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Interview

« On ne peut pas former nos étudiants aux enjeux planétaires sans les envoyer à l'étranger » selon les grandes écoles

De gauche à droite : Alexandre Chevallier (Cop2 étudiante), Frank Bournois (ESCP), Isabelle Huault (Emlyon), Jean-Baptiste Avrillier (Centrale Nantes), Santiago Lefebvre (ChangeNOW), Christophe Germain (Audencia), Jean-François Quéré (Engees Strasbourg), Vincent Laflèche (Mines ParisTech).
De gauche à droite : Alexandre Chevallier (Cop2 étudiante), Frank Bournois (ESCP), Isabelle Huault (Emlyon), Jean-Baptiste Avrillier (Centrale Nantes), Santiago Lefebvre (ChangeNOW), Christophe Germain (Audencia), Jean-François Quéré (Engees Strasbourg), Vincent Laflèche (Mines ParisTech). (Les Echos START)

Par Florent Vairet, Julia Lemarchand

Publié le 24 oct. 2021 à 16:00Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:19

En quelques années, les grandes écoles ont fait entrer la transition écologique dans leur programme et leur campus. Pour les étudiants, elles pourraient faire cependant davantage pour répondre au défi de l'urgence climatique. À l'occasion de la publication du premier classement des « Echos START » « Des écoles pour changer le monde » , réalisé en partenariat avec ChangeNOW, nous avons interrogé six grandes écoles de commerce et d'ingénieurs parmi les mieux classées pour comprendre commclasent elles formaient les futurs décideurs à changer le monde. Et pour être au plus proche des préoccupations des étudiants, Alexandre Chevallier, responsable régional de la COP2 Etudiante et jeune diplômé de l'ENTPE, a participé à cette interview.

Alexandre Chevallier : Pensez-vous qu'un outil de valorisation de la prise en compte des enjeux sociaux écologiques, comme ce classement, va faire accélérer les établissements dans leur mutation ?

Christophe Germain (Audencia) : Toute métrique, tout référent va inévitablement inciter nos établissements à toujours faire mieux. Ils agissent comme des technologies invisibles. Dès l'instant où il y a des cadres conceptuels, cela nous aide à progresser.

Isabelle Huault (Emlyon) : C'est bien pour ça qu'il faudrait que les classements les plus classiques prennent davantage en compte ces critères si l'on veut faire changer de manière plus profonde les enseignements.

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Jean-Baptiste Avrillier (Centrale Nantes) : Sur le terrain, pourtant, il y a une dynamique très très forte. Un exemple : quand le poste de directeur de Centrale Nantes a été ouvert, il y a eu une lettre ouverte des étudiants pour avoir un directeur engagé en faveur du développement durable. J'ai eu l'occasion de leur répondre, d'échanger avec eux. D'emblée, l'enjeu du développement durable a alors été posé comme un enjeu majeur du choix de l'orientation stratégique de l'école pour les années qui viennent.

« Les Echos START » : Vous parlez de dynamique, de progression. Diriez-vous que les grandes écoles font assez pour répondre à l'urgence climatique ?

Jean-Baptiste Avrillier (Centrale Nantes) : Clairement non. (Rires.)

« Les Echos START » : Qu'est-ce qui bloque ?

Jean-Baptiste Avrillier (Centrale Nantes) : On parle de transformation de la société, du monde économique, académique… On voudrait tous que ce soit déjà fait, mais ce processus prend du temps.

Isabelle Huault (Emlyon) : Il faut d'abord sensibiliser tout le corps enseignant. Et dans l'enseignement supérieur, rappelons qu'il y a ce qu'on appelle la « liberté académique ». Les profs restent maîtres des cours qu'ils dispensent. Et fort heureusement d'ailleurs.

Enseigner un seul cours de RSE tout en continuant d'enseigner le « business as usual » ne servirait à rien… Modifier l'ensemble de l'offre de formation constitue une transformation profonde qui demande deux-trois ans.

Frank Bournois (ESCP) : Et ça ne sera jamais fini !

« Les Echos START » : Comment faire pour que cette transformation ne soit pas seulement du saupoudrage ?

