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Les normes, l’Afnor et leur financement — Ou pourquoi les normes ne sont pas près de devenir gratuites
Dans le débat sur l’accès aux normes techniques et leur coût, la situation de la normalisation conditionne les évolutions

Résumé / Executive summary (TL ;DR)

  • En France, le secteur des normes est caractérisé par le monopole de l’Afnor et des coûts élevés malgré une gratuité des normes Afnor obligatoires — qui représentent de toute façon moins de 1% des normes.
  • Le débat sur la gratuité des normes est en réalité l’arbre qui cache la forêt. Il faut s’intéresser aux causes de leur coût élevé et de l’absence de réelle évolution de la situation, au nombre de quatre :
    • la puissance (moyens financiers et humains, organisation, influence) des organismes de normalisation, face à la faiblesses des ministères, qui ont de plus l’habitude de renvoyer à des normes pour l’application des décrets qu’ils prennent. Car l’élaboration d’une norme technique qui tienne la route est un gros travail
    • pour une entreprise ou un consultant, participer à l’élaboration d’une norme représente un énorme avantage compétitif
    • l’inflation des normes techniques. Même les TPE et PME en redemandent ! Les normes peuvent aider les entreprises à se protéger de la concurrence. Et si elles ne participent pas à la création des normes de leur secteur, celles-ci risquent fort de se faire contre eux
    • enfin et surtout, l’Afnor ne roule plus sur l’or : la subvention, tout comme les résultats de son activité, reculent régulièrement depuis la fin des années 2000. C’est une association qui n’est volontairement financée par l’Etat que de manière très minoritaire, eh oui ! Et les Français refusent d’investir dans le juridique, normes comprises
  • Ce dernier point pose la question de la nécessité de faire évoluer le business model de l’Afnor : modèle de type collaboratif et ouvert, privatisation, ouverture à la concurrence ?

Sommaire

L’accès aux normes techniques (Afnor, ISO, CEN) et leur coût est un vieux débat. Et il n’est pas clos, loin de là. Vous pouvez en juger par ce qui suit.

En droit, une forme d’open access est censée s’imposer aux normes obligatoires

Selon les termes exprès de l’article 17 du décret du 16 juin 2009 sur la normalisation (tel que modifié par l’article 15 du décret n° 2021-1473 du 10 novembre 2021 portant modification du décret n° 2009-697 du 16 juin 2009 relatif à la normalisation [1]), « les normes rendues d’application obligatoire sont consultables gratuitement sur le site internet de l’Afnor. L’Afnor rend ces normes téléchargeables et imprimables gratuitement, sauf en cas d’opposition dûment justifiée d’un tiers détenteur de droits de propriété intellectuelle sur celles-ci. » [2]

Le Conseil d’État a rappelé cette exigence par deux arrêts :

  • le 10 février 2016, il annulait un arrêté ministériel imposant le respect par les entreprises du secteur de l’électricité d’un recueil établi par l’Union technique de l’électricité, élaboré à partir de la norme NF C 18-510 "Opérations sur les ouvrages et installations électriques, et dans un environnement électrique - Prévention du risque électrique", en considérant que ce recueil comme la norme elle-même, n’avait fait « l’objet d’aucune mesure de publicité et n’était accessible que par acquisition, à titre onéreux, auprès de l’Association française de normalisation ; qu’en rendant ainsi obligatoire une norme dont l’accessibilité libre et gratuite n’était pas garantie, l’arrêté (...) a méconnu les dispositions du troisième alinéa de l’article​ 17 du décret du 16 juin 2009 ». La plus haute juridiction administrative a également évoqué à l’appui de sa décision l’objectif constitutionnel d’accessibilité au droit [3]
  • le 28 juillet 2017, le Conseil d’État a annulé un arrêté du ministère de l’Environnement qui organisait la diffusion payante d’une norme [4]. Me Arnaud Gossement a publié un premier commentaire rapide sur son blog de cette décision.

Dans ce second arrêt, le Conseil d’État ne tient pas compte de l’argument selon lequel ces normes sont soumises au droit d’auteur des organismes européens et international de normalisation, qui sont des organismes de droit suisse et belge et non pas français.
Un argument qui avait pourtant déjà été utilisé pour répondre à une question écrite en 2016 [5].
L’excellent rapport d’information sénatorial du 12 juillet 2017 sur l’avenir de la normalisation [6], qui signale justement le premier arrêt de 2016, recommande carrément que l’Etat indemnise ces organismes afin de pouvoir les mettre à disposition gratuitement.

