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Dans l’iel du cyclone

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Le pronom ni féminin ni masculin, dans lequel certains élèves se reconnaissent, s’invite aussi à l’école. Là, il ne semble pas émouvoir, il montre au contraire que les ados s’intéressent à l’évolution de la société.
par Julie Billault
publié le 1er décembre 2021 à 6h13

«Vous connaissez «iel», madame ?» La question m’est posée par une élève de 3e, mardi 14 novembre, 8h30, en pleine étude de texte. Je ne sais pas de quoi il retourne avant qu’elle ne m’explique que c’est un nouveau mot, sans plus de commentaires. D’autres collègues sont aussi interrogés le même jour, par des élèves davantage curieux de leur réaction que sur ce qui peut leur paraître un non-évènement.

Le lendemain, l’information est partout : le pronom iel intègre le Robert en ligne, suscitant pléthore de réactions. L’Académie française est saisie par le député François Jolivet qui estime la langue française «souillée». Quant au ministre de l’Education, il reproche au dictionnaire de «triturer» le français tandis que la première dame semble considérer que ce pronom alourdit une «si belle» langue, constituée de «il et elle», oubliant ainsi le troisième larron, le «on», mais passons, il paraît probablement plus léger pour Mme Macron.

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Amusants, déroutants, les nouveaux mots sont parfois un sujet de discussion, rarement de polémique. Le dictionnaire est en théorie une simple borne sur la route de la langue dont il reflète les évolutions. Une telle levée de boucliers pointe combien la question du genre est sensible, tant nombre d’acteurs politiques se sentent dans l’obligation de se positionner par rapport à ce iel de la discorde.

Se situer par rapport à la norme

A l’école, là où se trouve une part certaine d’élèves se reconnaissant en ce pronom, l’arrivée de ce dernier ne semble pas émouvoir plus que de raison. Est-ce parce qu’ils revendiquent davantage d’égalité entre sexes depuis #MeToo ? L’omniprésence des réseaux sociaux multiplie-t-elle les occasions d’exprimer, d’affirmer leur point de vue ? Il semble que les mentalités des élèves évoluent vers une plus grande acceptation des autres, beaucoup plus rapidement que les adultes qui les entourent.

Ceci n’est pas si surprenant ; les adolescents, en quête d’eux-mêmes, font grand cas de l’égalité entre sexes et leurs interrogations sur l’identité sexuelle sont fondamentales. En faisant entrer iel dans le dictionnaire, le Petit Robert a fait un grand coup de communication (inclusive !), et a pu, dans le même temps, atténuer voire répondre à certaines attentes des jeunes. Par cette simple introduction, l’horizon de certains se trouve élargi quand pour d’autres il peut désamorcer un malaise voire davantage.

On aurait tort de penser que les élèves considèrent notre langue de loin, avec des enjeux de vieux grammairiens, faits de règles obscures, d’exceptions et de tableaux de conjugaison. Le français les questionne, tout comme ce qui peut se dire et s’écrire dans l’école et en dehors. Aussi s’interrogent-ils sur la norme, au moment où leur existence tente de se situer vis-à-vis de cette dernière. En tant qu’enseignants, nous en sommes l’incarnation. Pour les élèves, le professeur de français connaît les usages de la «bonne» langue, il transmet comment s’exprimer sans que cela ne soit questionné.

«Communication inclusive»

Néanmoins, il est intéressant de s’interroger sur ce qu’une telle intronisation implique. Dans quel cadre ce pronom sera-t-il utilisé ? Celui des échanges oraux ? Des articles de loi ? Des exercices du Bled ? Rien de tout cela, que les âmes sensibles soient rassurées ! Au sein des établissements scolaires, l’écriture inclusive est proscrite depuis mai 2021. Par ailleurs, le Robert précise que l’usage du pronom est rare – un peu moins depuis que l’on s’écharpe sur le sujet – mais aussi qu’il entre dans le cadre non pas de l’écriture mais de la «communication inclusive».

On l’aura compris, l’arrivée de iel à l’école n’est pas au programme. Quel avenir alors pour ce pronom s’il reste bloqué au portail des cours d’écoles ? En tant qu’enseignants, nous savons les résistances aux changements, quand certains s’offusquent encore de la prononciation de la liaison dans «les haricots» ou de la possibilité d’écrire «nénufar». L’heure du bouleversement de l’écriture et l’arrivée d’un nouveau pronom sur les tableaux ne sont pas encore venues. On pourra le regretter car il semble que, pour une fois, les élèves en étaient curieux.

L’introduction de ce pronom, qui aura brièvement agité la sphère politique, ne devrait pas nous faire oublier que pour d’autres, elle signifie simplement une reconnaissance de ce qu’ils sont – ou ne sont pas – faisant ainsi avancer leur intégration, non pas dans le dictionnaire mais dans la société.

Cet article est tiré du Libé spécial auteur·es jeunesse. Pour la troisième année, Libération se met aux couleurs et textes de la jeunesse pour le Salon du livre de Montreuil qui ouvre ses portes le 1er décembre. Retrouvez tous les articles ici.

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