Frank Bournois (ESCP) : Chez nous, il y a un département pédagogique spécialisé « sustainability », avec des relais dans tous les autres départements pédagogiques. Ces gens s'assurent que la question est intégrée dans les enseignements de management, RH, finance, contrôle de gestion…

Vincent Laflèche (Mines ParisTech) : Suite à une décision prise en 2017, on a revu complètement notre cycle ingénieur, dont la nouvelle mouture a été mise en place à la rentrée 2019. Il y a une unité de l'enseignement « terre et société » autour des sciences de l'ingénieur, sciences humaines et sociales, et sciences naturelles. Et c'est en général Jean Marc Jancovici qui donne le premier cours consacré à l'énergie et au changement climatique.

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« Les Echos START » : En avril dernier, sous l'impulsion des étudiants réunis en COP2, plus de 50 établissements ont signé l'Accord de Grenoble. Qu'est-ce qu'il va changer ?

Jean-Baptiste Avrillier (Centrale Nantes) : La grande force de cet accord tient à ce qu'il est complet, il aborde tous les aspects de l'engagement des écoles en faveur du développement durable. A Centrale Nantes, on s'en est servi pour se demander s'il y a des cases qu'on ne cochait pas. Et on a presque tout coché. C'est un plan d'actions très ambitieux qui nous engage sur trois ans. C'est un peu comme l'Accord de Paris pour nous : on le signe ou on ne le signe pas, ça montre de quel bord on est.

Jean-François Quéré (Engees Strasbourg) : Ce qui a été important pour nous était de participer à l'élaboration de cette plateforme. Ce sont des éléments qui nous font avancer sur certains points, qui nous donnent des idées mais qui, pour l'essentiel, renforcent une dynamique déjà lancée et dans laquelle les jeunes sont un élément moteur essentiel.

« Les Echos START » : Les Mines ParisTech et l'ESCP, vous n'avez pas signé l'accord. Pourquoi ?

Frank Bournois (ESCP) : On en partage absolument tous les principes. Mais le modèle de l'ESCP est basé sur la mobilité des étudiants entre nos différents campus. Une école dont le modèle pédagogique n'est pas fondé comme le nôtre sur l'apprentissage des cultures en Europe n'a pas les mêmes contraintes. Pour l'heure, nous avons voulu éviter le greenwashing. C'était très facile de dire « on signe », mais on doit aussi - avec cette génération qui pousse à nous transformer - prouver et démontrer nos engagements. Sinon, c'est pire que tout. Ceci étant dit, je peux vous dire qu'on travaille à une signature prochaine.

Vincent Laflèche (Mines ParisTech) : Concernant notre école, la signature se décide au niveau de l'université Paris Sciences & Lettres, à laquelle nous sommes rattachés, et PSL va bientôt le signer.

Jean-Baptiste Avrillier (Centrale Nantes) : Une remarque : je trouve que l'Accord de Grenoble n'est peut-être pas suffisamment ambitieux sur les critères liés à la recherche. Quand on pense recherche, on pense souvent au CNRS, mais le rôle des grandes écoles, et notamment celles d'ingénieurs, est très important. Nos laboratoires font de la recherche sur l'énergie, les transports, les matériaux, les procédés industriels… Ce qui mériterait d'être reconnu. Pour nous, la meilleure manière de former nos étudiants, c'est aussi de les faire participer à la recherche.

Alexandre Chevallier : Vous parliez des mobilités internationales. La création par Grenoble INP-Ense³ d'un quota carbone pour les étudiants a été prise en exemple à la COP Etudiante. Parallèlement, la Commission des titres d'ingénieur a instauré une obligation de mobilité internationale. Dans quelle mesure peut-on valoriser les expériences interculturelles tout en limitant l'empreinte carbone des étudiants ?

Jean-François Quéré (Engees Strasbourg) : De notre côté, nous mettons en place des aides complémentaires (jusqu'à 150 euros) pour les déplacements en train lorsqu'ils se substituent à l'avion. Quand ce n'est pas possible, nous compensons, pour eux comme pour les personnels, les émissions carbone de l'avion. Car oui, je tiens à rappeler qu'il y a un intérêt à aller dans certains pays qui sont hors de portée du train.

