Groupes et indépendance professionnelle : une relation complexe

Ce rapport est destiné à apporter les éléments utiles à la réflexion de ceux qui s'interrogent sur les modalités de leur exercice futur.

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Maud LAFON

Exercice

Le déploiement des groupes de cliniques en France est-il compatible avec le maintien de l'indépendance, à la fois financière et d'exercice, des vétérinaires ? Pour répondre à cette question, le SNVEL* a réuni 14 experts au sein d'un groupe de travail. Leurs conclusions ont fait l'objet d'un rapport qui cible plusieurs points de vigilance.

Dans un rapport daté du 29 juin, le SNVEL* publie la synthèse issue de l'avis de 14 professionnels** sur « L'indépendance des vétérinaires praticiens en clientèle », destinée à apporter les éléments utiles à la réflexion de ceux qui s'interrogent sur les modalités de leur exercice futur.

Après avoir réuni en tables rondes les principaux responsables de grands groupes capitalistiques investissant les activités vétérinaires lors de ses Universités, les 1er et 2 octobre 2020 (lire DV n° 1543), et face au succès de cet événement et aux nombreuses interrogations qu'il a suscitées, le SNVEL a en effet souhaité prolonger sa réflexion autour de l'indépendance dans l'objectif « d'anticiper les évolutions auxquelles l'exercice vétérinaire en clientèle risque d'être confronté, d'envisager des solutions pour que le praticien puisse faire ses choix en ayant tous les tenants et aboutissants de ses décisions et que la profession reste attractive pour les futures générations, quelles que soient les solutions retenues par le législateur » (lire DV n° 1581).

Les professionnels ayant contribué à ce rapport ont été interrogés sur trois questions : les définitions de l'indépendance, les critères de choix du praticien pour préserver son indépendance et l'influence de l'apport de capitaux extérieurs sur l'activité vétérinaire.

Cinq entrées pour l'indépendance

La définition de l'indépendance a été appréhendée à travers cinq entrées : capitalistique, financière, d'exercice au quotidien, personnelle et déontologique.

La deuxième partie a été abordée sous forme de questions adressées au vétérinaire (que doit privilégier un vétérinaire dans ses choix professionnels, quelles peuvent être les conséquences négatives de la vente des capitaux à un investisseur...) et la dernière a analysé les différents types de capitaux extérieurs et leurs liens avec l'indépendance du praticien, les investissements, la gestion, l'évolution de la profession et la transmission ainsi que les clauses juridiques possibles dans un contrat entre actionnaires.

Ce rapport est le « fruit de plus de 6 mois de travaux et de débats avec des intervenants de tous horizons, destinés à permettre à chacune et chacun de se poser les « bonnes » questions, d'avoir les clés pour faire le choix qui leur convient de façon raisonnée et éclairée avec une parfaite connaissance des enjeux et des conséquences probablement irréversibles pour eux et leurs équipes » .

L'étape suivante va consister en une grande enquête professionnelle sur les attentes des vétérinaires.

Encore plus d'infos !

Le rapport est téléchargeable à l'adresse : https://urlz.fr/gyWm

* SNVEL : Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral.

** 1 expert-comptable, 4 avocats, 1 manager et 1 directeur de chaines de cliniques, 1 directeur de centrale d'achats vétérinaire, 1 dirigeant de laboratoire pharmaceutique à l'étranger, 1 représentant des laboratoires d'analyses indépendants, 4 vétérinaires présidents, directeurs ou gérants de sociétés.

Gros Plan : « Les potentielles entraves à l'indépendance ne sont pas l'apanage de grands groupes financiers »

Investi d'une mission de défense de l'exercice libéral, le SNVEL* s'attache, logiquement, à en garantir l'indépendance et a initié une réflexion de fond qui a débouché sur la rédaction du rapport présenté ci-dessus. L'objectif à ce stade est d'éclairer les vétérinaires qui s'interrogent sur la revente de leurs parts d'association, comme l'explique notre consoeur Françoise Bussiéras, vice-présidente du SNVEL et membre du comité de pilotage de la réflexion sur l'indépendance des vétérinaires praticiens en clientèle.

La Dépêche Vétérinaire : Vous faites partie du comité de pilotage de la réflexion sur l'indépendance des vétérinaires praticiens en clientèle mis en place par le SNVEL*. Qu'est ce qui a motivé la création d'un tel groupe de réflexion ?

Françoise Bussiéras, vice-présidente du SNVEL : L'indépendance fait partie intégrante de la définition de l'exercice libéral. C'est donc une valeur à laquelle le SNVEL, dont la mission est de promouvoir et défendre cet exercice libéral, est particulièrement attaché.

Nous avons voulu nous pencher sur le sujet suite à l'arrivée croissante de capitaux non vétérinaires dans l'actionnariat de nos entreprises et à la constitution de grands groupes qui pourraient induire une hiérarchie avec une influence sur le vétérinaire en exercice. Ces phénomènes, peu répandus en France jusqu'à ces dernières années, se sont diffusés rapidement.

Le SNVEL a suivi cela avec attention, en en surveillant notamment les aspects légaux. Le temps juridique étant très long, nous avons voulu entamer une réflexion de fond avec une réponse dans un temps réduit sur la pertinence et les conséquences de cette financiarisation pour nos entreprises et surtout, pour les femmes et les hommes qui y travaillent.

