A chaque drame national, son sursaut. Le désastre de 1870 a entraîné la création de l’Ecole libre des sciences politiques. Celui de 1940, la naissance de l’Ecole nationale d’administration (ENA). Emmanuel Macron, qui a martelé « nous sommes en guerre » au début de la crise sanitaire de 2020, se place dans cette dramatisation historique en annonçant la suppression de l’ENA, le 8 avril 2021 : « Comme en 1945, nous vivons un moment historique. Il y a soixante-quinze ans, notre pays, épuisé, sortait de deux guerres avec devant lui le défi immense de la reconstruction. L’ENA fut créée. Nous avons structuré notre haute fonction publique. En 2021, notre pays fait face à une pandémie historique. Notre devoir est de savoir y répondre avec le même sens de l’histoire. »
Le 1er janvier 2022, l’Institut national du service public (INSP) remplace officiellement l’ENA. Et la naissance de l’institut est l’épilogue d’une période marquée par une dramaturgie toute particulière. Les rebondissements, les tensions, le tragique n’ont certes pas épargné son cours. Et elle est, par cet aspect comme par d’autres, emblématique du quinquennat qui s’achève, un concentré de macronisme. D’ailleurs, les bases sont posées dès 2017. « Je ne veux pas que l’Etat fabrique des “castes” administratives, avec des carrières toutes tracées, déclare alors le candidat Macron. Je veux renforcer la méritocratie au sein même de l’Etat, pour promouvoir les meilleurs et les plus engagés, et pas seulement ceux qui ont eu les qualités académiques requises à un instant T pour sortir bien classés. » Et, pour cela, « oui », il faut supprimer, après l’ENA, l’accès direct aux grands corps (Conseil d’Etat, inspection générale des finances, Cour des comptes) et favoriser le terrain.
L’ultime tentative de Matignon
Tout est là, en germe. Emmanuel Macron a la rente en horreur. Les bonnes notes obtenues à l’ENA ne peuvent pas décider de toute une carrière, séparant définitivement ceux qui entrent dans les grands corps (la « botte ») à 25 ans, et les autres. Lui-même s’en est rendu compte à l’inspection générale des finances (IGF). Il le confie à ceux à qui il parle de sa réforme : l’Etat n’a pas à offrir « un parachute à ceux qui ont échoué dans le privé ». Or l’IGF, selon l’expression d’un ancien directeur du budget, « c’est comme si vous aviez toujours une chambre bien au chaud chez vos parents ». Emmanuel Macron en a démissionné en 2016 parce que, dit-il, il faut savoir « prendre son risque ».
Les grands corps se savent donc en danger. Mais plusieurs des leurs sont à Matignon. Le premier ministre d’alors, Edouard Philippe, est conseiller d’Etat, comme son directeur de cabinet, Benoît Ribadeau-Dumas, et Marc Guillaume, secrétaire général du gouvernement, congédié en juillet 2020. Le 1er février 2018, Matignon sort une carte de sa manche : les jeunes destinés aux grands corps seront affectés pour un temps aux projets prioritaires du gouvernement. C’est un gage, une dernière tentative pour sauver le système.
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