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Reportage

L’ouverture d’une librairie indépendante ravive un village du Morbihan

Comment ça va le commerce ?dossier
A rebours de la désertification qui frappe de nombreuses communes rurales, la bourgade d’Augan, dans le centre Bretagne, vient d’ouvrir la Grange aux livres, une boutique culturelle, sous l’impulsion de porteurs d’un projet singulier.
par Damien Dole
publié le 22 octobre 2021 à 7h49

Il n’y a pas foule dans le centre d’Augan ce matin d’octobre. Enfants à l’école, parents au travail à Vannes ou Rennes, ou dans les champs à côté. Ce vide s’explique peut-être aussi parce que la boulangerie est fermée aujourd’hui, et que c’est désormais l’un des seuls commerces qui subsiste au centre de cette petite ville du Morbihan. A quelques mètres de son rideau tiré, une enseigne blanche et beige ouvre ses portes ce jour-là, la Grange aux livres. Une librairie dans une commune rurale de 1 600 habitants. Un rayon de soleil autant qu’une incongruité dans ces petites villes qui se vident de leurs commerces et services publics depuis des décennies.

«C’est superbe cette ouverture, s’enthousiasme Nina, jeune retraitée, lunettes de soleil sur le nez. Cela nous évitera d’aller jusqu’à Ploërmel», à dix kilomètres d’Augan. Auparavant Nina et son amie Marinette, également retraitée, allaient en voiture dans les grandes surfaces chercher leurs bouquins. «Mais je n’aime pas, en plus cela tue les petits commerces. Dans une librairie, tu peux parler avec les gens, cela fait chaud au cœur.» Cette ouverture, c’est l’occasion de parler de tout ce qui a fermé au centre du village. Les deux copines regrettent la boucherie qui a fermé en 2015, parlent de ces trois boulangeries qui existaient ici il y a encore trois ou quatre ans et des services publics dématérialisés qui les obligent à aller sur Internet. Des obstacles en plus alors qu’elles préféreraient avoir quelqu’un avec qui discuter.

Espoir pour redynamiser le centre-ville

La Grange aux livres est née dans la tête de deux habitants d’Augan, après une soirée au Champ commun, l’épicerie solidaire et restaurant du village, située à deux pas. Carole Lancon Josset a travaillé dans le milieu du livre, Damien Berthy dans l’économie sociale et solidaire. Ils ont été ralentis par le Covid, ont failli tout bazarder quand une librairie s’est ouverte à Ploërmel, la grande ville du coin. Mais ils ont tenu, en ajustant un peu leur offre. Damien, pull rouge et noir, a suivi une formation pour être à l’aise avec les ressorts d’une Scic, un type de société qui permet aux clients comme aux collectivités de devenir associés. Avec Carole, ils ont fait une étude de marché, trouvé un bâtiment qui abritait un restaurant dans la rue principale qui n’a pas survécu à la pandémie. Au total, 80 amis et habitants sont devenus associés moyennant 100 euros ou plus. Même la mairie a investi, voyant dans ce projet un espoir pour redynamiser le centre-ville. Et la librairie a pu se lancer.

D’emblée, Carole et Damien assument un projet «politique». Pas dans le sens d’une orientation idéologique de leur librairie mais autant philosophique que d’engagement de terrain. «On n’a pas envie qu’Augan soit comme toutes ces villes-dortoirs, explique Damien. Il faut faire vivre les communes où on habite.» Sauf que des décennies de politiques néolibérales et d’aménagement du territoire favorisant les métropoles ont fait disparaître les administrations, les commerces et donc une grande partie des habitants de la France rurale. «Ce qui a tué la convivialité des petites villes, c’est aussi la dimension rectiligne des routes, avance Mathieu, parmi les cofondateurs du Champ commun. La quatre voies du coin, qui traverse la Bretagne, cela a été vu comme un progrès alors que cela a été le début de la fin pour les petites communes bretonne.» On avale les kilomètres en filant direct vers sa destination ou la mer, plus loin, mais on ne s’arrête plus.

S’il est difficile de mesurer le nombre de librairies qui ont ouvert ou fermé dans les espaces ruraux ou les petites villes depuis le Covid, la dynamique semble plutôt positive, notamment en Bretagne et dans l’ouest de la France. Ce phénomène de renouveau n’est pas apparu avec la pandémie, la tendance est observée depuis une dizaine d’années, analyse Guillaume Husson, du Syndicat de la librairie française. «Nous n’avons jamais autant parlé des librairies indépendantes que depuis les confinements. Et les libraires s’inscrivent aussi dans cette recherche de consommer autrement», explique-t-il.