S’il existe encore d’autres normes techniques à application obligatoire et dont le contenu suppose de payer pour le consulter, ces arrêts devraient faire jurisprudence.

Vont-ils pour autant changer la situation des normes en France ? On peut en douter.

Rendre les normes obligatoires gratuites est en effet loin d’avoir résolu le problème du coût d’accès aux normes.

L’arrêt du Conseil d’Etat Fédération nationale des mines et de l’énergie du 10 février 2016

Les normes obligatoires en pratique : un effet très limité

Première limite : les normes obligatoires, selon l’Afnor elle-même, c’est moins de 1% de sa collection de normes [7].

Deuxième limite : la définition extrêmement restrictive choisie par les auteurs du décret, car "norme obligatoire" signifie ici norme dont l’utilisation est imposée par une loi ou un décret. Autrement dit, lorsque ce sont les usages professionnels qui fondent l’utilisation d’une norme — et non le droit — eh bien, cette norme n’est même pas "consultable" gratuitement.

Un exemple de norme rendue obligatoire par les usages et non présente dans la liste des « normes rendues obligatoires » ? La norme utilisée par tous les chercheurs et bibliothécaires pour citer une publication et rédiger une bibliographie, ex-norme franco-française Z44-005, n’est pas consultable gratuitement. Elle coûte 100,14 euros HT [8]. Alors que ce sont des bibliothécaires, notamment par leurs fédérations professionnelles et institutions nationales, qui en sont les auteurs et les traducteurs [9]. Pas l’Afnor ni l’ISO, en réalité.

Il y aurait encore beaucoup à dire, mais je ne m’attarderai pas. Car ce bridage n’est finalement qu’un symptôme.

Il faut parler des causes. La bagarre sur la gratuité des normes n’est que l’arbre qui cache la forêt.

À la situation de monopole, d’accès et de coût qui caractérise le secteur des normes (voir notre billet Normes : le monopole de l’AFNOR en question), on peut voir quatre raisons fondamentales.

Les organismes de normalisation : réseaux et influence

Une des causes de la situation actuelle des normes techniques réside dans la puissance et l’influence (voir notre billet de 2009 Vers une privatisation des normes ?) des organismes qui produisent ces données : tout comme les greffes des tribunaux de commerce, l’Afnor, créée en 1926, est incontournable de par l’ancienneté de son implantation et la richesse et la profondeur de son réseau — le même constat vaut pour le Comité européen de normalisation (CEN) et l’International Standards Organisation (ISO). Tous les grands experts d’une profession ont un jour ou l’autre eu besoin d’eux ou travaillé dans une commission de normalisation à l’élaboration d’une norme [10].

Même s’ils sont désormais en retrait et ont moins de moyens humains, les ministères sont eux aussi fortement impliqués dans la normalisation. On le voit bien dans le litige qu’a tranché le Conseil d’Etat ou dans le texte du décret de 2009. Les ministères ont l’habitude de renvoyer à des normes pour l’application des décrets qu’ils prennent. Ainsi, dans le décret de 2009, il est question des responsables ministériels des normes, du délégué interministériel aux normes et du groupe interministériel des normes ...

Car l’élaboration d’une norme technique demande :

  • la réunion de nombreux experts, super spécialistes de leur sujet
  • plus d’une année de travail
  • la coordination et le secrétariat de tout ce travail, une tâche similaire à celles des éditeurs juridiques.

Autrement dit, soit tout cela est fait par les ministères (et, on l’a vu, ce n’est pas le cas), soit c’est fait par d’autres structures et dans ce cas, il faut les payer.

L’Afnor est également un lobby efficace à elle seule. Il suffit de voir ce qui est arrivé aux deux dernières tentatives de reprise en main de cet organisme et d’évolution vers un moindre coût des normes :

  • la réforme de 2009, annoncée pourtant comme une reprise en main de la normalisation par l’Etat et l’instauration de la gratuité des normes, a été neutralisée
  • lors de l’examen du projet de loi Lemaire pour une République numérique en 2016, l’Afnor obtient que les normes NF, CE et ISO] [11] soient exclues du champ de l’open data, restant ainsi soumises au droit d’auteur et payantes. Pour faire adopter l’amendement [12] qui exclut les normes, les sénateurs UDI (centre droit) ont repris un argument de l’Afnor, selon lequel elle a la responsabilité de représenter la France au sein des instances de normalisation européennes (CEN, CENELEC) et internationales (ISO, IEC), et qu’à ce titre elle doit en suivre les règles, dont l’interdiction de diffuser gratuitement les normes. Sinon, conclut l’exposé des motifs de l’amendement, l’Afnor risquerait « l’exclusion des instances de normalisation » et la voix de la France ne pourrait plus s’exprimer dans la construction des normes et défendre la « compétitivité » de ses « entreprises » [13]. L’amendement ne se retrouve pas dans le texte final mais les normes Afnor seront épargnées.

