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Pour ses 35 ans, Erasmus rêve de mobilité pour tous

Les personnes ayant le moins d’occasions de séjourner à l’étranger sont la priorité de l’agence française chargée du programme européen. Un budget important est alloué à leur inclusion.

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Publié le 20 janvier 2022 à 04h05, modifié le 01 mars 2022 à 13h01

Temps de Lecture 8 min.

Yasmine Djebbar, étudiante en CAP « service en restauration », a passé trois semaines à Londres. A Bordeaux, le 12 janvier 2022.

« Erasmus, c’est pour les universités ! » Voilà ce que pensait Yasmine Djebbar, 20 ans, avant qu’une professeure ne lui propose de partir trois semaines en stage à Londres, avec Erasmus+, pendant sa première année de CAP « service en restauration ». Une idée encore bien ancrée dans les esprits, puisque 52 % des Français pensent toujours que le programme européen de mobilité internationale s’adresse aux seuls étudiants.

C’est l’un des enseignements du sondage CSA publié à l’occasion des 35 ans d’Erasmus, le 20 janvier 2022. « Cette image, presque indélébile depuis un film célèbre [L’Auberge espagnole, 2002], ne va pas disparaître en un jour », soupire Sébastien Thierry, directeur adjoint de l’agence Erasmus+ France-Education Formation.

Le dispositif-phare de l’Union européenne (UE) a déjà affiché son ambition de « mobilité pour tous » en devenant Erasmus+ en janvier 2014. Depuis, il regroupe l’ensemble des échanges intracommunautaires en lien avec l’éducation, la formation, la jeunesse et le sport, de la maternelle à l’âge adulte. Sur le papier, tout est clair désormais. « L’inclusion et la diversité » figurent en tête des priorités affichées pour 2021-2027. Erasmus+ « vise à développer l’égalité des chances, l’inclusion et la diversité au bénéfice des personnes ayant moins d’opportunités en raison de leur âge, de leur milieu culturel, social et économique, de leur handicap, de leur origine ou encore de leur lieu de vie (zones enclavées) », précise même une circulaire publiée au Bulletin officiel de l’éducation nationale en avril 2021.

Laure Coudret-Laut, directrice de l’agence Erasmus+ France, donne le cap. « Les demandes de mobilité pour des participants ayant moins d’opportunités tournent aujourd’hui autour de 22 %. Il faut franchir la barre des 50 %. Ça ne va pas se construire en un jour. On a sept ans ! » L’agence prévoit de « mesurer les efforts pour intégrer cette priorité plus strictement que par le passé. Un établissement qui n’irait pas dans ce sens risque des sanctions », tranche-t-elle.

28 milliards d’euros de budget

Il faut dire que les stratégies d’inclusion pilotées par les agences seront regardées de près par les institutions européennes. En mars 2021, celles-ci ont alloué un budget global de 28 milliards d’euros à la programmation 2021-2027 d’Erasmus+, contre 14,7 milliards d’euros pour 2014-2020.

L’agence française a décidé d’accorder à chaque participant « ayant moins d’opportunités » un « soutien pour l’inclusion » de 100 euros, qui s’ajoute à sa contribution à l’organisation du projet, dans l’enseignement scolaire ou la formation professionnelle. Dans l’enseignement supérieur, 250 euros par mois complètent la bourse Erasmus+ de chaque bénéficiaire ainsi étiqueté. Et pour les personnes en situation de handicap, la prise en charge des frais réels est toujours prévue.

Tristan Mendes-Boussard, à Brest, le 14 janvier 2022. Après six mois d’études en Suède, il travaille actuellement chez Thales.

