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La Cour des comptes relance le chantier de l'autonomisation des universités et vise les régions

Une note d'enjeux structurels de la Cour des comptes met en lumière les blocages dans l'autonomisation des universités. Parmi les pistes de réflexion : la création de "collèges universitaires" qui associeraient plus étroitement les régions.

Le modèle universitaire français hésite encore entre centralisation et autonomie et reste inabouti. C'est ce qui ressort d'une note d'enjeux structurels publiée par la Cour des comptes le 21 octobre 2021 et intitulée "Les universités à l’horizon 2030 : plus de libertés, plus de responsabilités".

Quatorze ans après la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) de 2007, le constat peut paraître surprenant. Pourtant, il est sans appel : selon l’Association européenne des universités (EUA), la France se situait en 2017 parmi 29 pays ou régions européens au 20e rang en termes d’autonomie organisationnelle, à la 24e place en termes d’autonomie financière et au 27e rang pour l’autonomie des ressources humaines.

"Autonomie en trompe-l'œil"

Cet état des lieux, souligne la Cour des comptes, "met en évidence la persistance d’éléments de blocage, qui empêchent d’envisager l’acte II de l’autonomie appelé de ses vœux par la Conférence des présidents d’universités". Parmi les freins, la Cour estime qu'"on ne peut qualifier d’autonome une université qui ne maîtrise ni ses recrutements ni la gestion des promotions et évolutions de carrière de ses personnels". A fortiori quand la subvention pour charge de service public versée par l'État est "sous calibrée". La Cour note encore que le nombre d’universités détenant la pleine propriété de leurs bâtiments reste limité. Et déplore qu'à la différence de nombreux pays, l’accompagnement social, le logement, la restauration et l’organisation de la vie étudiante restent principalement gérés par les acteurs externes. Enfin, au chapitre financier, elle révèle que "peu d’universités sont en mesure de présenter le coût d’une formation de manière fiable", et estime que leurs revenus propres, évalués à 5,5% de leurs ressources, sont "marginaux" et, pour nombres d’entre elles, destinés à le rester.

Les défis que l'université va devoir relever dans les dix prochaines années sont donc nombreux aux yeux de la Cour des comptes. Il va d'abord s'agir de répondre à l’augmentation continue de la démographie étudiante – avec une hausse des effectifs de 10% sur cinq ans – tout en améliorant les conditions de prise en charge de la vie étudiante. Il faudra également dépasser le stade d’une "autonomie en trompe-l'œil". Il conviendra encore de faire face "de manière lucide" à la problématique de différenciation entre les établissements. Enfin, il sera impératif de répondre au défi financier, qu'il recouvre les financements publics ou les ressources propres.

Filiales et sociétés immobilières

Parmi les pistes avancées par la Cour des comptes, on trouve, côté finances, le plafonnement du crédit impôt recherche. Le but ? Redéployer des ressources budgétaires "significatives" de l'État en faveur des universités, dans l’enseignement comme dans la recherche. La prise en charge de la formation continue par les universités est une autre piste envisagée pour augmenter les moyens budgétaires.

En matière d'autonomie, la note préconise de déroger au principe de spécialité des établissements publics en autorisant les universités à créer "tout type de filiales". Mais aussi en encourageant les universités à disposer de liberté nouvelle pour mener leur propre stratégie de recrutement et de ressources humaines. Dans le même ordre d'idées, la Cour des comptes souhaite que les universités deviennent propriétaires de leur patrimoine de façon à en assurer plus efficacement l’entretien et la mise aux normes au regard des règles de sécurité, d’environnement et d’accessibilité. Sur ce point, "la création de filiales constituées en sociétés immobilières universitaires, chargées de ce parc immobilier, est une piste qui permettrait d’en professionnaliser la gestion", indique la cour.

Le second axe de réflexion conduit à penser l’université comme un véritable lieu de réussite et de vie, et à en faire l’unique interlocutrice des étudiants. Pour y parvenir, la note conclut à la nécessité de reprendre en gestion, en les filialisant, les compétences des Crous (centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires) et d'intégrer les personnels, moyens et compétences qui leur sont affectés.

Révolution culturelle… et budgétaire

Enfin, le dernier chantier est celui de la différenciation. Ici, l'ambition est de mettre en place une régulation afin d'"éviter la mise en place d’un système universitaire à plusieurs vitesses, avec des établissements privilégiés et des laissés-pour-compte, et pour répartir plus équitablement la distribution des ressources publiques". Comment ? À travers la création de "collèges universitaires qui accueilleraient au sein de chaque université l’ensemble des formations de niveau bac +2 ou +3 (licences générales, bachelor universitaire de technologie), voire les classes préparatoires et STS. Selon la Cour, cela rendrait le paysage "plus lisible" pour les lycéens. De plus, les parcours au sein des collèges universitaires pourraient être organisés selon une spécialisation progressive au sein de grands champs disciplinaires (humanités, sciences du vivant, etc.), pour donner "à chacun le temps de trouver sa voie". Les collèges universitaires se verraient affecter tout ou partie des enseignants du secondaire intervenant en classes préparatoires et en STS.

Pour la Cour des comptes, cette solution "devrait nécessairement s’accompagner d’une clarification des compétences entre l’État et les collectivités locales". Ces dernières sont en effet jugées "trop peu associées à la stratégie universitaire". C'est pourquoi la Cour envisage "une démarche de contractualisation entre les régions et les universités de leur ressort" afin de permettre un meilleur ancrage territorial de ces dernières. En tout état de cause, la création de collèges universitaires sur ce modèle serait une véritable révolution culturelle dans l'enseignement supérieur. Au vu des échecs rapportés par la Cour des comptes dans sa note, il paraît néanmoins difficile d'envisager à court ou moyen terme la réussite d'un plan plus ambitieux encore que les précédents. D'autant plus que l'implication des régions nécessiterait, pour la mise à disposition de locaux adaptés, des moyens financiers dont celles-ci ne disposent pas actuellement.