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Témoignage

« Devenu infirmier pendant ma licence d'éco, je suis désormais en 6e année de médecine »

TEMOIGNAGE // Rodrigue Delcourt, 30 ans, a une licence d'économie. Mais les débouchés lui déplaisaient. Il s'est orienté vers les métiers du « care », en devenant secouriste bénévole d'abord, puis infirmier et pompier volontaire. Il y a quatre ans, il a repris ses études de médecine pour devenir urgentiste.

Rodrigue Delcourt a repris ses études pour devenir médecin urgentiste il y a quatre ans.
Rodrigue Delcourt a repris ses études pour devenir médecin urgentiste il y a quatre ans. (DR)

Par Marion Simon-Rainaud

Publié le 19 janv. 2022 à 17:45Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:19

« Je n'ai jamais eu un gros niveau scolaire. J'ai par exemple décroché mon bac S de justesse. Je suis entré à la faculté d'économie sans réelle conviction ni idée précise pour mon avenir professionnel.

Bon an, mal an, j'ai eu ma licence en quatre ans. Le moins qu'on puisse dire est que je n'étais pas passionné par ce que j'apprenais (rires). Mais, j'avais du temps à côté des cours. Je voulais m'investir dans une association.

Lors d'un dîner, j'ai découvert qu'un de mes amis était bénévole à la Croix Rouge française. Il a enfilé l'uniforme de secouriste devant nous, avant d'aller au stade Vélodrome pour assurer les secours lors d'un match de foot de l'OM, et là je me suis dit : « Moi aussi je vais faire ça ! »

La Croix Rouge, mon socle personnel et professionnel

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Le lendemain, j'ai toqué à la porte de l'antenne locale à Montpellier et je suis devenu secouriste volontaire en 2009. Ils m'ont intégré, formé, accompagné. Finalement, mon expérience dans cette association est devenue le socle de mon parcours universitaire et personnel.

Pendant mes années d'études, j'y ai passé le plus clair de mon temps. Je préférais être sur le terrain (pour des concerts, des événements sportifs, etc.) que sur les bancs de la fac.

Ces années m'ont beaucoup plu car on était avant tout une bande de copains. En même temps, on avait l'occasion de faire plein de choses. J'ai par exemple passé mon diplôme de nageur sauveteur (BNSSA). Je peux le dire aujourd'hui, la Croix Rouge a été une école de la vie pour moi. C'est assez fou les portes que ça m'a ouvertes.

Progressivement, j'ai découvert les métiers du soin et de la santé. En côtoyant ces professionnels, je me suis dit que c'était ce que je voulais faire dans ma vie. Leur quotidien était exactement à l'opposé des débouchés que la fac d'économie m'offrait : finance, banques internationales, voyages d'affaires, argent, etc. J'ai donc changé de cap.

Lors de ma troisième année de licence, j'ai décidé de passer le concours d'infirmier. En 2012, je suis entré à l'école infirmière de Montpellier de laquelle je suis sorti diplômé trois ans plus tard. Je me suis régalé pendant toute la durée de la formation.

Sapeur-pompier sur son temps libre

Mais pareil, mon côté touche-à-tout a resurgi. J'ai intégré le Centre de secours de Bédarieux (une petite ville de l'Hérault d'où je suis originaire) en tant que sapeur-pompier volontaire .

Rodrigue Delcourt dans ses habits de secouriste, de pompier et de maître-nageur.

Rodrigue Delcourt dans ses habits de secouriste, de pompier et de maître-nageur.DR

Les interventions d'urgence et l'adrénaline du travail à la caserne venaient compléter l'apprentissage de la prise en charge du patient. Car à l'hôpital, si on fait des actes techniques sur des patients alités, c'est plus « facile », dans le feu de l'action, ce n'est pas du tout la même manière de procéder. J'ai appris à mieux gérer l'urgence.

Pendant quatre ans, j'ai ainsi alterné entre mes gardes à la caserne et celle à l'hôpital montpelliérain. Je travaillais en tant qu'infirmier dans le service de traumatologie, où on fait en majorité des soins post-chirurgicaux.

J'étais complètement épanoui dans mon métier d'infirmier. J'adorais mon quotidien : l'aspect technique des soins infirmiers, la proximité avec les patients et la confiance qu'ils nous accordent. Mais, il me manquait un truc.

Triple casquette

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En tant qu'exécutant, on ne prend pas part à la prise de décision médicale. Or, je me posais plein de questions sur tel ou tel choix des médecins. Donc, sur mon temps libre, je me documentais et m'auto-formais pour mieux comprendre.

Encore très actif à la Croix Rouge, j'ai passé des formations pour maîtriser les protocoles en soins d'urgence (Pisu) en tant qu'infirmier. J'ai ainsi triplé ma casquette : en suivant un protocole millimétré et validé par les médecins en amont, je pouvais prendre des décisions et médicaliser des patients dans des situations bien précises (arrêt cardiaque, brûlures, etc.), lors des interventions avec les équipes secouristes.