Frank Bournois (ESCP) : Dans la formation des futurs managers, la compréhension in vivo dans des pays est indispensable. Le fait de ne pas donner la possibilité à nos étudiants d'aller se frotter à d'autres cultures peut avoir dans quelques années des effets indirects néfastes sur le plan de la transition sociale, de la stabilité géopolitique, etc. Néanmoins, comment fait-on l'arbitrage entre déplacements et écologie ? Par exemple, le numérique. On propose les moyens équivalents à un déplacement. A l'ESCP, on a un principe 20/40 : au moins 20 % de chaque cours est dispensé en numérique, au minimum 40 % en présentiel. Le professeur a sa liberté académique pour jouer dans ce repère. On fait donc des progrès, mais on ne renoncera pas à nos principes fondamentaux concernant l'Europe. Aller à Turin ou Berlin en train est tout à fait durable.

Isabelle Huault (Emlyon) : Nous avons supprimé des learning trips à l'étranger de dix ou quinze jours, ou on les a redéployés au niveau européen. En revanche, on continue à envoyer nos étudiants pour des semestres à l'étranger. La confrontation à d'autres environnements socio-économiques, la diversité culturelle sont au coeur de notre projet éducatif.

Jean-Baptiste Avrillier (Centrale Nantes) : Il y a aussi un autre sujet très important pour nous, c'est la mobilité entrante. A Centrale Nantes, 42 % d'étudiants sont internationaux. Beaucoup viennent d'Inde, de Chine. Est-ce rentable écologiquement parlant de les faire venir ici ? Je pense que oui. Former ces étudiants à la lutte contre le réchauffement climatique sur les dernières technologies en matière de développement durable, pour qu'ils puissent repartir avec ces connaissances et transformer leur pays de l'intérieur, est très important. On sait que l'enjeu climatique repose en grande partie sur les trajectoires des pays émergents, et chacun d'entre nous doit jouer son rôle pour que ces pays puissent adapter leur trajectoire.

Alexandre Chevallier : Donc rendre obligatoire les mobilités internationales, pour vous, ce n'est pas paradoxal par rapport aux enjeux actuels ?

Jean-Baptiste Avrillier (Centrale Nantes) : Non, on ne peut pas former nos étudiants aux enjeux planétaires en leur disant de rester là où ils sont.

Vincent Laflèche (Mines ParisTech) : Ce qui est important, c'est de leur donner des éléments de rationalité sur les transports. Il faut leur faire comprendre qu'un déplacement de deux-trois jours pour un colloque n'a pas le même impact qu'un déplacement pour une période de trois à six mois. Il faut leur donner les bons ordres de grandeur pour éviter tout dogmatisme.

Jean-Baptiste Avrillier (Centrale Nantes) : Chaque action doit être ramenée à son bilan carbone. On a fait faire par nos étudiants le bilan carbone « scope 5 » de l'école. C'est le plus large, celui qui prend en compte les effets induits des comportements des étudiants, des personnels de l'école et des partenaires. Il nous a montré que les premiers postes d'émission n'étaient pas le chauffage, les déplacements ou l'énergie, mais les achats (scientifiques, pédagogiques, etc.) et l'alimentation. C'est là-dessus qu'on va agir en priorité, avec le développement de l'alimentation végétarienne ou moins carnée sur les campus. Ces enjeux auront beaucoup plus d'impact sur l'émission de nos écoles que la question des déplacements.

Alexandre Chevallier : Je suis d'accord, mais au niveau du bilan carbone individuel d'un étudiant, si ce dernier part à l'étranger en avion, son budget annuel carbone explose. Par ailleurs, l'Accord de Grenoble prévoyait que 100 % des étudiants soient sensibilisés dès cette rentrée. Est-ce le cas ?

