Philippe Charrier est sociologue, chercheur au Centre Max Weber et coauteur de Sociologie de la naissance (Armand Colin, 2013).
Combien d’hommes exercent la profession de sage-femme en France ?
La part d’hommes dans la profession reste très marginale : ils sont 641 en 2021, soit 2,72 % des effectifs. L’école de Grenoble a été la première à accueillir les hommes, en 1982. Au début, les maïeuticiens étaient donc concentrés dans le Sud-Est. Les autres écoles emboîtent le pas en 2003. Le taux d’hommes dans la profession connaît alors un petit bond, pour ensuite stagner à nouveau à partir de 2015. Aujourd’hui, les effectifs masculins seraient en berne dans les écoles, notamment en raison de la dernière réforme de la première année de médecine. Auparavant, les étudiants apprenaient qu’ils étaient éligibles en maïeutique à l’issue de la première année de médecine, et pouvaient donc faire ce choix par défaut. Désormais, il faut choisir et cocher la case maïeutique d’emblée.
La crise des vocations s’explique également par une dégradation des conditions de travail. Les grandes maternités restent la porte d’entrée principale dans le métier. Or, c’est là où les situations sont les plus complexes : on prend en charge des grossesses à haut risque, on s’occupe de nouveau-nés en situation de détresse grave.
Les hommes s’orientent-ils vers des secteurs spécifiques ?
Au départ, on trouvait des hommes sages-femmes dans le libéral comme dans les maternités, dans le corps enseignant et même quelques-uns dans les services de protection maternelle et infantile. Mais on commence à voir une segmentation genrée de la profession depuis les années 2000, avec le boom des installations en libéral. Les hommes accompagnent ce mouvement, afin de pouvoir mener leur activité comme ils l’entendent et être mieux rémunérés sans être dans une structure de plus en plus hiérarchisée, avec une organisation du travail protocolisée. Ce faisant, ils s’éloignent généralement du cœur du métier, à savoir les accouchements.
Les hommes sages-femmes sont-ils tout autant impliqués dans la revalorisation de la profession ?
Oui, d’autant plus que les hommes sages-femmes sont surreprésentés dans les postes valorisés : ils sont souvent cadres, enseignants ou dirigeants des instances syndicales. Le président du Collège national des sages-femmes est un homme, il est très dynamique et a porté la création d’une « cellule de crise sage-femme » pendant le premier confinement. Il y a vingt ans déjà, la directrice de l’école des sages-femmes de Grenoble m’avait dit : « Des hommes, j’en veux parce qu’ils rendront plus visible notre profession ! » D’une certaine façon, les hommes sont instrumentalisés, et ils jouent le jeu parce que c’est flatteur et aussi parce que ça sert la profession : il s’agit de profils très attachés à leur mission.