Hôtellerie-restauration : ils raccrochent le tablier

Buffet au Beach Plaza Hotel à Ocean City dans le Maryland, Etats-Unis, années 1960 ©Getty - Aladdin Color Inc
Buffet au Beach Plaza Hotel à Ocean City dans le Maryland, Etats-Unis, années 1960 ©Getty - Aladdin Color Inc
Buffet au Beach Plaza Hotel à Ocean City dans le Maryland, Etats-Unis, années 1960 ©Getty - Aladdin Color Inc
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Cédric, réceptionniste tournant, Bastien, chef pâtissier, et Sarah, assistante de direction, ont rendu leur tablier après des années passées dans l’hôtellerie-restauration. Si leur métier les passionnait, les conditions de travail, elles, ont eu raison de leur enthousiasme.

Cédric, Bastien et Sarah ont quitté, sont sur le point de quitter ou réfléchissent à quitter le secteur de l’hôtellerie-restauration. Voici leurs histoires. 

Cédric (Auxerre)

Pendant dix-sept ans, Cédric, quarante ans, travaille comme réceptionniste. Il fait les 3x8 pour un peu plus du SMIC dans plusieurs hôtels et peine à joindre les deux bouts financièrement. En 2010, il rejoint un hôtel à Chamonix. Il travaille dix à douze heures par jour, enchaîne les saisons sans parvenir à poser ses cinq semaines de congés. Au bout de neuf ans à ce régime, il commence à être épuisé :

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"J’étais sans cesse appelé même à la maison, le soir, le week-end. Petit à petit, entendre le téléphone sonner me provoquait des angoisses." Cédric

Un matin, Cédric éclate en sanglots devant sa directrice en pleine réception. Il est arrêté deux semaines puis quitte son poste quelques semaines avant le confinement. Il souffle enfin, passe des heures en montagne pour se reconstruire. Après le Covid, il devient facteur, comme son père avant lui.

"Tous les jours quand je vais travailler et que j’enfile la veste de postier, je suis sur ses traces." Cédric 

Cédric gagne désormais autant qu’après des années dans le secteur de l’hôtellerie pour des horaires beaucoup plus raisonnables et ne regrette rien.

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Bastien (Reims)

Petit, Bastien, vingt-trois ans aujourd’hui, rêve de devenir cuisiner, pâtissier ou confiseur. Il intègre un lycée spécialisé dans les métiers de l’hôtellerie-restauration, dans les Ardennes. Il endosse l’uniforme, vit, pense, dort "cuisine" avec ses copains.

"Le mot d’ordre dans le lycée, c’était le professionnalisme et l’excellence. Moi, mon objectif, c’était de travailler dans de belles maisons." Bastien 

Bastien enchaîne avec un BTS en hôtellerie-restauration, puis se spécialise dans la fabrication de "desserts de restaurant". Son diplôme en poche, il décroche un CDI en tant que chef de partie pâtisserie dans un restaurant de Reims. Tout se passe bien, jusqu’à ce que le chef et le second décident de partir. Le jeune homme se retrouve en charge de tous les postes.

"Quand on se retrouve tout seul à envoyer quarante entrées, quarante plats, quarante desserts, on ne peut pas tout surveiller. J’ai toujours eu pour projet de travailler dans du haut de gamme, pas de bâcler les cuissons, la température d’envoi, l’assaisonnement…" Bastien

Malgré le retour d’un chef en cuisine, Bastien, déçu par l’expérience, finit par perdre la flamme du début.

"Petit à petit, le réveil, je le mettais de plus en plus tard, jusqu’à le faire sonner cinq minutes avant de partir, pour retarder l’échéance." Bastien 

Bastien finit par démissionner. Pendant le premier confinement, il découvre le plaisir de profiter de sa famille. Il réalise surtout que le métier qu’il exerce est bien loin de son rêve d’enfant. Aujourd’hui, le jeune homme a pour projet d’ouvrir un salon de thé, loin du rythme effréné de la restauration classique.

"Ce métier, je pense, c’est terminé pour moi." Bastien

12 min

Sarah (Toulouse)

Sarah, trente-et-un ans, se tourne vers l’hôtellerie après avoir vu des reportages à la télé.

"A ce moment-là, je rêvais d’avoir un poste à responsabilité. Je me disais même que je pourrais partir au bout du monde pour ce métier. Je ne me voyais pas avoir de petit ami ou d’enfant. J’étais vraiment carriériste, à fond dans mon objectif de travail." Sarah

A vingt-trois ans, pour son premier job dans un hôtel trois étoiles de l’Aveyron, Sarah est catapultée assistante de direction. Elle enchaîne les heures, travaille sept jours sur sept et finit pourtant par être remerciée. Après avoir rencontré son compagnon, elle enchaîne ensuite les expériences harassantes, dans un hôtel de Toulouse où défilent les prostituées et la police des mœurs, puis à Perpignan, en tant qu’adjointe de direction, dans un hôtel très mal entretenu où elle devient le "punching ball" des clients. Là encore, la jeune femme travaille trop, cumule les heures supplémentaires et les astreintes de nuit, voit de moins en moins son petit garçon, qu’elle a eu entre temps.

"Mon conjoint, un jour, m’a dit : "On a besoin de toi. Ton fils grandit, et tu ne le vois pas."" Sarah

Le couple finit par exploser en plein vol. Aujourd’hui, Sarah occupe un poste de réceptionniste dans un hôtel à Toulouse, mais a dû renoncer à la garde de son fils de trois ans, parce qu’elle commence à l’aube ou finit trop tard. Elle aimerait trouver un métier avec "des horaires normaux", mais a trop de dettes à régler pour sauter le pas. Et puis elle s’interroge sur l’après :

"Que faire d’autre quand ça fait dix ans qu’on a fait ça ? Aujourd’hui, je ne me verrais pas dans autre chose." Sarah

Merci à Bastien, Cédric et Sarah.

Reportage : Karine Le Loët 

Réalisation : Emmanuel Geoffroy 

Musique de fin : "It if ain't love" d'Edward Hogston & Josh Oliver.

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