Les organismes de normalisation nationaux sont d’autant plus puissants qu’ils sont en situation de monopole [14], afin d’assurer que dans un secteur il n’y ait pas deux normes se contredisant.

Logo du Comité européen de normalisation (CEN)

L’avantage compétitif procuré par la participation à l’élaboration d’une norme

Deuxièmement, élaborer une norme confère un énorme avantage sur ceux qui se contenteront de l’appliquer, pour trois raisons :

  1. on façonne la future norme selon son expérience à soi, donc dans son sens
  2. l’ayant construite, on en connaît les arcanes
  3. mais on en en vient à connaître aussi les autres acteurs majeurs du secteur puisqu’ils ont eux aussi participé à l’élaboration de la norme. C’est un carnet d’adresses de première qualité.

L’Afnor ne s’en cache pas, d’ailleurs : voyez la page Intégrer une commission de normalisation de son site. Je cite :

« En participant à une commission de normalisation, vous participez à la définition des règles du marché, vous faites connaître votre entreprise, société ou organisme auprès des partenaires français, vous bénéficiez d’un réseau relationnel privilégié et y développez votre veille technologique !
En rejoignant les 20.000 professionnels français, vous accédez aux travaux européens et internationaux et négociez avec les autres pays le contenu technique des normes de demain. Vous y développez aussi des réseaux de lobbying et d’alliances afin de défendre les positions françaises et donc… de vous valoriser auprès des grands acteurs économiques nationaux et internationaux ! »

Sur le côté "avantage compétitif" conféré par la participation à l’élaboration d’une norme, voyez l’exemple donné dans le rapport d’information sénatorial de juillet 2017 précité :

« L’entreprise MG International, qui contrôle Poséidon [...], a fortement participé à l’élaboration d’une nouvelle norme en matière d’alarmes pour piscine.
Cette PME a développé au cours des dernières années des technologies de vision par ordinateur permettant de détecter, dès les premières secondes, de possibles accidents de noyade, notamment dans les piscines publiques. En août 2014, a été publiée la norme NF S52-010 Août 2014 [...] qui "valide" ces technologies et en font une bonne pratique susceptible d’être reprise dans de nouveaux marchés.
Les documents sociaux publiés par la société à l’occasion de son assemblée générale mixte pour 2015 énoncent ainsi : "en faisant référence à certains brevets détenus par Poséidon, cette norme crée de facto une opportunité d’augmentation de parts de marché. Elle constitue également un outil de présentation des technologies propriétaires en donnant la possibilité aux forces de vente de valoriser les résultats des travaux de recherche et de développement. [...]" Une norme ISO, inspirée de la norme française, est en cours d’élaboration. »

« La norme/règle internationale est un des points d’application majeurs de l’intelligence économique et stratégique. Il est de plus en plus difficile de séparer le "technique" du politique, les choix techniques étant non seulement souvent issus de la volonté d’ouvrir des marchés ou d’en fermer aux concurrents, mais aussi reflétant des choix politiques voire idéologiques, en tout cas de société de ceux qui les promeuvent. »

L’inflation des normes techniques, sœur de l’inflation législative et réglementaire

Si les normes et les organismes qui les élaborent sont incontournables, c’est aussi du fait du besoin, dans un monde toujours plus complexe en termes de techniques et obsédé par le risque zéro, de normes techniques pour compléter le droit pur (loi, règlement, jurisprudence) et l’adapter au contexte et aux contraintes professionnelles.

Même les PME et TPE réclament des normes. Depuis 2009, leur participation aux travaux de l’Afnor est d’ailleurs gratuite [15]. Les normes peuvent les aider à se protéger de la concurrence. Et si elles ne participent pas à la création des normes de leur secteur, celles-ci risquent fort de se faire contre eux. Cet état de fait est également valable au niveau international où règne une concurrence féroce entre pays pour l’élaboration des normes européennes et internationales.