D.V. : Comment avez-vous choisi la constitution du Comité de pilotage ?

F.B. : Nous avons voulu ce groupe éclectique pour s'ouvrir à tous les points de vue, sans parti pris, ou plutôt avec tous les partis pris exprimés. Le Copil, appelé en interne le groupe Patou (chien indépendant par excellence), a donc accueilli huit vétérinaires de profils très différents, voire opposés : SNVEL, Ordre, vétérinaires exerçant pour un grand groupe, vétérinaire prônant l'indépendance, etc.

Nos discussions se sont toutes déroulées en visioconférence, avec des débats très ouverts et dans une ambiance détendue, avec beaucoup de respect et d'écoute de chacun malgré nos différences.

D.V. : Quel est l'objectif de ce travail ?

F.B. : L'objectif final est d'identifier les facteurs qui pourraient entraver l'indépendance du vétérinaire en clientèle afin que celui-ci fasse des choix éclairés à la fois sur le plan individuel mais aussi collectif, en particulier sur ce qui influencera le profil et l'attractivité du métier de vétérinaire en clientèle dans les années à venir.

Nous en sommes à la première étape : le Groupe Patou a interrogé 14 « experts » du sujet en gardant comme critère de sélection le même éclectisme que dans le groupe pilote. Ces entretiens ont été compilés dans un rapport accessible à tous sur le site en ligne du SNVEL (https://urlz.fr/gyWm).

Notre objectif à ce stade est d'éclairer les vétérinaires qui s'interrogent sur la revente de leurs parts d'association. En lisant ce rapport, ils auront accès à toutes les questions utiles à leur prise de décision dans l'hypothèse où elles n'auraient pas toutes été évoquées dans leurs discussions avec les potentiels acheteurs. Ils trouveront aussi des conseils sur l'accompagnement qu'il faut envisager dans une telle démarche.

D.V. : Quelles sont les principales conclusions de cette réflexion et certaines d'entre elles ont-elles été inattendues ?

F.B. : La première conclusion de ce rapport, qui explique pourquoi parfois des avis divergent et s'affrontent, est qu'il y a plusieurs définitions de l'indépendance ! Et, avant de se lancer dans une discussion, il faut savoir de quelle indépendance on parle. Le premier chapitre du rapport est consacré à ces définitions. Il y a des indépendances auxquelles chacun pourra choisir d'adhérer ou pas, et une indépendance en particulier qui sera incontournable pour tous : l'indépendance déontologique. 

Ensuite, cette réflexion a permis de mettre en évidence que les entraves à l'indépendance ne sont pas l'apanage de grands groupes financiers mais peuvent se cacher aussi dans le lien de hiérarchie qui existe entre un associé et ses vétérinaires salariés, posant la question de la légitimité du salariat dans une profession libérale réglementée.

Une large communication nous semble nécessaire auprès des vétérinaires eux-mêmes, en particulier des jeunes, afin qu'ils connaissent leurs droits et les limites des contraintes qu'on peut leur imposer, quel que soit leur statut, en particulier en termes de choix de prescription ou de quota d'actes ou de chiffre d'affaires.

L'origine des fonds placés dans certains groupes est bien souvent méconnue des vétérinaires qui s'en rapprochent car parfois opaque, en tous cas non affichée, alors même que les dividendes tirés de l'activité vétérinaire profitent à ces investisseurs.

Une des clés de la réflexion repose sur le fait que les intérêts divergent entre les vétérinaires proches de la retraite et ceux qui ont encore de nombreuses années à exercer, non seulement sur le plan de l'indépendance d'exercice, qui serait potentiellement contrainte pendant plus ou moins d'années, mais aussi sur le montant de la rémunération totale perçue par le vétérinaire en fin de carrière, cumulant rémunérations annuelles et revente de sa clientèle.

Enfin, nous avons été surpris mais contents de voir que la publication de notre rapport début juillet 2021 n'a eu, à notre connaissance, que des retours positifs. Ceci peut s'expliquer par le fait que ce rapport est une compilation exhaustive d'avis et ne prend pas parti.

D.V. : A ce stade, quels conseils dégagez-vous pour les praticiens intéressés par ce mode d'évolution de l'exercice, à savoir la vente de leur structure à des groupes, et les points de vigilance à leur indiquer ?

F.B. : Si on parle bien de l'évolution vers la revente de son capital à un financier, la principale leçon à retenir est que le sujet est complexe en particulier sur le plan juridique et qu'il est, à notre avis, incontournable pour les vétérinaires qui envisagent de vendre leur société de s'entourer de conseillers aguerris au sujet (et eux-mêmes indépendants) et de lire le rapport.

D.V. : Quelles seront les étapes ultérieures ? Le SNVEL envisage-t-il de prendre position sur le sujet ?

F.B. : Le sujet sera bien évidemment débattu avec les adhérents, après une enquête auprès de l'ensemble des vétérinaires.

Les questions sont déjà listées dans la deuxième partie du rapport.

La discussion pourrait se tenir en assemblée, par exemple à l'occasion d'un débat lors des Universités du SNVEL, auxquelles peuvent assister tous les adhérents.

* SNVEL : Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral.

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1589

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