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Moi JEune : «On dirait que mon téléphone me dit “reste sur TikTok“»

Moi, Jeune...dossier
Qu’ils soient influenceurs ou addicts au réseau social, quatre jeunes racontent comment la plateforme de courtes vidéos s’est imposée dans leur quotidien.
par ZEP Zone d'expression prioritaire
publié le 26 octobre 2021 à 11h39

En publiant ces témoignages, Libération poursuit son aventure éditoriale avec la Zone d’expression prioritaire, média participatif qui donne à entendre la parole des jeunes sur les sujets qui les concernent. Ces récits, à découvrir aussi sur La-zep.fr, dressent un panorama inédit et bien vivant des jeunesses de France. Retrouvez ici les précédents épisodes de «Moi JEune»

«J’avais peur de laisser passer ma chance, j’ai dit non à mon premier CDI»

Louis, 24 ans, Hauts-de-France

«Ma première vidéo sur TikTok a fait 2 000 vues. Une pote m’a dit qu’elle ne savait pas comment sélectionner des produits pas chers et bons pour sa peau. Alors, je suis allé au supermarché à côté de chez moi, un Carrefour, et j’ai fait une vidéo sur les produits de beauté à acheter ou pas. En quelques jours, je suis passé de 0 à 1 000 abonnés. J’ai commencé en janvier 2021 et ça a été assez rapide. En un mois, j’en avais 10 000. Aujourd’hui, j’ai une communauté de presque 500 000 abonnés.

«Cette première vidéo ne nécessitait pas de me créer un personnage. Mais très vite, c’est devenu une vraie mise en scène. A l’époque, je bossais chez Sephora. Je me réveillais tous les matins à 7 h 30, je réfléchissais au sujet que je voulais traiter, et je préparais la vidéo pour pouvoir la tourner le soir après le travail. A 18 heures, je tournais la vidéo que je publiais à 20 heures avant de passer en live à 21 h 30. Tous les soirs, pendant trois mois. Quand on te dit qu’un influenceur ne bosse pas… Pour en arriver à ce stade, il faut charbonner, il n’y a pas de secret !

«Au même moment j’ai passé un entretien pour un super poste avec un très bon salaire mais, après avoir accepté le job, je me suis dit : “Louis, tu vas vraiment cumuler un taff plus TikTok ?“ J’avais vraiment peur de laisser passer ma chance. Alors, après y avoir mûrement réfléchi, à 24 ans, j’ai officiellement dit non à mon premier CDI.

«Au mois d’avril, les marques commençaient déjà à me contacter pour des collaborations rémunérées. J’ai eu la chance d’être épaulé par des tiktokeurs qui m’ont expliqué comment ça fonctionnait. Tu as vite fait de te faire avoir par les marques. Au tout début, une agence m’avait proposé trois vidéos pour un prix vraiment dérisoire… J’avais accepté car je ne connaissais pas encore assez bien les prix du marché. Depuis, je reçois des dizaines de mails par jour pour des demandes de partenariat, mais j’ai des critères de sélection. Je fais très attention à ce que je mets sur ma peau. Par exemple, je ne recommande pas des produits qui contiennent de l’alcool. Je peux faire quelques exceptions, mais je suis intransigeant. C’est aussi pour ça que j’ai une grosse communauté : les gens me font confiance, alors je me dois d’être ultratransparent.

«Etre tiktokeur, ce n’est pas que créer du contenu. Les vidéos, c’est deux-trois heures par jour et, le reste du temps, c’est ouvrir des mails ou relire des contrats. Une partie juridique assez intense et complexe. Encore une fois, j’ai la chance d’être épaulé là-dessus ! Certains tiktokeurs préfèrent déléguer toute cette partie administrative et de négociations. Mais les agences prennent 20 à 30 % de ton chiffre, ces commissions sont monstrueuses !

