Publicité

Les écoles de production, un vivier d'ouvriers que s'arrachent les PME

L'Etat vient d'encourager le doublement du nombre de ces établissements atypiques qui forment d'ex-décrocheurs scolaires aux métiers industriels en tension. Reportage à La Giraudière près de Lyon, une des plus anciennes écoles de production qui préparent dès 15 ans au CAP ou bac pro en métallerie ou menuiserie et répondent aux commandes de TPE et PME locales.

A la Giraudière, les 128 élèves passent les 2/3 du temps en ateliers où ils réalisent les commandes des entreprises locales.
A la Giraudière, les 128 élèves passent les 2/3 du temps en ateliers où ils réalisent les commandes des entreprises locales.

Par Marion Kindermans

Publié le 27 nov. 2021 à 11:30

Dans l'atelier de métallerie, une quinzaine de jeunes, polo noir au logo de « La Giraudière », s'activent pour terminer les garde-corps et grilles pour fenêtres qui doivent être livrés le soir même à une entreprise du coin. Dans le brouhaha des machines qui poncent, percent, meulent, tronçonnent et ébavurent les plaques d'acier, le calme et la concentration des élèves sont impressionnants.

Difficile d'imaginer que ces jeunes de 15 à 18 ans, dont 35 % ont des troubles sévères de l'apprentissage (dys ) », sont d'anciens chahuteurs du fond de la classe. La Giraudière, une des plus vieilles écoles de production de France, située en pleine campagne, à Brussieu, à 50 kilomètres de Lyon, s'attelle à leur dessiner un avenir. Avec les deux autres ateliers, qui sont dédiés au travail du bois (charpentes, meubles, …), l'établissement installé dans une ancienne usine de tissage sur 12.000 mètres carrés de terrain sur trois communes accueille au total 128 jeunes.

Comme les 35 autres écoles de production disséminées dans toute la France, cet établissement privé d'enseignement technique reconnu par l'Etat prépare des jeunes à partir de 15 ans aux CAP ou bac pro, puis s'ils le souhaitent leur offre une année en alternance. L'idée est de capter une partie des 90.000 décrocheurs scolaires en France. « 50 à 65 % de nos élèves vont même jusqu'au BTS », se félicite Anatole Dovy, directeur de l'école, ex-entraîneur de foot de jeunes, mais que la carrière de trente ans aux Messageries lyonnaises de presse ne prédestinait en rien à prendre les rênes de cette maison.

Publicité

Délais et qualité

A mi-chemin entre centre d'apprentissage et lycée professionnel, ces écoles hybrides préparent à des métiers en tension en majorité dans l'industrie. Mais ici, c'est l'entreprise qui vient à eux, ils ne sortent pas de l'école pour éviter les va-et-vient inutiles et mieux les encadrer. « Je ne voulais pas travailler dans un bureau mais plutôt de mes mains ; je vais même plus loin car je fabrique des pièces pour des entreprises », raconte Sébastien, dix-sept ans, en 3e année de métallerie. Il passe les 2/3 de la semaine en atelier, le reste en cours. Il a même déjà trouvé un employeur, les Fermetures Lardellier, qui lui ont proposé un emploi à la sortie, convaincus de son savoir-faire lorsqu'il a travaillé pour eux.

Car ici, les élèves répondent à des commandes . Pas question donc de lésiner sur les délais et la qualité. « Et quand ça ne convient pas, on recommence », prévient Raphaël Soly, responsable de l'atelier métallerie. 70 % des clients de l'atelier bois sont des entreprises, jusqu'à 85 % dans la métallerie, le reste des particuliers. Les 150 entreprises du fichier sont pour la plupart des TPE-PME locales. « Ces commandes nous rapportent 900.000 euros de chiffre d'affaires par an », compte Anatole Dovy.

