Il est à peine 17 heures et les tables de l’aide alimentaire ont été déjà presque entièrement vidées. « Pour ceux qui arriveront après leurs cours, ça sera le désert de Gobi », se désole Chantal, bénévole des Restos du cœur, qui organisent, chaque jeudi, une distribution à destination d’un public de moins de 30 ans au Quartier jeunes, place du Louvre, à Paris. Une soixantaine de jeunes se sont déjà pressés dans la salle de cet espace ouvert en octobre par la Mairie de Paris, pour remplir leurs cabas de yaourts, boîtes de conserves, œufs frais – et de quelques maigres légumes du jour : denrées trop chères pour ces étudiants, la majorité des bénéficiaires, ils sont partis en un rien de temps.
« Quand on n’a que 350 euros pour vivre, on n’achète que le minimum : ce qui bourre le ventre, des nouilles ou du riz », constate la bénévole. L’essentiel des repas de Hamery de Melo, 23 ans, qui attend dans le fond de la salle pour s’inscrire. Etudiant en école de commerce, il vient d’être remercié par l’agence de photo qui l’employait en alternance, et a perdu sa seule source de revenus – 823 euros mensuels. « Un matin, sans raison, ils m’ont dit : “tu peux t’en aller”, raconte-t-il. Je ne sais pas comment faire pour les factures. » En septembre, Hamery avait déjà réduit ses repas pour payer la caution de son studio – un 17m² à 550 euros. Sa mère, accompagnante d’élèves en situation de handicap, seule avec la charge de ses trois frères et sœurs, ne peut pas beaucoup l’aider, alors, le peu qu’il lui reste, il le garde désormais pour le loyer.
« Avec le Covid qui reprend, mes employeurs voyaient revenir le télétravail et l’obligation de me fournir un ordinateur, etc. », pense l’étudiant. Déjà en 2020, en pleine crise pandémique, il avait dû faire « une année blanche » faute d’avoir pu trouver une alternance. Aujourd’hui, il doit chercher à nouveau un employeur : il ne peut pas payer les 10 000 euros de frais de scolarité de son école, dont s’acquitte l’entreprise dans le cas d’une alternance. Les histoires comme celle d’Hamery, symbole d’une jeunesse déjà fragile et percutée par le prolongement de la crise sanitaire, affluent dans ce point de distribution. Premiers à pâtir du moindre revirement, les jeunes constituent désormais la moitié des personnes aidées par les Restos du cœur.
« Submergés de demandes »
Malgré la reprise économique de la rentrée, les distributions alimentaires ne désemplissent pas. Face visible du phénomène, ces images d’interminables files d’étudiants qui attendent un panier-repas ont particulièrement frappé à l’étranger et dans l’opinion publique. « Elles ont révélé des poches de pauvreté qui s’étendent depuis des années au sein de la jeunesse : chez une partie des jeunes abandonnés par divers dispositifs de protection sociale et chez toute une frange des étudiants », souligne le sociologue Camille Peugny, auteur de Pour une politique de la jeunesse (Seuil-République, 128 pages, 11,80 euros), à paraître en janvier.
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