En fait, les normes font partie intégrante de l’inflation normative [16] (sur ce sujet, voir mon billet L’"insécurité législative" : causes, effets et parades et le rapport 2006 du Conseil d’Etat consacré à la sécurité juridique) et leur omniprésence est visible dans tous les pays développés. Plus précisément, le développement des normes fait partie intégrante du développement du droit souple ("soft law") avec les codes de bonne conduite et bonnes pratiques, les contrats types, l’autorégulation ... comme le note l’étude accompagnant le rapport 2013 du Conseil d’Etat [17].

Cet extrait du rapport d’information sénatorial précité explique parfaitement les choses :

« Selon le professeur Claude Berr, "d’un point de vue pratique, le prétendu caractère facultatif des normes demeure très largement illusoire, tant sont fréquentes les situations dans lesquelles l’un des contractants, privé ou public, impose à son partenaire de se conformer à telle ou telle norme, sous peine d’engager sa responsabilité". De fait, dans la vie des affaires, l’obligation de respecter des normes volontaires ne cesse de gagner du terrain.

Ainsi, les contrats d’assurance ou les contrats de sous-traitance font de plus en plus souvent référence à des spécifications contenues dans des normes volontaires [...]. Le poids de l’audit dans l’organisation des groupes de sociétés, qui s’appuie également largement sur des normes volontaires, renforce le caractère impératif de certaines d’entre elles.

Mais l’un des ressorts les plus puissants de l’autorité de fait attachée aux normes volontaires repose sans doute sur l’activité de certification. Pendant de l’activité de normalisation, la certification, qui consiste à attester du suivi de prescriptions — souvent issues d’une norme volontaire —, permet en effet de valoriser, dans une démarche marketing, les entreprises [...]. Attester du respect d’une norme [...] est un avantage commercial susceptible d’être mis en avant et auquel les consommateurs sont de plus en plus sensibles. »

Financement de la normalisation : là où le bât blesse

Il existe un refus très français d’investir dans le juridique. Les Français n’aiment pas le droit, même souple. Payer pour une norme, comme payer pour un avocat, serait toujours trop cher.

La situation des normes est à cet égard du même acabit que le très faible taux de juges par habitant [18] ou le faible effort budgétaire pour la justice en France, que les statistiques du rapport de la CEPEJ rappellent chaque année [19], ou que la non mise à jour des traductions des Codes en langues étrangères sur Legifrance.

Or le financement de la normalisation/l’Afnor et le coût des normes sont en partie liés. Et, contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’Afnor ne roule pas (ou plus) sur l’or.

Ce sujet est un débat récurrent, comme le montre une réponse ministérielle Pintat de 2008 [20]. D’après cette réponse ministérielle, l’Afnor est une association qui n’est volontairement financée par l’Etat que de manière très minoritaire puisque le chiffre d’affaires de l’Afnor en 2009 d’après le rapport de son commissaire aux comptes est de 56 millions d’euros et qu’en 2008 la subvention n’est que de 17 millions. Ça, c’était en 2008.

La subvention est parfaitement stable de 2006 à 2010 à 14 millions d’euros HT selon les rapports du commissaire aux comptes de l’Afnor. Mais depuis 2011, ces mêmes rapports mentionnent une « baisse significative » puis « continue » de la subvention. Confirmation dans le rapport sénatorial de juillet 2017 précité [21] :

« Le financement public de la normalisation, qui intervient essentiellement par le biais des subventions budgétaires versées à l’AFNOR à partir du programme 134 du budget de l’Etat, est en diminution drastique et continue [...]. Cette subvention a atteint seulement 8,16 millions d’euros [TTC] en 2017. »

Si on la rapporte au chiffre d’affaires, la subvention a donc été divisée par deux en 7 ans, passant de 24 à 12% du CA.

Le résultat avant impôt, participation, dotation aux amortissements et provisions qui, de 2006 à 2010, était resté chaque année autour de 13 millions d’euros, a chuté sur les 5 années suivantes autour de 9 millions. Tout comme la subvention, qui a commencé sa chute en 2011. Pour la première fois en 10 ans, en 2015, le résultat net est descendu sous 1 million d’euros.

Il faut certes mitiger ce constat par le fait que l’Afnor a des filiales commerciales [22] qui dégagent un chiffre d’affaires supplémentaire. Mais celui-ci ne semble pas énorme d’après les rapports du commissaire aux comptes et surtout, à de nombreuses reprises, leurs résultats ont été négatifs [23].

