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EYE : le programme Erasmus méconnu à destination des entrepreneurs

TEMOIGNAGES// Vous avez lu « Erasmus » vous avez pensé directement à vos années de fac et au film l'Auberge espagnole. Pourtant il existe aussi un autre programme cousin du même nom… ou presque : c'est Erasmus for Young Entrepreneurs (EYE). A l'heure où Erasmus (l'historique) fête ses 35 ans, la barre des 10.000 échanges entre entrepreneurs européens a été dépassée. Et l'engouement est palpable.

Tom Pacelli est vidéaste et photographe, en séjour au Portugal ; Audrey Belaud de The People vit à Berlin et a accueilli trois jeunes entrepreneurs en deux ans, dont Valentyna Salyukhina (à droite) une Ukrainienne qui a monté sa boîte Design Me.
Tom Pacelli est vidéaste et photographe, en séjour au Portugal ; Audrey Belaud de The People vit à Berlin et a accueilli trois jeunes entrepreneurs en deux ans, dont Valentyna Salyukhina (à droite) une Ukrainienne qui a monté sa boîte Design Me. (DR)

Par Marion Simon-Rainaud

Publié le 24 janv. 2022 à 12:00Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:19

« Si on m'avait dit il y a un an qu'on pouvait partir développer son business à l'étranger, et qu'on avait une bourse pour ça… Je ne l'aurais pas cru ! » C'est un peu par hasard que Tom Pacelli, 21 ans, photographe et vidéaste, a entendu parler du programme Erasmus for Young Entrepreneurs (EYE) de l'Union européenne.

Depuis le 1er novembre, « ce passionné de voyages » qui se rêve « en professionnel du tourisme » vit à Baltar, un village situé dans le nord du Portugal, grâce à une bourse européenne de 780 euros par mois. Ce pécule l'aide à couvrir ses frais sur place (logement, achats quotidiens, etc.). Jusqu'en avril prochain, il est « accueilli » par Paula Rocha, présidente de l'association Embaixada da Juventude, cinq jours par semaine dans sa structure dédiée à l'accompagnement des jeunes. Il y apprend la gestion de projet et d'entreprises, en retour il met à disposition ses compétences créatives. C'est leur « deal ».

10.124 échanges entre 45 pays

Le jeune entrepreneur fait partie des 18.836 entrepreneurs qui ont postulé au programme EYE depuis sa création il y a treize ans. A ce jour, plus de 10.000 échanges interentrepreneurs dans 45 pays (incluant des pays hors de l'Europe comme Singapour, le Canada, les Etats-Unis ou encore l'Israël) ont été réalisés. Si l'on compare à son cousin le programme Erasmus + (le « classique » à destination en majorité des étudiants) et ses 12 millions de bénéficiaires, le chiffre traduit une méconnaissance du dispositif spécial entrepreneurs.

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De quoi s'agit-il exactement ? Ce programme permet « aux futurs entrepreneurs européens d'acquérir les compétences requises pour créer et/ou gérer une petite entreprise en Europe. [Ils ont] la possibilité d'acquérir ou d'échanger des connaissances […] avec un entrepreneur expérimenté, auprès duquel ils séjourneront pendant […] un à six mois. Le séjour est partiellement financé par la Commission européenne », peut-on lire sur le site officiel du programme.

EYE permet aux nouveaux entrepreneurs d'acquérir, au contact d'un entrepreneur confirmé, des compétences à la bonne gestion d'une petite société. L'entrepreneur d'accueil bénéficie quant à lui d'un regard neuf sur son affaire et d'une ouverture à de nouveaux marchés.

EYE permet aux nouveaux entrepreneurs d'acquérir, au contact d'un entrepreneur confirmé, des compétences à la bonne gestion d'une petite société. L'entrepreneur d'accueil bénéficie quant à lui d'un regard neuf sur son affaire et d'une ouverture à de nouveaux marchés.EYE

Le montant de la bourse dépend à la fois de la durée du séjour et du pays de destination. Le minimum est de 530 euros par mois (pour l'Ukraine, la Moldavie ou encore la Bulgarie) et le maximum s'élève à 1.100 euros par mois (pour vivre au Danemark et ceux qui viennent d'Outre-mer).

Dans le programme EYE, les sommes sont plus conséquentes que pour les étudiants Erasmus +, mais le fonctionnement est le même, tout comme la philosophie : créer des liens entre Européens et favoriser les échanges interculturels.

L'esprit du « win-win »

La Française Audrey Belaud, 28 ans, vit depuis cinq ans à Berlin. L'entrepreneuse aux multiples casquettes (co-CEO du collectif berlinois d'artistes thepeople.world, productrice du film Spacebirth 2, co-créatrice du narthex.earth Festival en Grèce et développeuse web - entre autres) a reçu trois « jeunes entrepreneurs » en deux ans, aux frais de la Commission européenne.

Concrètement comment ça se passe au quotidien ? Les deux entrepreneurs (l'hôte et le novice) se mettent d'accord sur comment le premier peut épauler le second, et vice-versa. Chacun dans leur projet.