Isabelle Huault (Emlyon) : Depuis l'année dernière, tous les étudiants réalisent une fresque du climat. Cette année, le cours « agir pour le climat » est obligatoire pour l'ensemble des étudiants. On a passé toute la rentrée sous l'objectif du développement durable (ODD) numéro 10 des Nations unies : réduire les inégalités dans les pays et d'un pays à l'autre. On revoit toutes nos formations sous le prisme des 17 ODD. Le processus est en cours et, pour certains programmes, ce sera fait dans un an. Des conférences sur ces sujets sont au programme. Tout ça, de manière obligatoire.

Frank Bournois (ESCP) : Tous les niveaux, du bachelor au master spécialisé, comportent des cours obligatoires sur la « sustainability » et le leadership.

« Les Echos START » : Le président de la CGE déclarait récemment que les grandes écoles avaient affaire à une génération de quasi-militants du développement durable. Comment accompagnez-vous les étudiants les plus éco-militants ? Même question pour les éco-anxieux ?

Jean-Baptiste Avrillier (Centrale Nantes) : La première chose sur laquelle on insiste : il faut se connaître soi-même (qui je suis, quelles sont mes motivations, mes valeurs), savoir vers quoi on souhaite aller. C'est la base d'un engagement futur. Ensuite, il y a un développement très fort de l'année de césure, qui concerne désormais 85 % de nos étudiants français pour chaque promotion. Elle permet à nos étudiants de s'engager dans une ONG, une association, d'aller à l'étranger, de s'engager dans une entreprise. A Nantes, il existe un forum emploi pour les jeunes rassemblant uniquement des entreprises engagées dans le développement durable. Ça monte en puissance fortement, et on n'est qu'au début.

Frank Bournois (ESCP) : Pour les éco-anxieux : c'est une réalité de cette génération. Il ne s'agit pas seulement de quelques cas marginaux. Comment pouvons-nous les entendre dans nos écoles ? Chez nous, une fois par an, le comité exécutif écoute les élèves et prend en compte ces questions. Dans l'ESCP Transition Network, les anciens élèves, les profs, les administrateurs planchent sur ces sujets. Sans parler des collaborations avec les associations étudiantes, qui endossent un rôle pédagogique croissant en la matière.

Isabelle Huault (Emlyon) : Chaque association a un référent sur les questions écologiques afin que leurs actions soient en phase avec les préoccupations environnementales. Le levier associatif est précieux pour lutter contre l'éco-anxiété dans nos écoles. Je suis convaincue que le meilleur moyen de lutter contre l'anxiété est l'action.

« Les Echos START » : Parmi les parcours mis en avant dans vos écoles, quelle place accordez-vous aux anciens menant une carrière dans l'impact ?

Isabelle Huault (Emlyon) : On s'efforce de montrer une diversité de trajectoires, de parcours de carrière, d'engagements possibles… Nos alumni n'ont pas tous des carrières monolithiques dans les entreprises du CAC 40. Une cinquantaine d'entreprises engagées sont par ailleurs présentes aux forums. Mais tout le monde n'a pas vocation à travailler dans une ONG, une association ou l'ESS. Il est aussi très important de transformer les organisations de l'intérieur, d'aller dans les grandes entreprises et de transformer les pratiques et les modèles économiques.

Vincent Laflèche (Mines ParisTech) : Le message qu'on leur donne est qu'ils mènent des carrières en phase avec leurs valeurs et leurs convictions. On leur dit : vous réussirez là où vous vous ferez plaisir, là où vous trouverez du sens. Un exemple me vient en tête. Lors d'une rencontre avec un patron d'une entreprise du CAC 40, une étudiante lève la main et lui dit : « Je ne veux pas aller dans ta boîte. ». J'étais assez fier de voir que cette jeune femme, pas encore diplômée, osait parler de manière impertinente à un PDG. Ce type de prise de parole doit être encouragé.

« Les Echos START » : Ce désir croissant d'engagement, est-ce un signal négatif pour les grandes entreprises ?

Jean-Baptiste Avrillier (Centrale Nantes) : C'est un enjeu majeur pour les grandes entreprises. Il y a une dizaine d'années, 80 % de nos jeunes diplômés allaient dans de grands groupes industriels ; aujourd'hui, on en a 75 % qui partent dans des PME ou ETI, des entreprises à taille humaine dans lesquelles ils vont chercher de l'engagement, des valeurs, de l'autonomie. Certaines d'entre elles peuvent être des entreprises à mission. Résultat : de plus en plus de grandes entreprises nous disent qu'elles ont du mal à recruter. Le PDG de Total disait récemment que sa principale peur concernait l'attractivité auprès des jeunes diplômés. On échange alors sur leur marque employeur et sur la manière dont leur entreprise peut être perçue par les jeunes diplômés.