Malgré tout, j'avais encore une certaine frustration : celle de ne pas aller au bout des choses, de devoir laisser la main. Bref, je restais sur ma faim. Je me disais : « J'aurais dû faire médecine. » En même temps, après sept ans d'études, je me voyais mal tout recommencer, surtout pour onze ou douze ans supplémentaires !

En 2018, il y a eu une réforme du système d'entrée par passerelle pour intégrer le cursus. Jusqu'alors réservé aux diplômés de master ou ayant un doctorat dans le domaine scientifique, ils l'ont élargi aux professionnels du paramédical. C'est ce qui m'a fait franchir le cap.

J'ai eu l'immense chance d'être accepté. La sélection se fait sur dossier, et il y a beaucoup de candidats.

Un gouffre entre les études d'infirmier et celles de médecin

Je suis arrivé en troisième année de médecine de la faculté de Montpellier. Je me suis retrouvé avec des étudiants de 20 ou 21 ans alors que j'en avais 27. Des petits jeunes (rires) ! Certes, ils avaient moins d'expérience que moi, mais c'était des machines de guerre pour apprendre. Leur niveau de réussite et de travail était impressionnant.

Au début, ça a été très compliqué car il y a un gouffre immense entre les études d'infirmiers (centrée sur le « care » et la technique) et celles de médecin (centrée sur les pathologies). Je pensais connaître beaucoup de choses, en réalité ça m'a rendu humble quant à mes connaissances.

En revanche, certains de mes coexternes étaient complètement perdus face aux patients alors que, moi, j'étais à l'aise. L'apprentissage de la médecine fait quasiment l'impasse sur ce relationnel, qui pourtant est la base du métier. C'est pourquoi on peut tomber sur des médecins brusques, manquant d'empathie.

« Je ne dormais plus, je mangeais quand je pouvais ! »

Reprendre mes études s'est traduit par un paquet de sacrifices : j'ai dû faire une croix sur les vacances, les sorties, les copains. C'est plus dur une fois qu'on a goûté à la vie professionnelle et à l'autonomie qu'elle apporte.

C'est au niveau financier que ça a été le plus délicat. Issu d'une famille nombreuse et modeste, je ne pouvais compter que sur moi-même. Pendant ma première année de médecine (3A pour les autres) j'ai continué à travailler en tant qu'infirmier fixe de nuit. Je prenais des gardes, et au moment du roulement je changeais de blouse pour aller en stage en tant qu'externe, puis je retournais en cours l'après-midi. Je ne dormais plus, je mangeais quand je pouvais !

Je tenais grâce à mon envie de devenir médecin, plus précisément médecin urgentiste, je ne pouvais pas rater cette opportunité unique. L'année suivante, j'ai tout de même ralenti le rythme. Pour assurer mon salaire, je jonglais entre mes revenus d'infirmier et les indemnités reçues en tant que sapeur-pompier.

Je ne pouvais pas me permettre de démissionner (ni de redoubler !) car en tant que fonctionnaire je n'avais ni droit au RSA, ni aux indemnités chômage. Au bout de deux ans, j'ai bénéficié d'une aide à la formation individuelle qui m'a permis de lever un peu le pied (mais pas totalement car je tenais à garder mon niveau de vie).

Cette année pour le concours de l'internat qui permet de choisir sa spécialité, j'ai décidé de me mettre en disponibilité. Ma compagne, infirmière de profession, me soutient financièrement. Je ne fais que quelques missions en tant qu'infirmier de temps à autre. Pareil pour les pompiers même si j'aime la vie de caserne et que ça me sort le nez des bouquins.

« Je m'accroche ! »

Je continue aussi à bricoler pas mal pour me changer les idées. L'année dernière, j'ai aménagé un van pour partir en vacances… plus tard. J'ai toujours maintenu des activités et des liens hors médecine et heureusement, car si je m'étais isolé, je n'aurais jamais tenu. Et j'ai de la chance, je n'ai pas besoin de beaucoup de sommeil.

Pour l'instant, je m'accroche. Hors de question de tout plaquer maintenant ! Normalement, à partir de juin [date du concours des ECN , NDLR] ce sera plus light. J'arrêterai alors mon métier d'infirmier, mais je continuerai les pompiers . C'est ma passion. Et puis, ça me manquerait de ne plus conduire les gros camions !

J'adore l'ambiance de caserne, l'esprit de cohésion et de fraternité qui en découlent. Cette adrénaline qui nous oblige à se serrer les coudes et faire abstraction du reste sur les grosses interventions. C'est aussi ce que je recherche aussi dans la médecine d'urgence : le travail d'équipe, la solidarité, l'inconnu, la polyvalence.

Alors qui sait, après quelques années d'expérience, je finirai médecin pompier ou médecin à la Croix Rouge. Et la boucle sera bouclée ! »

À noter

Si vous avez aussi une belle (ou moins belle) histoire à raconter, n'hésitez pas à nous contacter : redaction-start@lesechos.fr

Et pour lire d'autres témoignages inspirants, c'est ICI .

Propos recueillis par Marion Simon-Rainaud

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