Ce qui manque, l’Afnor tente de le chercher dans le financement privé. Certains secteurs industriels sont de gros contributeurs. Voir à cet égard la politique de l’Union de normalisation de la mécanique, qui explique que dans certaines conditions, le crédit impôt recherche (CIR) peut participer à ces dépenses.

Mais les cotisations et frais de participation aux comités de normalisation ne rentrent plus aussi facilement : ainsi l’association Tatouage & Partage hésite à intégrer un comité Afnor face aux sommes demandées, alors même qu’elle comprend bien les aspects de lobbying en jeu dans l’élaboration d’une future norme européenne.

La marge d’ajustement est dans les formations et dans la vente de normes. Les ventes de normes (papier et numérique) représentent en effet de l’ordre de 45% du chiffre d’affaires. Mais elles ne bougent guère : depuis 2006, elles tournent entre 25 et 30 millions d’euros HT. Leur gratuité globale n’est donc pas vraiment pour demain.

Jim Whitehurst : Don’t build a better mousetrap. Change the business model
Jim Whitehurst Flickr CC-BY-SA 2.0

Un changement de modèle (d’affaires) à terme ?

Pour autant, le secteur privé, tout en souhaitant voir reculer l’intervention de l’Etat (cf le développement du droit souple évoqué plus haut), semble de moins en moins vouloir mettre la main à la poche pour financer cette mission d’intérêt général et il n’y a pas de consensus pour l’étatiser ou en faire un service public financé par l’impôt.

Si on veut voir évoluer la diffusion des normes et maintenir l’influence française sur la normalisation, l’Afnor (comme d’autres organismes para-publics ou de type EPIC) devra donc à long terme (5 à 10 ans), avec l’aide opérationnelle — espérons le — de l’Etat, trouver de nouveaux modes de fonctionnement et de financement. Dans cette optique, le modèle de type collaboratif et ouvert qu’a développé la DILA (ex-Direction des Journaux officiels) avec l’association Open Law, ou, dans une moindre mesure, data.gouv.fr avec la communauté des réutilisateurs de données publiques, montre une des voies possibles [24].

D’autres modèles sont possibles, comme la privatisation voire l’ouverture à la concurrence (le meilleur des projets de norme concurrent serait retenu) [25] mais on aurait alors une autorité supérieure de la norme pour surveiller l’activité des normalisateurs privés qui la financeront en partie (cf la Haute autorité de l’énergie, l’ARCEP, et autres AAI nées de la libéralisation).

Emmanuel Barthe
bibliothécaire recherchiste juridique, veilleur, formateur, spécialiste des données publiques juridiques, ex-participant actif à Open Law (2014-2015)

Notes

[1JORF n° 264 du 13 novembre 2021 texte n° 9.

[2Auparavant, les normes obligatoires disponibles sur le site de l’Afnor l’étaient dans un format tout sauf facile à lire. Et elles n’étaient ni imprimables ni téléchargeables (voir mon billet de l’époque Les normes obligatoires sont sur le site de l’AFNOR). L’article 17 du décret du 16 juin 2009 disait bien en effet : « consultables gratuitement », rien de plus.

[3Conseil d’Etat, 10 février 2016, Fédération nationale des mines et de l’énergie - Confédération générale du travail (FNME- CGT), n° 383756, ECLI:FR:CESSR:2016:383756.20160210.

[4Conseil d’Etat, 28 juillet 2017, 6ème chambre, ECLI:FR:CECHS:2017:402752.20170728.

[5Question N° 95669 de Alain Calmette, JO AN du 10 mai 2016 p. 3933, réponse du ministre de l’Économie, JO AN du 5 juillet 2016 p. 6324.

[6Où va la normalisation ? - En quête d’une stratégie de compétitivité respectueuse de l’intérêt général, rapport d’information Sénat n° 627 du 12 juillet 2017 par Elisabeth Lamure.

[7400 normes obligatoires, sur un total de plus de 35 706 au 15 juin 2017 selon l’Afnor, cela fait plus de 1%. Mais comme l’Afnor a retiré de cette liste les normes élaborées par les organismes européens et internationaux, qui ont des droits de propriété intellectuelle dessus, on est donc bien en réalité à moins de 1%. L’arrêt précité du Conseil d’État du 28 juillet 2017 qui condamne cette restriction supplémentaire n’y changera rien à puisque comme évoqué supra, il faudrait que l’Etat négocie et paye les droits d’auteur nécessaires et que la dernière rédaction en date de l’article 17 ferme expressément la porte : « sauf en cas d’opposition dûment justifiée d’un tiers détenteur de droits de propriété intellectuelle ».

