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Moi JEune: «Je passe ma vie sur les routes»

Moi, Jeune...dossier
Difficultés à trouver un travail, à rejoindre son lycée ou ses amis… En milieu rural, les jeunes subissent fortement le manque d’offre de transports en commun et dépendent de leur permis pour mener leur vie.
par ZEP Zone d'expression prioritaire
publié le 16 février 2022 à 20h29

En publiant ces témoignages, Libération poursuit son aventure éditoriale avec la Zone d’expression prioritaire, média participatif qui donne à entendre la parole des jeunes dans toute leur diversité et sur tous les sujets qui les concernent. Ces récits, à découvrir aussi sur Zep.media, dressent un panorama inédit et bien vivant des jeunesses de France. Retrouvez les précédentes publications.

«Ces temps de transports ont un impact sur moi»

Jérémy, 17 ans, lycéen, Ille-et-Vilaine

«Je passe près de vingt heures dans les transports en commun par semaine, en bus, en car scolaire, en métro ou en voiture. Du lundi au vendredi, je me lève à 6 heures pour prendre le car scolaire à 6 h 40. J’ai un peu plus d’une heure de route pour aller de mon village rural d’un peu plus de 1 000 habitants, Saint-Onen, à Rennes, à une trentaine de kilomètres. Puis, à Rennes, je prends le bus de ville ou le métro pour aller au lycée qui n’est pas en centre-ville. J’en ai pour trente minutes environ.

«La journée se passe, entre six et huit heures de cours selon les jours. Le soir, je reprends métro, bus, et car scolaire pour retourner chez moi. Quand je finis à 18 heures, j’arrive dans mon village vers 19 h 30. Le mercredi, j’ai la chance de ne pas avoir cours de la journée, mais le soir j’ai entraînement de football à Dinan, à une heure aller-retour en voiture. Je rentre vers 21 heures après l’entraînement. Le week-end, j’ai au moins un match le samedi, à minimum trente minutes en voiture de chez moi. Mais il m’arrive d’aller aussi jouer très loin comme à Brest, à des centaines de kilomètres, ou à Vitré, de l’autre côté de Rennes direction ­Paris. Le dimanche, je vais parfois assister à des matchs au Stade rennais ou rendre visite à ma famille, là encore forcément en transports.

«Oui, je passe ma vie sur les routes. J’ai voulu faire du sport et cela nécessite des déplacements. Et j’étudie à Rennes car les options que j’ai choisies n’étaient pas dans mon lycée de secteur. Il n’y a pas beaucoup de lycées autour de mon village, et ceux qui existent ne proposent pas forcément toutes les options. Le lycée le plus proche était à Montfort, à trente minutes de ma maison familiale. Pour intégrer ce lycée public, je n’étais pas prioritaire, j’ai été mis sur liste d’attente, et finalement j’ai dû aller à Rennes. Tous ces temps de transports ont un impact sur moi, je le sais : la fatigue d’abord, que ce soit physique ou mentale. Physiquement, je me dépense beaucoup et je ne pense pas avoir assez de temps de sommeil. Mentalement, car je ne suis jamais posé chez moi. Et, quand je rentre, je dois faire mes devoirs, manger, etc. Pendant les vacances, je n’ai pas non plus le temps de me poser ; je suis employé dans une entreprise au moins une semaine sur deux, où je ne peux que me rendre en voiture. Je ne choisis pas de passer autant de temps sur la route mais lorsque l’on habite dans un milieu rural, on n’a pas forcément le choix.»

«Ma mère est mon chauffeur favori»

Lucie, 15 ans, lycéenne, Puy-de-Dôme

«Elle s’appelle Lili, elle a une quarantaine d’années, elle est prof mais, pour moi, elle est chauffeur à plein temps… et c’est ma mère adorée. Pas facile d’habiter à la campagne, d’avoir trois ados et d’être la seule à la maison à avoir le permis. Chaque semaine, elle se lance un défi… Ou plutôt, c’est nous, ses trois enfants, qui lui en lançons un. Réussira-t-elle à faire plus de 150 kilomètres cette semaine encore ? Les allers-retours Billom-Vertaizon, ça, elle gère. Entre la benjamine qu’il faut aller chercher deux fois par semaine, la cadette qui finit parfois les cours à 18 h 30 et l’aîné qui prend des cours particuliers près du collège, elle connaît par cœur ce trajet. Elle pourrait presque le faire les yeux fermés (#ToujoursPlus).

