Mercredi 12 h 30, c’est le rush. Toaster le pain, envoyer la sauce ketchup, lâcher cornichons et oignons, glisser le steak entre deux tranches de cheddar, refermer et emballer le tout : à chacun sa mission éclair. Les « équipiers », répartis sur quatre lignes droites, rejouent à l’infini une chorégraphie au cordeau. A la guerre comme à la guerre, dans la cuisine du McDonald’s de Viriat (Ain). De l’autre côté du comptoir, les enfants exigent leur « Happy Meal ».
Le front se situe à l’entrée de la zone commerciale La Neuve, en bordure de rond-point, à deux kilomètres au nord du centre de Bourg-en-Bresse. « Ici, c’est comme la Légion, une fois qu’on a fait ça, on peut tout faire », assure Rouben Malians, 62 ans, locataire gérant du restaurant. Ce franchisé chapeaute cinq autres McDonald’s dans la région. « On a remplacé l’armée. A mon sens, c’est le dernier endroit où, sans distinction de race, d’études ou de religion, on entre à niveau égal pour apprendre à faire tous la même chose : couper les tomates, faire les frites et les hamburgers. »
Amanda Hezzaz n’a pas été acceptée ailleurs. « Déscolarisée » à 16 ans, elle évoque sa « galère » au lycée, quand elle n’a trouvé de place « nulle part ». McDonald’s représente alors une école de la deuxième chance, comme pour nombre de ses collègues aux parcours cabossés. « Au début, j’avais honte de travailler à McDo. Je ne voulais pas aller dans celui du centre, j’avais peur qu’on se moque de moi de pas faire de grandes études. Mais, au final, c’est pas un travail nul. »
Troisième d’une fratrie de six, la salariée de 17 ans attend chaque jour sa mère, femme au foyer, qui fait les allers-retours en voiture dès qu’elle peut. Ses parents, Marocains tous les deux, sont divorcés : « Mon père est resté au Maroc, précise Amanda Hezzaz, face à un McFlurry aux M & M’s, avec nappage caramel. Il est dans les caftans, les robes de luxe et de mariée. »
« On rigole, mais le travail est fait »
Pointer à McDo permet d’abord de retrouver un cadre et des amis : « J’avais rien à faire, je dormais toute la journée. Ici, tout est en ordre. On rigole, mais le travail est fait. Brian [le directeur du restaurant], il a cru directement en moi : ça m’a donné la foi. » Musulmane, Amanda fait ses cinq prières par jour, chez elle, avant et après le service. Avec son salaire, elle s’offre « des caprices : des vêtements, du maquillage, un peu de tout… ».
Comme Amanda, Hiba Belhoua vient de passer aux 35 heures, le maximum possible. Elle aussi arbore d’immenses faux cils noirs, à la façon des filtres sur TikTok. On la remarque avec son polo rose, quand tous les autres « équipiers polyvalents » sont en bleu marine. Le rose, c’est l’uniforme de l’hôtesse d’accueil : Hiba court d’une table à l’autre pour servir les clients pressés. « Plutôt que rien faire, ça me change les idées d’être là, je vois des nouvelles personnes tous les jours », dit-elle. Elle veut devenir infirmière.
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