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Chez les producteurs de lait bio : «La crise, on y va si rien n’est fait»

De nombreux éleveurs convertis au bio se retrouvent en difficulté à cause d’un ralentissement de la consommation et d’une surproduction.
par Pauline Moullot
publié le 27 décembre 2021 à 19h47

Des appels aux consommateurs pour qu’ils achètent six bouteilles, une opération de com dans plus de cent supermarchés sur un week-end, un pack de Lactel offert pour deux achetés… Ces dernières semaines, les initiatives se multiplient pour relancer la consommation de lait bio. Après une croissance située entre 15 et 20% durant plusieurs années, celle-ci a fortement ralenti en 2021, voire s’est rétractée sur les produits de «l’ultra-frais» comme les yaourts.

«On a dépassé le stade des turbulences, mais je ne me risquerais pas à parler de crise», relativise auprès de Libération Corentin Puvilland, agroéconomiste, chargé du suivi conjoncturel de la filière lait pour l’Institut de l’élevage (Idele). «La crise, on y va si rien n’est fait», prophétise Pierre-Dominique Lucas, référent Biolait dans le Morbihan. Selon les derniers chiffres du Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (Cniel), relativement stables pendant le premier semestre, le prix du lait bio a chuté de 2,6% en septembre par rapport à 2020. Le nombre de conversions d’éleveurs conventionnels au bio ces dernières années explique en partie la surproduction actuelle. Entre 2017 et 2018, la production de lait bio a en effet augmenté de 35%, en passant à 848 millions de litres, issus de 3 295 fermes. Ils étaient 900 producteurs de plus cette année pour 1 241 millions de litres, et le Cniel prévoit encore une hausse de 9% en 2022. Résultat, tous les opérateurs ont stoppé les conversions, Sodiaal (18 % de la production de lait bio, au coude-à-coude avec Lactalis) et le numéro 1 Biolait (27 %) n’acceptent plus que les jeunes qui s’installent.

«Certains labels font de l’ombre au bio»

«Il faut que la puissance publique prenne ses responsabilités. Ils ont encouragé les conversions, ils veulent passer à 25% de surface en bio, mais il faut qu’ils soutiennent la filière», interpelle Yves Sauvaget, éleveur dans la Manche et président de la commission bio du Cniel. «Le souci, c’est qu’il faut un an et demi ou deux ans pour convertir son exploitation, il y a un temps d’inertie qui rend difficile l’ajustement de l’offre et de la demande», analyse Corentin Puvilland.

Entre 2019 et 2021, les ventes de lait et de crème n’ont progressé que de 2 et 5%, une dizaine de points de moins par rapport aux années précédentes. Celles de beurre sont restées stables alors que l’ultra-frais a baissé de 7%. Si l’on regarde par rapport à 2020, les chiffres sont encore pires. Tout est en recul. Mais ces données sont néanmoins à relativiser, puisqu’elles sont biaisées par le confinement pendant lequel les ventes ont été boostées.

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Les spécialistes pointent la multitude d’offres sur un créneau similaire pour expliquer la baisse de la consommation de bio. «On constate une segmentation de plus en plus forte, avec des labels qui reposent sur des cahiers des charges moins exigeants, et qui font de l’ombre au bio», avance Corentin Puvilland. C’est le cas par exemple des laits sans OGM, régionaux ou des labels équitables comme «C’est qui le patron ?!» «Ces marques vont séduire certains consommateurs qui étaient portés sur le bio», poursuit le spécialiste.

Biolait incite ses éleveurs à moins produire au printemps

Pour éviter la catastrophe au printemps prochain (moment où les vaches produisent le plus puisque leur alimentation repose essentiellement sur le pâturage), les acteurs appellent à la régulation de la filière. Biolait, qui incite déjà depuis deux ans ses éleveurs à moins produire au printemps (en donnant une prime au volume non produit), va accentuer la mesure. «On va plafonner les productions, pour ne pas avoir d’exploitants qui soient incités à produire pour compenser la baisse des prix», avance son président Ludovic Billard.

Gérant uniquement la collecte de lait bio, l’entreprise a peu de marges de manœuvre pour encaisser la crise, tandis que ses concurrents, Sodiaal et Lactalis, peuvent se reposer sur le lait conventionnel. C’est d’ailleurs ce sur quoi insiste Corentin Puvilland : «Tant que les cours des produits laitiers standards se portent bien (comme c’est le cas en ce moment), le déclassement des produits bio en conventionnel est moins coûteux. La gravité de la situation dépendra donc aussi de l’évolution des cours des produits laitiers.» Sodiaal, sans donner de point de comparaison, dit déclasser aujourd’hui 10% de son lait bio. Chez Lactalis, c’est 20%.

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