«Et nous, on monte, on descend, on remonte et on redescend sans arrêt. Le compteur tourne et tourne encore. En une semaine, elle fait presque 68 kilomètres rien que pour le collège. Et tout ça sans compter les conseils d’administration, les changements d’emploi du temps, les grèves… Bref, Billom, c’est la destination phare de mon chauffeur favori. Bien sûr, s’il n’y avait que ça, ce job serait bien trop facile.

«Il ne faut surtout pas oublier nos «activités extrascolaires» (#EnferDesParents). Elles prennent tellement de place que, parfois, ma mère est obligée de corriger ses copies dans la voiture en nous attendant. Cette voiture se transforme alors en minibureau très fonctionnel. Il y a une petite lumière qui s’éteint au bout de seulement cinq minutes – ma mère s’éclaire alors à la lumière de son téléphone –, un siège passager en mode débarras, un empilement de feuilles et de classeurs, et enfin le volant qui sert à se caler pour écrire quand elle a mal au dos. Et nous, quand on arrive, on rentre dans cette voiture et on détruit toute cette organisation minutieuse.

«Mais là, je m’égare. Revenons aux activités. D’après « mon chauffeur », c’est l’ennemi numéro 1 du temps libre des parents. Elle pense qu’on en fait trop ! Nous, on n’est pas d’accord, on fait juste du basket, de la danse, du piano… En une semaine, elle fait plus de 82 kilomètres pour nous conduire. Les allers-retours s’enchaînent et les pleins aussi. Et le compteur continue de tourner, il ne s’arrête jamais, pas même les mercredis après-midi quand il n’y a pas d’activités. Ses enfants adorés (#Nous) lui trouvent toujours quelque chose à faire.»

«Sans permis, c’est impossible de trouver un emploi»

Loreen, 20 ans, en recherche d’emploi, Finistère

«J’ai découvert la pâtisserie pendant mon stage dans un restaurant ouvrier. Fraisier, framboisier, poirier, écriture au cornet, décor en pâte d’amande… La patronne me mettait souvent à la préparation des desserts. J’aime préparer et monter les entremets, c’est créatif ! Je me suis donc orientée vers un CAP pâtisserie. J’ai trouvé le métier qui me passionne. Quand on rentre dans un labo de pâtisserie, on peut sentir les biscuits qui sont en train de cuire, la bonne odeur des fruits de saison… Il faut être très minutieux, concentré. Le pâtissier que j’admire beaucoup, c’est Cyril Lignac. J’adore la finition de ses préparations.

«Mon problème, c’est que j’habite à la campagne, dans le Finistère, en Bretagne. Sans permis, c’est impossible de trouver un emploi. La ville la plus proche, c’est Brest, mais c’est à 30 kilomètres. Ça va faire un an et demi que je cherche… Quand j’appelle ou que je me déplace chez les employeurs, un des premiers trucs qu’on me demande, c’est si j’ai le permis. Et quand je dis non, on me dit que ça va être compliqué… En un an et demi, j’ai juste travaillé quatre jours au festival des Vieilles Charrues, en restauration rapide, et à la ramasse de fraises. Pas les jobs de mes rêves et c’est mon père qui m’amenait en voiture… Pendant mon CAP, j’étais à l’internat donc je n’avais pas le temps de me lancer dans le permis, et puis pas le budget pour payer toutes les séances de code…

«Tous les jours, je regarde les annonces sur Pôle Emploi ou sur Indeed. En pâtisserie, il y a tout le temps de nouvelles annonces, mais c’est trop loin de chez moi… Parfois, je n’ai même pas de réponse. Je me suis aussi inscrite dans des boîtes d’intérim. Je réfléchis à habiter sur Brest car il y a beaucoup plus de moyens de transport. Mais vu que je ne travaille pas, ça va être compliqué de trouver un logement… J’ai eu cinq entretiens d’embauche qui se sont bien passés mais, au final, je n’ai pas été prise. Avec tous ces refus, j’ai perdu espoir de trouver un emploi… J’avais même plus envie de chercher.