L'entrepreneuse-artiste a appris (elle aussi) au fil des trois échanges : « Ça s'est passé de mieux en mieux (rires). En fait, la leçon que j'en tire est qu'il faut un profil complémentaire qui puisse aider au projet. Par exemple quand Rocco [le premier entrepreneur venu chez elle, NDLR], il était lui aussi dans le design web et au tout début de son projet, donc ça m'a demandé du temps supplémentaire, ce n'était pas optimal. Alors qu'avec Valentyna la dernière à être venue à The People, qui est spécialisée dans la communication et le marketing, ses compétences ont comblé un vide. A ce moment-là l'échange a pris tout son sens : c'est du win-win. »

« Ça donne meilleur goût à certaines défaites » 

A chaque fois, elle en tire une « reconnaissance » dans son travail, souvent exécuté en solitaire. « En tant qu'entrepreneur on n'a pas les retours d'un chef, ça fait du bien de pouvoir échanger et transmettre pour que les jeunes entrepreneurs ne commettent pas les mêmes erreurs que moi au début. Ça donne meilleur goût à certaines défaites », confie Audrey Belaud dont l'enthousiasme pour EYE est contagieux.

Pour participer au programme, elle a dû s'inscrire sur la plateforme EYE qui fait l'intermédiaire avec les entrepreneurs novices (dont l'entreprise a été créée entre un à trois ans). Depuis, elle est répertoriée dans le catalogue des « entrepreneurs expérimentés », c'est-à-dire avec plus de trois ans d'expérience, et reçoit environ deux à trois demandes par mois. A chaque demande, « l'entrepreneur novice » doit lui présenter son business plan : ce qu'il vient apprendre et pourquoi dans cette structure en particulier. Attention, la bourse n'est attribuée qu'une seule fois par personne.

Flexibilité appréciée

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Les avantages du programme sont certains : d'abord, les hôtes ne déboursent pas un sou pour accueillir les « jeunes entrepreneurs » bien que ces derniers fournissent du travail pour leur business, ensuite ils peuvent piocher dans le catalogue en ligne des candidats (selon les compétences, la disponibilité, la demande de pays, la nationalité) et le temps alloué à l'échange est ajustable, il se décide entre les parties concernées. Par exemple, ce peut être un jour par semaine et le reste du temps l'entrepreneur accueilli se dédie à ses activités à distance.

Cette flexibilité est appréciée puisque la plupart des voyageurs ne peuvent se permettre de laisser en friche leur jeune société. « Partir est plus compliqué lorsque son business a décollé, c'est pourquoi le programme est destiné aux novices », explicite Nicolas Chomel, responsable du « point de contact » EYE à Laval, en Mayenne. Pendant son séjour au Portugal, Tom Pacelli prépare en parallèle son premier film.

Seulement 9 « points de contact » en France

Dans chaque pays, il existe des organismes intermédiaires (OI). Ce sont les « référents » à la fois des jeunes entrepreneurs (ceux qui arrivent) et des entrepreneurs hôtes (ceux qui accueillent). Alors que l'Espagne en compte 20 (dont 2 à Barcelone), que l'Italie en compte 26, la France, n'en a que 9 dont 3 à Paris à la Chambre de commerce et d'Industrie d'Île-de-France (CCI IDF), dans l'association Empow'her et au sein du groupe S.O.S. Le reste du territoire est aléatoirement couvert : il existe par exemple un seul « point de contact » dans le grand Ouest au Technopole de Laval.

A noter : pour Erasmus + , plus de 5.000 établissements et organismes sont impliqués.

80 millions d'euros sur six ans

Tous les deux ans, chacun des OI reçoit une enveloppe de la part de la Commission européenne à répartir entre les candidats (et avec laquelle ils se versent une subvention). Par exemple, la CCI IDF a envoyé une trentaine de candidats ces trois dernières années pour une durée de cinq mois en moyenne et des bourses pour un total d'environ 4.000 euros. De son côté, le point de contact de l'ouest en a envoyé une dizaine sur ces deux dernières années. Une des raisons pour lesquelles le programme est si méconnu dans l'Hexagone.

Pour la période 2021-2027, la Commission européenne a augmenté considérablement son budget dédié qui s'élève pour le moment à 80 millions d'euros, soit une augmentation de près 45 % par rapport à l'enveloppe initiale prévue pour la précédente période (55 millions d'euros sur l'exercice 2014-2020). La distribution entre les pays dépend ensuite du nombre d'organismes intermédiaires impliqués dans le programme. Dit autrement plus il y a de « référents » plus il y a d'argent distribué. La France en est donc un des parents pauvres, alors qu'elle est un des pays les plus demandés.

Le « joker » d'une carrière

Après six mois ensemble entre l'Allemagne et la Grèce, la Française Audrey et l'Ukrainienne Valentyna sont devenues amies, et en quelque sorte partenaires - même à distance et dans deux entreprises distinctes. « On s'appelle régulièrement pour avoir un regard extérieur sur nos projets, c'est important pour sortir la tête du guidon », se réjouit Audrey Belaud qui recommande EYE à tous ceux qui veulent se lancer à leur compte.

Après le développement web, elle ambitionne de laisser le cinéma pour se consacrer au théâtre. Elle se dit qu'à ce moment-là elle tentera d'inverser les rôles, en devenant « jeune entrepreneur » dans un autre pays chez un « expérimenté » du secteur. Un voyage qu'elle voit aujourd'hui comme un « joker » pour sa carrière de demain.

Marion Simon-Rainaud

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