Sans cette dernière, Tristan Mendes-Boussard n’aurait pas pu partir étudier six mois à Uppsala, en Suède. « Un challenge » pour cet élève ingénieur en fauteuil électrique, accompagné jour et nuit par un auxiliaire de vie. Et pour sa mère. « On s’est mobilisés un an avant le départ pour trouver du personnel en Suède, le bon logement, chiffrer le surcoût et réunir les justificatifs nécessaires », résume-t-il. Enveloppe totale : 40 000 euros. Cela inclut le prix d’un logement adapté assez grand pour permettre à l’un des accompagnateurs recrutés de passer la nuit sous le même toit que le jeune homme. Mais aussi le surcoût représenté par la rémunération d’auxiliaires de vie « trois fois mieux payés en Suède qu’en France » – le conseil général prend à sa charge le coût correspondant au tarif national pendant la mobilité. Et le loyer du logement français de l’étudiant – « une perle rare » –, qu’il a ainsi pu retrouver à son retour. Tristan n’a pas choisi la Suède par hasard. « C’est un pays “vélo-friendly”. Et ce qui est adapté pour un vélo l’est aussi pour un fauteuil ! » A l’heure du bilan, il plaide pour qu’une « note d’accessibilité soit attribuée à chaque université d’accueil ».

Clément Calmès chez lui, au Mans, le 13 janvier 2022. Le jeune motion designer a effectué un stage chez un imprimeur d’objets en Lituanie.

Clément Calmès, lui, a choisi la Lituanie. Là-bas, son « petit chômage » est « un bon salaire ». A 22 ans, il touche environ 600 euros d’allocation d’aide au retour à l’emploi. « Après un BTS en design graphique et un bachelor en e-business et marketing en alternance, j’étais un peu perdu », résume le jeune homme « issu d’une famille modeste ». Une ex-collègue lui lance alors : « T’es jeune, pars à l’étranger ! »

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Ces mots résonnent en lui. Clément n’a jamais quitté ses parents, ses amis et la commune de 3 000 habitants où il a grandi, près de Poitiers. C’est décidé ! Il va « sortir de [sa] zone de confort ». Rendez-vous est pris avec un conseiller Pôle emploi. Présentation du programme Erasmus+, dossier, entretien de présélection. Tout va très vite. Un mois plus tard, en novembre 2021, il part. Logement et transport sont pris en charge.

Une ligne importante sur le CV

En stage chez un imprimeur d’objets pendant quatre mois, le jeune homme a la chance de croiser un tuteur qui lui apprend beaucoup plus que l’anglais, qu’il parle très bien. « J’y allais pour pratiquer cette langue au départ, mais j’ai surtout gagné en confiance en moi à un moment où je ne me sentais plus capable », confie Clément.

Depuis son retour, il a entamé une formation pour se spécialiser en motion design (animation graphique). Et changé. Installé au Mans, il assure être « plus ouvert à la nouveauté » et n’a « plus peur de rien ». Lors de sa recherche d’entreprise pour son alternance, Clément a aussi pu mesurer l’impact positif de la nouvelle ligne sur son CV : « Un stage à l’étranger, c’est spécial. Ça attire l’attention. »

Bakary Fofana le confirme. Consultant en recrutement, pour la maison Lenôtre notamment, il surligne la mention « Erasmus » sur les CV qu’il reçoit. « Les langues, c’est important. Mais il n’y a pas que ça ! Partir, ça veut dire aussi que tu as dépassé ta peur de sortir de ton quartier, de tes habitudes, pour aller vers l’inconnu », développe celui qui a grandi à Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise). Elevé par une mère seule et modeste, il se targue d’être « la preuve vivante qu’on peut dépasser les difficultés et décrocher un master ». « Aller ailleurs, c’est une difficulté pour les jeunes de banlieue », insiste-t-il.

L’enseignante Nathalie Pereira observe la même « peur du déplacement » chez les collégiens de zone rurale – « dans l’est du Loiret, en bout de ligne de RER » – avec lesquels elle est partie en mobilité aux Canaries (Espagne). « On a dû promettre à certains de leur tenir la main dans l’avion. La plupart n’étaient jamais sortis de France. La moitié ne sont jamais allés à Paris, situé à moins de 100 kilomètres », illustre-t-elle. Dans son établissement, mobilisé contre le décrochage scolaire, le programme européen est un levier de motivation. Pour cette porteuse de projet Erasmus+, « on observe un regain de confiance en l’école, qui leur a apporté quelque chose de très concret ».