«Mes semaines, c’est du sept jours sur sept. Je n’ai pas de jour de repos, mais c’est parce que j’adore ce que je fais ! TikTok, c’est une plateforme qui demande de la constance, il faut y être tous les jours. Il y a des nouveaux challenges tout le temps, des buzz auxquels tu te dois de répondre au quotidien. Suivre les tendances, c’est le meilleur moyen pour grimper ! On ne sait pas comment le réseau va évoluer. Si ça fait comme YouTube, on sera là pour longtemps. Quoi qu’il arrive, ça aura été une expérience incroyable. Même si ça reste du virtuel, monter une communauté de 500 000 abonnés, c’est quand même un truc de fou !»

«J’aimerais trop passer du statut de fan à celui de célébrité»

Anaïs, 17 ans, lycéenne, Paris

«Je passe mes journées sur TikTok. Une fois que je fais le geste “swipe“ [défiler], c’est fini. On dirait que mon téléphone me dit “reste !“, c’est comme une drogue. Le mieux, c’est de suivre les tiktokeurs, mais pas les gros qui ont des millions d’abonnés. Je préfère ceux qui ont la même vie que moi. Ils montrent leur famille, ils vont à l’école, comme moi. Ils ont entre 45 000 et 119 000 abonnés chacun, ils font tout le temps des vidéos drôles et, dans la rue, les gens les reconnaissent. Ils se filment en racontant leur vie, ils font des blagues. Ces tiktokeurs, ils ne se prennent pas pour des stars. Ils viennent du 93 ou du 95. Abdel, c’est un tiktokeur connu mais “normal“, il montre sa famille. Des fois, dans les vidéos, on entend son père qui lui dit : “Arrête avec tes tiktoks, range ta chambre, tu ferais mieux de travailler !“

«L’autre jour, il a posté un tiktok en chantant “désolé d’être jeune et d’être moi-même“, en reprenant les paroles de Lydia, une chanteuse algérienne. Sur sa vidéo, il a écrit : “Ma mère : “c’est pas TikTok qui va te donner du travail !““ Cette vidéo m’a fait rire parce que ma mère aussi me dit tout le temps ça quand elle me voit faire mes vidéos. Souvent, les tiktokeurs préviennent où ils vont, genre aux Champs-Elysées ou aux Tuileries, et ils nous disent de passer les voir… Le jardin des Tuileries à Paris, c’est vraiment un spot. On y allait avec mes potes pour les croiser. On les a vus souvent. Ils sont cool, accessibles. Je me sens proche d’eux.

«J’ai même participé à une vidéo de Momorze, qui a 119 000 abonnés. Il fait souvent des vidéos humoristiques, où il va vers les gens, au hasard en les filmant. Ça s’appelait “Comment redonner le sourire aux gens“. Il est venu vers moi et ma copine. Ensuite, il est reparti et ma pote m’a convaincue d’aller prendre une vidéo avec lui. J’avais peur de passer pour une fan…

«Ça me fait plaisir de discuter avec eux. Au final, c’est un peu comme mes potes. En vrai, ils ont la même vie que moi, ils sont au lycée, ils vivent en banlieue, ils sont fiers de leurs origines. Comme moi ! Je voudrais trop percer sur TikTok et devenir connue comme eux. Ils n’ont pas de talent particulier et sont moins célèbres que les influenceurs de la téléréalité, mais je voudrais leur ressembler. Surtout parce qu’ils font rire. C’est important de rire. J’aimerais trop passer du statut de fan à celui de célébrité. Pour continuer à aller aux Tuileries, mais que les jeunes me courent après et pas l’inverse !»

«Je suis vraiment addict à ce réseau social»

Mélissa, 15 ans, lycéenne, Trappes (Yvelines)

«Moi et ma famille avons tous TikTok, mais mon frère est le seul à poster des vidéos… sur notre chien. Moi, je ne poste pas mes vidéos car je pense que ça ne va mener à rien. Sur TikTok, il y a ceux qui montrent leurs talents dans le sport, le chant ou la danse, mais il y a aussi ceux qui font des blagues “stupides“ à leurs amis.