Autre exemple parlant : sur un de nos forums carrière, des étudiants ont contesté la présence d'une entreprise internationale bien connue pour des affaires d'évasion fiscale. Je leur ai répondu qu'ils avaient raison et que l'entreprise ne serait pas là l'année prochaine. C'est normal.

« Les Echos START » : Y a-t-il assez d'offres à impact pour répondre à la demande de ces étudiants ?

Isabelle Huault (Emlyon) : Je crois que oui.

« Les Echos START » : Ces postes sont en général moins bien rémunérés. Craignez-vous pour votre rang dans les classements classiques qui mesurent de près le salaire de sortie ?

Jean-Baptiste Avrillier (Centrale Nantes) : Ce critère des salaires de sortie qui pèse fortement dans les classements est totalement contreproductif. On veut valoriser les parcours de jeunes diplômés qui choisissent des parcours au service de la transition écologique. L'indicateur salaire est vraiment obsolète, et j'aimerais qu'on le remplace par des indicateurs sur l'engagement.

Christophe Germain (Audencia) : Attention toutefois à une idée reçue sur les niveaux de salaire. Pour la première fois, nous avons mesuré que les salaires des diplômés qui intègrent des sujets RSE dans leur job sont supérieurs à ceux ayant un job ne traitant pas du tout de ces sujets. Preuve que cela évolue du côté des entreprises. Le fait, pour un jeune diplômé d'avoir des compétences en lien avec la transition écologique et sociale est une valeur ajoutée supplémentaire sur le marché car les entreprises sont en attente de ce type de profils.

Jean-Baptiste Avrillier (Centrale Nantes) : Certains de nos diplômés travaillent sur la réduction de l'impact écologique du numérique, d'un point de vue technologique (par exemple la compression de données, etc.). Ceux-là sont aujourd'hui embauchés avec des niveaux de salaire très élevés. Se spécialiser sur des enjeux de développement durable, c'est l'assurance d'avoir des trajectoires professionnelles très intéressantes.

Vincent Laflèche (Mines ParisTech) : Même constat sur les salaires dans les petites entreprises par rapport aux grandes. Il n'y a pas de baisse des rémunérations au premier emploi liées au fait d'être dans une petite structure.

Frank Bournois (ESCP) : Sur les rémunérations, ce qui est valorisé et très apprécié par les entreprises, c'est que les écoles savent former rapidement des jeunes à des compétences nouvelles en comparaison à d'autres systèmes éducatifs, différents des grandes écoles.

« Les Echos START » : Autre enjeu de taille pour les grandes écoles : l'ouverture sociale. En avril dernier, la CGE a formulé des propositions qui touchent directement au concours comme un bonus pour les boursiers qui retenteraient leur chance ou une double barre d'admissibilité pour ces derniers. Lesquelles vous ont-elles séduites ?

Vincent Laflèche (Mines ParisTech) : Les inégalités se creusent dès le collège. Les grandes écoles sont en aval. Modifier les conditions d'admission au concours n'est pas une bonne solution. Nous travaillons plutôt les alternatives, notamment les recrutements par voies passerelles. Cela nous amène à savoir apprécier l'excellence via d'autres critères que ceux proposés par le modèle des classes préparatoires.

Jean-François Quéré (Engees Strasbourg) : Chez nous, depuis dix ans, toutes les augmentations de recrutements de l'école ne se font plus en classes prépa mais après un premier cycle supérieur universitaire où on trouve des talents d'une autre nature. Nous avons aussi supprimé, l'année dernière, les épreuves écrites pour ce concours d'admission passerelle. Le concours porte sur l'examen du dossier et sur l'oral.

