Des jouets en bois, du vin chaud, des bougies parfumées… Sur la place de la Libération, à Dijon, ce dernier samedi de novembre est aussi le premier jour du marché de Noël. Malgré la neige fondue qui tombe en même temps que la nuit, la foule se presse autour des chalets en bois et du grand sapin illuminé. A la même heure, dans les zones commerciales de toute la France, les magasins Grand Frais, installés dans des bâtiments qui rappellent vaguement les halles en fonte édifiées au XIXe siècle dans les centres-villes, proposent une abondance de produits frais sous le slogan « le meilleur marché ».
Sous les halles de Bacalan, à Bordeaux, les amateurs dégustent des plats préparés devant leurs yeux par les commerçants. Dans les quartiers gentrifiés des métropoles, des épiciers portant un tablier bleu conseillent à leurs clients les meilleurs fruits et légumes bio et de saison. Et dans les couloirs du métro parisien, des affiches criardes promettent « la livraison en dix minutes » de produits frais.
Tous ces modes de vente, aussi divers soient-ils, présentent un point commun. Ils puisent dans l’imaginaire du marché alimentaire : l’abondance, la fraîcheur, la convivialité, l’immédiateté. « Tout le monde veut ressembler au marché », résume François Mounier, qui dirige Le Comptoir des marchés, une société prestataire des collectivités.
Face à cette nouvelle concurrence, près de 10 700 marchés alimentaires (couverts et découverts) existent en France, et leur part dans le volume des ventes a tendance à augmenter. Ce sont bien plus que des lieux d’achat. Les conversations avec les commerçants et entre clients créent un rituel, comme le fait de s’installer, une fois son cabas rempli, à la terrasse d’un café pour observer la foule. « Les consommateurs ont besoin de ce lien social », affirme Monique Rubin, présidente de la Fédération nationale des syndicats des commerçants des marchés de France (FNSCMF) qui regroupe 120 associations et 12 000 adhérents.
Les élus locaux ne s’y trompent pas. « Le marché est notre poumon, notre cœur, il rythme la vie de la cité », s’enflamme Delphine Labails, maire (PS) de Périgueux, où 110 commerçants installent tréteaux et parasols chaque samedi matin au pied de la cathédrale. « C’est un endroit où l’on prend le pouls de la population », poursuit l’édile.
Une agora séculaire
Le joli marché, en France, conserve une forte symbolique. La fréquentation régulière des étals vaut à tel ministre le label envié de « personnalité proche du terrain ». Lorsqu’il se tient à l’extérieur, sur le domaine public, le marché demeure le seul lieu de vente où l’on tolère que les candidats aux élections distribuent des tracts et checkent des poings. Dans cette agora séculaire, les militants collent des affiches dénonçant la chasse, les impôts locaux ou le passe sanitaire, et les sans-abri vendent leur journal sans crainte de se faire refouler. A l’inverse, les hypermarchés, les galeries marchandes et même les « halles gourmandes » sont des espaces privés, où la diffusion de toute parole susceptible d’affecter le bon déroulement du commerce est strictement interdite.
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