«Je passe environ deux heures par jour sur l’application. Je ne vois pas le temps passer. Et à force de tourner, tourner, je tombe sur un challenge qui me plaît. Du coup, je le fais. Je pose mon téléphone sur mon bureau, je cours sur mon lit, comme il y a un minuteur de cinq secondes, et je danse. Je fais ça pendant vingt minutes avant de réussir mon challenge. Je fais ces danses pour m’amuser, je les garde dans mes brouillons. De toute façon, je n’aime pas et n’arrive pas à faire des montages.

«Cette addiction a des inconvénients… Je passe plus de temps sur mon téléphone qu’avec ma famille, je suis moins productive dans la journée… Certains défis peuvent même être dangereux. Récemment, en Nouvelle-Zélande, à cause d’un nouveau challenge TikTok, un magasin a pris feu. Ce défi consiste à ouvrir un paquet de chips, d’en manger quelques-unes et ensuite de mettre le feu au paquet dans le supermarché. Il y a aussi des avantages, comme booster sa créativité, s’inspirer des outfits [tenues] des utilisateurs… Je suis vraiment addict à ce réseau social car quand je défile une vidéo, ça donne envie de défiler encore et encore…»

«La dépendance était devenue un problème dans mon quotidien»

Garance, 15 ans, lycéenne, Paris

«Comme presque tous les jours, après avoir pris mon goûter et fait mes devoirs, je m’allonge dans mon lit et j’ouvre TikTok. C’est parti pour plus d’une heure de visionnage. Je scrolle, encore et encore… On ne voit vraiment pas le temps passer sur TikTok, c’est fou. Je regarde des vidéos humoristiques, des performances, des make up. Dans mes “Pour toi“ [sélection de contenus générée par l’algorithme du réseau social] se trouvent majoritairement des filles, jeunes et belles, souvent avec un corps parfait. Elles dansent, chantent ou montrent leur quotidien, qui est bien sûr extraordinaire. Et comme tous les soirs, le même sentiment revient.

«Pendant que les autres adolescents vivent tous une vie de rêve, font des sorties avec leurs amis, voyagent, font des tas d’activités, je me trouve là, dans mon lit, avec le reflet sur l’écran de mon téléphone. Je vois ma tête avec mes cheveux en pétards, mes boutons, mes cils trop petits et mon nez trop grand et, petit à petit, les larmes qui coulent sans que j’arrive à les arrêter.

«Le lendemain, c’est la même histoire. Après avoir enfilé mes chaussures et mon manteau, je jette un dernier coup d’œil dans le miroir. Et là, tout me revient. Les vidéos de la veille ou même celles de la semaine dernière et du mois dernier. Les filles et leurs visages parfaits, leurs habits parfaits, leurs corps parfaits, leurs vies parfaites. J’y repense sur le trajet de l’école, en cours de maths, à la cantine, durant le cours de volley-ball… Et je me dis que j’aurai toujours mes boutons et mes cils trop petits. Mon corps imparfait et mes complexes. Ma vie trop banale et mon impression d’être inutile. Et pourtant, malgré toutes ces pensées assez sombres, en rentrant chez moi, c’est reparti, je m’allonge dans mon lit et j’ouvre à nouveau l’application.

«J’ai peu à peu réussi à m’éloigner de cette appli, à perdre cette dépendance qui était devenue un réel problème dans mon quotidien. De plus en plus de vidéos montrent le côté “fake“ des réseaux, le fait que ce ne soit pas la vraie vie. Ça m’a beaucoup aidée à comprendre que je voyais seulement quelques minutes du quotidien des gens, et que je ne connaissais en réalité rien à leur vie. Ils ont sûrement, eux aussi, pleins de problèmes et de complexes. J’essaie maintenant de vivre ma vie pleinement, de sortir avec mes amis et ma famille plutôt que de rester allongée dans mon lit en regardant les réseaux sociaux. Aujourd’hui, je regarde ce que j’ai et ce qu’ils n’ont pas !»

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