Recrutement

Mais la crise du Covid est venue stopper cet élan. Avec l'activité économique au ralenti, le budget annuel de 2,4 millions d'euros, alimenté à 35 % par la sous-traitance aux entreprises, a fondu de 11 % en 2019-2020. « Et malgré la reprise, nous sommes en recul de 2 à 3 % par rapport à une année normale » détaille le directeur. Car, et même si cela va mieux qu'il y a dix ans, ces écoles sont fragiles. Le modèle d'affaire comme pour les autres du réseau repose d'abord (pour un bon tiers environ) sur les contrats d'entreprises, puis sur des subventions de la Région, de l'Etat, et des subsides au titre de la formation pour les apprentis.

Créées à partir des besoins d'entreprises locales, les écoles évoluent en fonction de ces donneurs d'ordre. A La Giraudière, l'atelier mécanique d'usinage a été fermé en 2008 fautes de demandes, et à la place, a été monté celui de la construction bois, secteur en plein boom. Avec la reprise post-Covid, les besoins en recrutements ont explosé . Il suffit de jeter un oeil aux panneaux à l'entrée des ateliers : GT Laser, Denjean, Méta, ASMT, Serimétal, cherchent désespérément des chaudronniers, des soudeurs, des métalliers, tandis que côté atelier bois, Design Bois, Poly BT ou Suscillon affichent des dizaines de propositions de jobs de menuisiers. « Mes élèves ont 4 à 5 propositions d'embauche chacun quand ils sortent, on se les arrache, avec des salaires de 2.000 euros au démarrage », glisse Raphaël Soly, passé chez Meta Industrie et, comme la totalité des 14 maîtres professionnels qui encadrent les jeunes, ancien élève de La Giraudière.

« Donnant-donnant »

Cela fait quinze ans que Christophe Bouteille, à la tête de la petite société CMCB, à 15 kilomètres de là, fournisseur de décorations pour les magasins, passe commandes ici « pour des pièces les moins urgentes » reconnait-il. Mais dans cette affaire « donnant-donnant » avec l'école, il trouve un vivier d'apprentis « plus autonomes, plus efficaces que les compagnons ». Quant à Design Bois, 15 millions d'euros de chiffre d'affaires et 90 salariés, qui réalise des comptoirs de vente, cloisons et plafonds décoratifs pour McDo, Le Duff ou Grand Frais, 6 de ses collaborateurs ont été formés à La Giraudière. « Nous sommes sur des métiers en pénurie, recruter des menuisiers devient de plus en plus compliqué », rapporte Anna Bochard, directrice générale.

La Giraudière anime de nombreuses journées portes ouvertes pour des élèves de 3e. Car ces jeunes il faut aller les chercher. L'industrie ne les fait pas forcément rêver. « La faute aussi au secteur qui ne se renouvelle pas, qui peut se projeter d'être serrurier-métallier ? » grince Anatole Dovy, qui se réjouit de fait de l'arrêté du 30 mars 2021 actant de l'abandon du CAP « serrurier-métallier » pour celui, plus simple et offrant plus de perspectives, de « métallier ».

Bercy vise 100 écoles de production

La ministre déléguée à l'Industrie, Agnès Pannier-Runacher, a annoncé mardi 23 novembre la création de 34 nouveaux établissements suite à l'Appel à manifestation d'intérêt (AMI) lancé en mai, qui seront aidés financièrement par l'Etat. Ils s'ajoutent aux 42 écoles existantes dans l'Hexagone, accueillant 1.200 élèves. Un premier pas qui vise à doubler le nombre d'écoles de production, à une centaine d'ici 2023. Atypiques, peu connues, ces établissements, dont le premier a été créé à Lyon en 1882, sont sortis de l'ombre en 2018 grâce au programme « La France s'engage » de François Hollande. La reconnaissance par l'Etat et le financement public depuis 2020 les a consolidées. L'Etat veut former 15.000 jeunes aux métiers de l'industrie en deux ans pour répondre aux problèmes de recrutement dans la filière.

Marion Kindermans

MicrosoftTeams-image.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres

Nos Vidéos

xx0urmq-O.jpg

SNCF : la concurrence peut-elle faire baisser les prix des billets de train ?

xqk50pr-O.jpg

Crise de l’immobilier, climat : la maison individuelle a-t-elle encore un avenir ?

x0xfrvz-O.jpg

Autoroutes : pourquoi le prix des péages augmente ? (et ce n’est pas près de s’arrêter)

Publicité