«Heureusement, mes parents m’ont remotivée. Et ma dernière formatrice de stage m’a appris à ne pas baisser les bras quand je n’arrivais pas à quelque chose. Si je trouve un emploi, j’aimerais ensuite faire une mention complémentaire en pâtisserie chez les Compagnons du devoir. Si je l’obtiens, je pars six ans en tour de France et, si tout se passe bien, je peux faire mes trois ­dernières années à l’étranger. J’aurais pu rentrer en septembre, j’étais prise, mais j’ai demandé à décaler. Parce qu’avant il faut que je trouve un travail pour gagner de l’argent et payer la formation. Assurance, caisse à outils, garantie, tenues… ça fait à peu près 1 000 euros. Pour l’instant, vu que je ne travaille pas, je fais des pâtisseries chez moi pour mes parents, mes frères et ma sœur. J’invente des choses. J’ai fait un gâteau au yaourt avec une crème pâtissière chocolat et caramel. C’était trop bon. Si je ne cuisine pas, ça me manque !»

«Ma moto m’a changé la vie»

Eliot, 17 ans, lycéen, Loire

«2 000 euros par frère avec l’héritage d’un grand-oncle de mon père. Antoine, le plus grand, l’a utilisé pour investir dans une voiture. Pierre, le deuxième, a utilisé les trois quarts dans un ordinateur et le reste pour payer son loyer. Colin, le troisième, pour s’acheter lui aussi un ordinateur plus puissant. Et moi, je m’en suis servi pour m’acheter ma moto. J’ai toujours voulu avoir une moto pour rouler seul et avoir une pleine liberté de mouvement. Dans mon village, les transports en commun, c’est limite le néant. Alors, à partir du moment où j’ai eu ma moto et mon brevet de sécurité routière, ce fut le début de mon autonomie. J’ai eu mon BSR pile le jour de mes 14 ans et ma moto deux semaines après, même si j’ai commencé à en chercher une deux mois auparavant.

«J’ai mis du temps à la trouver. J’ai d’abord cherché d’occasion, sans réussite. Toutes celles dans mon budget étaient soit trop vieilles et trop abîmées soit modifiées et donc pas fiables. Puis, je suis tombé sur LA moto dans un magasin qui ne vend que des motos neuves. Elle était aussi chère que celles d’occasion à peu près potables : 2 000 euros, pile mon budget. Elle a un style original pour une 50 cm³ [les premières motos autorisées à partir de 14 ans, ndlr] : c’est une Scrambler, une moto neuve mais avec un style vintage créé après la Seconde Guerre mondiale (quand les particuliers retapaient des motos avec des pièces détachées). Elle consomme très peu d’essence, donc c’est moins cher pour me déplacer. Après trois ans, elle est toujours en super état, sans jamais avoir eu besoin de réparation.

«Je vis à la campagne dans un petit village de 800 habitants, loin de tout. Pour aller prendre le bus et rejoindre la ville la plus proche, c’est une heure à pied. En plus, je suis à vingt minutes de marche du village, et mon pote le plus proche est à plus de trente minutes. Depuis que j’ai ma moto, j’y suis en cinq minutes. Avec ma moto, c’était donc le début d’une nouvelle vie sociale avec tous mes potes qui habitent dans d’autres villages. C’était impensable d’y aller à pied pour une après-midi. J’aurais pu demander à mes parents, mais mon père travaille beaucoup et n’est pas chez moi trois jours par semaine. Et ma mère est infirmière, elle est souvent fatiguée après le travail. Je sais qu’en cas de besoin, ils seront toujours là pour m’emmener mais pouvoir me débrouiller, c’est pour moi comme une reconnaissance de tout ce que mes parents font pour moi.

«Aujourd’hui, je peux aller voir mes potes quand je veux et plus juste à travers un écran. Je les vois minimum une fois dans la semaine en dehors des cours, sans compter les soirées. S’il y en a une qui est organisée au dernier moment, je suis sûr de pouvoir y aller si j’en ai envie. Un jour, je suis parti en soirée un vendredi soir et j’ai pu aller le lendemain au cinéma à plus de 50 kilomètres sans hésiter. Aujourd’hui, je me rends compte à quel point ma moto m’a changé la vie. Je remercie mes parents de me soutenir et de me faire confiance pour veiller à rester en sécurité sur la route. Au début, j’ai aidé à nettoyer la maison et à faire plus de jardin que d’habitude, et en échange ils me payaient l’essence. Mais au fil du temps, ils me l’ont payé sans contrepartie. Je leur rends en me débrouillant seul au maximum pour le reste. Parfois, je me sers de la moto pour aller en cours si je ­commence plus tard ou finis plus tôt. Ça me permet de toujours être libre sans ­jamais être bloqué sans moyen de transport.»

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