Le superviseur VFX ou l’art du trucage

Le superviseur VFX ou l’art du trucage

17 décembre 2021
Cinéma
Le Chant du loup
"Le Chant du loup" Pathé Films - Trésor Films - Chi-Fou-Mi Productions

Spécialiste des effets spéciaux, le superviseur VFX gère une équipe de graphistes, modélistes et spécialistes de l’image chargée de transformer des plans d’un film. Explications d’un métier qui s’est démocratisé, avec Geoffrey Niquet de BUF et Thomas Duval de Digital District.


Un « métier aux multiples facettes ». Contrairement aux Etats-Unis où il est un « chef de poste engagé par une production pour faire travailler différentes compagnies », le superviseur VFX en France est salarié d’une seule société, souligne Geoffrey Niquet (Buf Compagnie). « Comme tous les chefs de poste dans le cinéma, il est chargé de faire le relais entre les désirs de mise en scène du réalisateur et les moyens techniques pour y arriver, tout en encadrant les équipes chargées de réaliser les effets visuels.

Je suis un peu comme un chef d’orchestre qui essaie de mener à bien sa partition avec ses musiciens et de la dérouler en harmonie avec tout ce qu’il se passe autour : la lumière, la mise en scène, la décoration 
Thomas Duval
Digital District

Spécialiste de la phase de post-production, le superviseur VFX intervient pourtant bien avant le tournage du film. « Il encadre une réalisation du début à la fin. Mon métier consiste à lire des scénarios et faire un dépouillement pour identifier les endroits où l’histoire nécessite éventuellement des effets numériques. On confronte ensuite ce relevé avec ceux du metteur en scène et des équipes de tournage pour ajuster le tout. Là où moi j’imaginais pouvoir les aider, ils s’en sortiront parfois seuls et inversement », détaille Thomas Duval qui « accompagne la production sur le tournage des plans qui le concernent », ceux qui nécessiteront ensuite « une intervention numérique ». « Il y a des questions d’arbitrage : est-ce que ça va être construit en décor réel ou en effets visuels ? Il faut trouver la solution économique la plus maligne », confirme Geoffrey Niquet.

Une vision artistique essentielle

Présent dès les « prémices du projet », le superviseur VFX intervient ensuite après le montage. « C’est là que la post-production commence. On demande au laboratoire du film de nous envoyer les plans originaux, on les met ensuite dans les machines et on fait les trucages », explique Thomas Duval. Parmi les tâches des responsables des effets spéciaux figurent notamment le « nettoyage » des éléments anachroniques, comme le raconte Thomas : « Il peut y en avoir beaucoup dans les images. Plutôt que de demander aux décorateurs de changer tous les lampadaires, les poubelles, les bancs publics ou encore les horodateurs, il est plus économique de le faire en numérique. »

Certaines missions sont plus difficiles que d’autres. Geoffrey Niquet et son équipe de BUF ont ainsi été amenés à créer les images de sous-marins sous l’eau pour Le Chant du loup d’Antonin Baudry. « La visibilité fait qu’on ne peut pas tourner des plans larges sous l’eau et il est beaucoup trop compliqué d’avoir une équipe de tournage. Tous les plans sous-marins ont été réalisés en images de synthèse. Si on avait voulu être réalistes, on ne verrait pas le sous-marin sous l’eau. Là, il fallait trouver un moyen de conserver des images crédibles qui ne sortent pas le spectateur du film, de trouver de l’esthétique, un moyen de raconter les choses. L’hélicoptère apparaissant au début du film a également été entièrement réalisé en numérique car Antonin Baudry voulait un engin venu d’un futur proche, pas un qui existe déjà », détaille-t-il.

Pour Geoffrey Niquet, un superviseur VFX doit avoir des qualités de communication car « il doit traduire les idées d’un réalisateur vers une équipe. Il faut les interpréter et réussir à lui vendre des solutions ». Il est également essentiel d’avoir des qualités en « création visuelle » et de savoir « exploiter l’humain, l’artistique, la technique et la science ». Thomas Duval insiste pour sa part sur « l’expertise » du superviseur VFX qui a la difficile mission de « trouver un équilibre entre le budget du film et ce qu’il peut offrir en termes d’effets spéciaux » tout en s’adaptant à chaque projet et au style du réalisateur. « Il faut rentrer dans la peau du metteur en scène pour essayer de comprendre sa vision afin de pouvoir lui fournir des images qui vont dans son sens, qui touchent sa sensibilité. Il faut que ça reste cohérent et que ça réponde aux attentes du scénario par rapport aux émotions ».

Répondre aux attentes du réalisateur l’a d’ailleurs conduit, au début de sa carrière dans les années 1990, à innover. « Nous avons travaillé pour David Fincher sur Fight Club. Nous avons amené des mouvements de caméra mentale sur des décors en 3D : elles pouvaient sortir d’un immeuble, descendre, aller voir ce qu’il se passe dans un parking, dans une poubelle… Ce sont des choses qui n’avaient jamais été faites à l’époque. Il y a également dans le film une scène de sexe entre deux héros. David Fincher voulait qu’elle ressemble à un tableau de Bacon. Il y a eu un long processus de recherche : nous avons proposé des choses et le réalisateur a réagi en fonction », se souvient-il.

Un métier en mutation

Titulaire d’un diplôme de réalisateur numérique, Geoffrey Niquet a suivi des études à Sup Info Com. Thomas Duval, pour sa part, est arrivé dans le milieu des effets visuels par hasard. Venu de la photographie, il a été engagé par une société de vidéos qu’il a contactée pour « essayer de sauver un film en Super 8 qu’il avait tourné en se trompant dans les réglages de sa caméra ». « Le film était tout noir et je suis allé demander de l’aide à la société au-dessus de mon studio photo. J’ai été engagé puis lorsqu’elle a pris un virage vers le cinéma numérique, j’ai suivi ».

S’ils ont des parcours différents, ils s’accordent sur le fait que leur métier a connu une véritable mutation ces dernières années en se démocratisant. « On est passé de quelque chose d’expérimental et artisanal à une véritable industrie avec des effets standardisés et de la concurrence », décrypte Geoffrey Niquet. « On était davantage multitâches avant. C’est d’ailleurs une de nos forces en France : on a rapidement été habitués à faire plusieurs choses, à avoir plusieurs cordes à notre arc. C’est la raison pour laquelle la France a bonne réputation outre-Atlantique. Lorsqu’on a démarré, on avait des petits moyens donc on essayait de trouver des solutions et de se débrouiller tout seul. Dans les pays anglo-saxons, les budgets aidant, il y a eu beaucoup de métiers qui se sont créés et les personnes se sont spécialisées », conclut Thomas Duval.

Le Monteur-Truquiste, une "simple appellation"

« Le métier de monteur-truquiste en tant que tel a un peu disparu. Le métier s’est généralisé, complexifié et démocratisé », explique Geoffrey Niquet. « Ce terme existe encore mas il est davantage une appellation pour les conventions, confirme Thomas Duval. Il était écrit dans mes premières fiches de paie. Mais le métier de truquiste englobe de nombreuses qualifications. A l’époque, nous montions en 35 mm d’où la notion de monteur. Puis il y a eu le numérique et on s’est mis à truquer les plans. Mais aujourd’hui un monteur est rarement truquiste et inversement », souligne-t-il.