction de cette génération est en train de comprendre qu’elle sera la première à subir directement et de son vivant les conséquences du dérèglement climatique. Alors que la promesse d’un horizon stable s’éloigne, le « système » à l’origine de la crise climatique est tout à coup remis en question. C’est l’image de la matrice : quand on a pris la pilule rouge, celle de la vérité, on ne peut plus croire aux fausses promesses. L’insouciance pour eux est terminée. Et le « réveil » critique s’opère d’abord contre leur formation : comment se fait-il – qu’à aucun moment de leur brillante scolarité – le réchauffement climatique n’y ait été enseigné ? Quelles seront les conséquences de ces catastrophes à venir sur leur métier, le secteur professionnel qu’ils ont choisi ? Une interrogation plus profonde les travaille : comment rester aligné avec ses valeurs écologiques dans une entreprise qui participe au réchauffement climatique ? Faut-il résister, changer le système de l’intérieur, de l’extérieur, déserter, créer de nouvelles façons de travailler, de vivre ? Où trouver sa place ? Ces questions revenaient sans cesse. Des jeunes femmes et hommes, éduqués, se posaient les mêmes questions.
Tous ces étudiants, passés par de grandes écoles, protégés des crises économiques par leur diplôme s’étaient tout à coup « réveillés ». (…)
« En vérité, des gens comme nous, on n’a aucune raison de se révolter. » C’est avec cette formule que Corentin, 22 ans, élève ingénieur de l’Ecole polytechnique, résume son « profil » un jour de mars 2020 au café de la Renaissance, place Voltaire à Paris. Des gens comme lui ? Son aisance à l’oral, cette tranquille confiance en soi, il suffit d’un regard et d’une écoute attentive pour comprendre. (…) « Je suis né à Lyon puis j’ai grandi à Paris, dans le 17e arrondissement non loin du parc Monceau. Mon père a fait HEC puis il a créé sa boîte, ma mère est médecin. » (…) C’est en toute logique que ce brillant élève poursuit son parcours en classe préparatoire « MP » (maths-physique) dans l’établissement jésuite Sainte-Geneviève, à Versailles, appelé aussi « Ginette », réputé pour son taux de réussite aux concours des grandes écoles d’ingénieurs et de commerce. Admissible à Polytechnique et à l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, « l’école de la vraie science », il choisit l’X (…).
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