« Passer l’info sur TikTok »

En banlieue parisienne, Bakary Fofana propose aux jeunes non pas de les emmener à l’étranger, mais de commencer par une virée en terre inconnue… à Paris. Une façon de leur mettre le pied à l’étrier. « Les jeunes sont hyper impressionnés par la façon dont les gens parlent, se tiennent et s’habillent dans la capitale. Je leur dis que s’ils peuvent aller là, ils peuvent aller ailleurs ! » Selon lui, c’est « l’info qui manque sur Erasmus. (…) Il faut montrer comment ça se vit, du CAP au master ». Il explique : « Nos parents sont à peine allés à l’école et rentrent tard du boulot. »

L’enfant de Garges suggère donc de « s’appuyer sur les jeunes de banlieue qui ont bénéficié de ce programme pour passer l’info sur les réseaux sociaux comme TikTok ». Une idée qui fait écho à une initiative de l’agence Erasmus+ France. Elle vient de lancer une campagne sur ce réseau, le plus populaire auprès des moins de 25 ans, avec des influenceurs. L’objectif ? « Battre en brèche les idées reçues propagées par les commentaires qu’on peut lire en ligne », commente Laure Coudret-Laut. En tête ? « Erasmus, c’est pas pour moi ! »

En dehors des réseaux sociaux, l’agence sait déjà où elle doit porter ses efforts. « Nous avons identifié les lieux, comme l’outre-mer, les zones rurales ou les quartiers prioritaires de la ville, dans lesquels les bénéficiaires étaient peu informés, et avons mené, il y a deux ans, un travail sur ces “zones blanches”, liste Laure Coudret-Laut. De même, un état des lieux des secteurs qui n’ont pas encore bénéficié d’Erasmus+ – la santé, par exemple – a été réalisé. Nous avons également des marges de progression chez les techniciens supérieurs et dans la formation professionnelle. »

Jumelages entre établissements

L’heure est à l’expérimentation, avant de pouvoir évaluer et affiner les différentes stratégies d’inclusion. Laure Coudret-Laut évoque l’ouverture de cinq bureaux territoriaux pour « travailler sur un petit territoire de façon approfondie ». Elle cite l’action menée par un chargé de mission de l’agence dans la région Centre-Val de Loire, particulièrement ciblée, où il s’agit d’« activer des acteurs qui ne se parlent pas forcément ». La directrice souligne également les efforts de la Maison de l’Europe du Mans, en lien avec les acteurs locaux. Pour sa part, le directeur adjoint de l’agence décrit des « rectorats déjà très mobilisés ». Ils le seront plus encore avec la montée en puissance des accréditations des établissements scolaires, qui doit faciliter les financements, et la systématisation des jumelages dans le primaire et le secondaire, sur le modèle des universités.

Sébastien Thierry se réjouit également de « l’inscription de la mobilité dans le parcours de formation des futurs professeurs en Inspé (Institut national supérieur du professorat et de l’éducation), qui vont pouvoir effectuer un stage d’immersion dans des écoles européennes ».

La présidence française du Conseil de l’UE tombe à pic pour offrir une caisse de résonance à la promotion du programme à l’égard des publics les plus éloignés des mobilités. Pour ses 35 ans, Erasmus peut rêver d’une quarantaine inclusive.

Cet article du « Monde Campus » est réalisé dans le cadre des 35 ans d’Erasmus+ en partenariat avec l’agence Erasmus+ France-Education Formation.

Un anniversaire en grande pompe

Pour célébrer les 35 ans du programme Erasmus+, l’agence Erasmus+ France organise, en partenariat avec « Le Monde Campus », un événement en direct du Studio 104 de la Maison de la radio et de la musique de Paris, le 20 janvier de 14 heures à 17 heures. Sous le haut patronage du président de la République, cet événement interministériel donnera la parole à ceux qui font Erasmus+. A cette occasion seront publiées trente-cinq propositions issues d’une concertation citoyenne sur le développement de la mobilité apprenante en Europe.

L’événement est diffusé sur https://lemde.fr/erasmus-live

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