Jean-Baptiste Avrillier (Centrale Nantes) : Il est difficile pour nous d'inverser les tendances déjà présentes en classes prépa. En matière de parité par exemple, on ne peut pas recruter plus de jeunes femmes que celles qui passent le concours des écoles d'ingénieurs. Le grand enjeu, c'est d'aller chercher les talents là où ils sont, notamment dans le système universitaire. Il y a des rapprochements à faire entre les grandes écoles et les universités. C'est ce qu'on fait avec Nantes Université. On travaille sur la manière dont les étudiants en licence peuvent davantage poursuivre leurs études en école d'ingénieurs.

Isabelle Huault (Emlyon) : Les grandes écoles doivent prendre leur part dans la lutte contre les inégalités, mais je ne suis pas favorable à la discrimination positive. En revanche, je suis pour plus de sensibilisation des étudiants dans les lycées, plus de tutorat, pour lutter contre l'autocensure.

Christophe Germain (Audencia) : Il ne faut pas opposer les classes prépa et les autres voies d'admission. Nous travaillons en collaboration avec l'Association des professeurs des classes préparatoires pour faire davantage passer le message à certains lycéens que la classe prépa est aussi pour eux. Il faut réussir à intervenir partout en amont. Avec Centrale Nantes, nous avons lancé un dispositif par lequel nous accompagnons chaque année 150 lycéens afin de les conduire vers des études supérieures. Les résultats sont très probants.

« Les Echos START » : Donc, concernant le concours, personne autour de cette table n'est prêt à toucher aux règles d'admission pour permettre à plus d'étudiants de milieux modestes d'entrer dans vos écoles ?

Isabelle Huault (Emlyon) : En effet, je suis contre.

Frank Bournois (ESCP) : Egalement. L'égalité devant les épreuves est un principe méritocratique auquel ESCP croit beaucoup. Mais ensuite, il faut une obligation d'accompagnement financier à travers les bourses.

Vincent Laflèche (Mines ParisTech) : Une fois en classe prépa, le taux d'échec est très limité, donc la question n'est pas de savoir si les boursiers entrent ou pas en grandes écoles. Ils y entrent. Changer les règles du concours va simplement modifier la répartition des boursiers entre les écoles, sans en augmenter le nombre. Chaque école va donc tirer la couverture à soi pour attirer le plus de boursiers, et certaines vont avoir froid aux pieds.

Jean-François Quéré (Engees Strasbourg) : Nous offrons la possibilité aux deux tiers de nos diplômés ingénieurs de ne pas payer de frais d'inscription. C'est lié aux bourses mais aussi au fait que nous avons un certain nombre d'étudiants fonctionnaires, payés durant leurs études. Aussi, l'école a aujourd'hui près de 30 % des jeunes en apprentissage. Sociologiquement, on voit que dans cette voie, ce n'est pas tout à fait les mêmes étudiants.

« Les Echos START » : Pour le président de la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs, la hausse des frais d'inscription est l'un des leviers à interroger pour augmenter le financement des écoles. Qu'en pensez-vous ?

Jean-Baptiste Avrillier (Centrale Nantes) : En France, il y a un problème sur le modèle économique de l'enseignement supérieur, avec un financement public beaucoup plus faible que dans les autres pays européens et dans le monde. Cela dit, en parallèle à une hausse des frais de scolarité, on est prêt à faire une augmentation du volume des bourses pour qu'il n'y ait pas de discrimination à l'entrée sur des critères économiques.

Christophe Germain (Audencia) : De manière générale, je trouve qu'aborder la question de la formation uniquement par la question du coût est un peu étriqué. Ce qui est important, c'est le retour sur investissement pour l'étudiant. Pour certaines formations, le coût est moins élevé, mais le retour sur investissement [salaires, NDRL] est largement inférieur.

Pour celles et ceux qui veulent changer les choses à leur échelle

Vous pouvez relire notre dossier consacré aux solutions dont nous sommes nous-mêmes les acteurs

À noter

Ici, retrouvez l'ensemble du DOSSIER consacré au classement 2021 des grandes écoles les plus engagées dans la transition écologique

Florent Vairet, Julia Lemarchand avec l'aide de Camille Wong, Chloé Marriault et Léa Guinamant

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