[9Par exemple, pour la France : la BNF, la Direction du Livre et de la lecture, la Direction de l’Enseignement supérieur, l’INIST, le CNRS, l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur (ABES) et l’ENSSIB.

[10L’Afnor rassemble 14 000 experts en plus de ses 400 et quelques employés.

[11Aujourd’hui les nouvelles normes purement NF sont devenues très rares (sauf celles préparées en collaboration avec des syndicats et groupements professionnels français et applicables uniquement en France en raison du cadre législatif spécifique qui définit certaines activités), la grande majorité sont des normes NF EN (européennes), les autres sont des normes NF EN ISO (internationales).

[12Projet de loi République numérique (1ère lecture), amendement n° 1 rect. bis, 26 avril 2016, présenté par M. Cadic, Mme Billon, Mme Lamure et al., amendement additionnel après l’article 4 bis. Compte-rendu intégral des débats, séance du 26 avril 2016, Sénat.

[13Le Sénat exclut les normes Afnor de l’Open Data, par Guillaume Champeau, Numerama, 27 avril 2016. Les normes volontaires ne sont pas solubles dans l’open data, par Olivier Cadic, sénateur représentant les Français établis hors de France et Olivier Peyrat, vice-président de l’ISO, administrateur du CEN, directeur général d’Afnor, La Tribune, 27 juin 2016.

[14Toutefois, aux Etats-Unis, des organismes sectoriels, comme dans l’industrie pétrolière, préparent des sortes de pré-normes. Ce type d’organisme est un quasi-concurrent de l’organisme national de normalisation.

[15Le décret n° 2009-697 du 16 juin 2009 prévoit une exonération totale de droits à l’égard des PME de moins de 250 salariés ne dépendant pas à plus de 25 % d’un groupe de plus de 250 salariés.

[16Ici, l’adjectif "normatif" a un sens plus large qu’une norme technique Afnor. Il s’agit de l’ensemble des règles de droit, dur et souple.

[18On compte 10,7 juges en France pour 100 000 habitants, contre 24,7 en Allemagne et une moyenne de 21 pour l’ensemble de l’Europe. Source : rapport CEPEJ, voir infra.

[19Cepej : la place de la justice française en Europe s’améliore (un peu), blog LeMonde.fr Libertés surveillées, 9 octobre 2014. Interview du magistrat français Jean-Paul Jean, président du groupe de travail d’évaluation des systèmes judiciaires au sein de la CEPEJ (Commission européenne pour l’efficacité de la justice). Voir aussi : la page Evaluation des systèmes judiciaires du site de la CEPEJ, l’archive des rapports d’évaluation de la CEPEJ et la base de données des statistiques de la CEPEJ, CEPEJ-STAT.

[20Gratuité des normes AFNOR, question écrite n° 01336 de M. Xavier Pintat, JO Sénat du 2 août 2007 p. 1365, réponse du Ministère de l’économie, JO Sénat du 29 mai 2008 p. 1056.

[21Sur la baisse de la subvention de l’Etat, voir la recommandation n° 13.

[22Afnor Développement, Afnor Compétences, et Afnor Certification, Afnor International. Voir la présentation du groupe Afnor.

[23Ce qui oblige à provisionner ou, par le régime de l’intégration fiscale, permet de diminuer l’impôt sur les sociétés. Cela laisse des traces dans les rapports du commissaire aux comptes.

[24Je ne pense pas qu’un grand emprunt bis puisse répondre à des besoins de financement importants et réguliers comme ceux de l’Afnor. Ou alors ce sera cautère sur jambe de bois et le problème se représentera rapidement (cinq ans de répit, puis rebelote). Par un emprunt on finance des investissements, pas des dépenses de fonctionnement. Ou bien je n’ai rien compris à mes cours de finances publiques et de comptabilité ...

[25Mais le marché français est-il assez large pour nourrir plusieurs organismes de normalisation ? Visiblement non. On aurait alors des organismes de normalisation couvrant plusieurs pays, en opposition avec ce qui se pratique habituellement et la volonté des Etats de garder le contrôle de "leurs" normes au moins indirectement.