Il a fallu un peu de temps à Clément Farizon pour lui expliquer à distance les subtilités de Skype, mais le visage de sa grand-mère est bien là, sur le petit écran de télévision. A 84 ans, elle n’a pas pu faire le déplacement depuis Avignon pour rejoindre sa fille et son petit-fils. « Dis quelque chose, mamie ? », teste Clément, installé dans le salon de la maison de sa mère, à une dizaine de kilomètres de Dijon. « T’as une voix de prof ! », lance sa grand-mère, très à-propos.
A 23 ans, le jeune homme débute comme enseignant stagiaire d’histoire-géographie dans un collège rural à 40 kilomètres de Dijon. Il est la dernière recrue de cette « famille de profs sur quatre générations » dont trois, grâce à la technologie, sont réunies dans cette pièce. Isabelle Farizon, 58 ans, est professeure de français dans un lycée près de chez elle et Josette Combes l’a été jusqu’à sa retraite, en 1991.
Au bout de quelques minutes de conversation consacrée à leur métier commun, le salon résonne de francs éclats de rire. Pourtant, Josette ne plaisante pas. Depuis que Clément a obtenu son concours, elle ressent de la fierté, mais elle se demande surtout « dans quelle galère il a mis les pieds ! ».
Elle a beau avoir « aimé enseigner », elle en « connaît les difficultés ». Elle n’a pas oublié la fin de sa carrière dans un collège en zone prioritaire, à Montpellier : « On travaillait d’arrache-pied avec certains élèves, mais je me rendais bien compte qu’il existait une emprise du milieu social que l’école n’arrivait pas à vaincre. » Elle se souvient de ces lundis où ses collègues prenaient le journal local pour voir quels élèves avaient été arrêtés par la police durant le week-end. Au bout de dix ans, elle a pris sa retraite anticipée, « par désespoir et par impuissance ». Elle en est sûre, ça n’a pas dû s’arranger depuis.
Assise à côté de son fils, Isabelle concède l’avoir aussi « mis en garde », pour d’autres raisons. Devenir enseignant en 2021 n’est plus tout à fait la même chose que quand elles ont embrassé la profession, et pas seulement à cause du Covid-19, avec les cours masqués et la menace de l’école à distance.
Un « certain prestige » aujourd’hui envolé
Josette replonge en 1961, l’année où elle a commencé. Pas de vocation chez elle. Sa mère, institutrice, l’avait poussée vers ce métier parce qu’il « permettait de gérer une partie de son temps de travail et donc d’avoir une vie professionnelle tout en élevant des enfants ». C’était aussi « la promesse d’un bon salaire, surtout pour une femme », se rappelle-t-elle. Exercer un métier nécessitant un haut niveau d’études à une époque où à peine plus de 11 % d’une génération avait le bac lui donnait un statut à part, et un « certain prestige ».
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