«On sera complémentaires»

Ce dont une librairie a besoin dans ces territoires moins denses ? «Quand on ouvre dans une petite ville, il faut devenir un acteur social, travailler avec le territoire, les écoles, d’autres commerces, cinémas, théâtres…» insiste Guillaume Husson. Et pour équilibrer son modèle économique, parfois s’ouvrir à d’autres activités.

Dans les prochains mois, la Grange aux livres va donc travailler avec Timbre FM, une radio associative créée en 2009 qui s’est installée dans l’ancien bureau de poste d’Augan, faire venir des auteurs et voir avec la Canopée, la librairie de Ploërmel, s’il est possible parfois de mutualiser les frais de transport. «Je ne les vois pas comme des concurrents, on sera complémentaires», assure Carole, cheveux marron détachés et sourire que l’on devine sous son masque. Les deux fondateurs ont même conservé la licence IV du restaurant qu’ils ont remplacé. Sans savoir aujourd’hui ce qu’ils pourraient en faire, cela ressemble à une manière de se placer dans la tradition d’Augan où l’on a compté jusqu’à une vingtaine de bars à une époque, selon Nina et Marinette. A l’époque, certains commerces installaient souvent un comptoir en plus de leur étal. La ville a même un temps abrité un audacieux bar-pompes funèbres.

Avec son salon de coiffure, sa boulangerie, l’épicerie le Champ commun et la Grange aux livres, Augan et ses 1 600 habitants sont dans la moyenne du nombre de commerces dans les communes rurales. L’Insee comptait dans ces espaces 28 commerces de proximité pour 10 000 habitants, contre 63 pour les communes urbaines, selon l’une des dernières études disponibles sur le sujet. Pour le secteur des loisirs, de la culture et des technologies de l’information et de la communication, l’écart est encore plus important : 2 pour 10 000 habitants dans le rural contre 6 dans les communes urbaines. Et même si le gouvernement a fait de la revitalisation des centres-villes l’axe principal de sa politique d’aménagement du territoire, une multitude de petites villes passent sous les radars : l’opération Cœur de ville ne concerne en effet que les villes comptant entre 10 000 et 100 000 habitants.

«Réseau associatif fort»

Si la Grange aux livres a ouvert à Augan, c’est aussi parce que le village est un biotope bien spécial. «Cette ouverture est formidable mais pas illogique. C’est un village particulier, avec un réseau associatif beaucoup plus fort qu’ailleurs pour une ville de cette taille, il y a une dynamique de cocréation», avance Grégory, prof de français pimpant de 46 ans, qui se dit «fier» de ce nouveau lieu. Ouverte en 2010 en Scic également, l’épicerie solidaire le Champ commun est la figure de proue de ce fourmillement local. Une bière, «l’auganaise», y a longtemps été brassée dans ses sous-sols. On y vend aussi des légumes et de la viande du coin.

Sur la terrasse, Mathieu, barbe poivre et sel, laine orange sous une veste bleue, raconte sa ville d’adoption – il a grandi à Lille – et cette «très forte vie communautaire et associative» : «Nous faisons de la nourriture, et la librairie va offrir de la nourriture culturelle, indispensable aussi. Plus on aura de commerces, mieux nous pourrons accueillir ceux qui viennent d’ailleurs.»

Dans la Grange aux livres, le fonds de bandes dessinées est plus nourri qu’ailleurs. On y voit un étal sur la Bretagne, les fées et la forêt de Brocéliande toute proche, des livres d’occasion pour toutes les bourses. Côté essais, Frantz Fanon, Pierre Bourdieu, un livre sur Bernie Sanders côtoient un titre sur Jacques Brel. Deux étagères sur le féminisme et autant sur l’écologie, on sent la couleur intellectuelle du lieu. Les sociétaires ont choisi entre 2 000 et 3 000 ouvrages parmi le fonds qui pourra aller jusqu’à 7 500 titres. «Mais on n’est pas fermé ! dit Carole. Si quelqu’un nous commande des ouvrages que l’on ne souhaite pas mettre en avant, évidemment qu’il pourra l’acheter ici.»


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