Fin janvier, elle enchaînait trois programmes en trois jours à La Folle Journée de Nantes. La semaine suivante, elle enregistrait un monument du piano : les trois dernières sonates de Beethoven. Le 27 février, le Théâtre des Champs-Elysées l’accueillera pour un récital consacré aux ultimes sonates de Beethoven et de Schubert. D’autres plaideraient la surcharge de travail. La discrète et infatigable Anne Queffélec, 74 ans, figure majeure du piano français, parle de son « métier », du chemin qu’elle a suivi, de son amour des notes. Et des mots.
Je ne serais pas arrivée là si…
Si mes parents ne m’avaient pas transmis des valeurs et une éducation auxquelles j’adhère encore aujourd’hui. Je connais peu de gens qui n’ont pas de regrets par rapport à ce qu’ils ont reçu dans leur prime jeunesse. Moi aucun.
Nous vivions pourtant dans une sorte de grotte préhistorique car mon père [l’écrivain Henri Queffélec, 1910-1992] se méfiait terriblement du modernisme et du matérialisme. Pas de Frigidaire, pas de radio, pas d’électrophone, jusqu’à ce que j’insiste, beaucoup plus tard. Pas de télé, il n’y en a jamais eu. Et pas de voiture. Les livres et le piano. Les valeurs de l’esprit étaient premières. S’y ajoutait la nature, avec chaque année, parfois plusieurs fois par an, les vacances dans la famille, en Bretagne, les paysages rudes, les marées, les bains dans l’océan, qu’il pleuve ou qu’il vente. Plus le temps passe, et plus je vois comment tout cela m’a inspiré et a construit mon imaginaire.
Est-ce cela qui a fait de vous une musicienne ?
Je ne fais pas de différence entre la musicienne et le reste de ma personne. La musique se nourrit de tout ce que l’on vit, et elle nous construit en même temps. Mais si vous cherchez quelque chose de très concret, je ne serais pas arrivée là si, quand j’avais 8 ans, ma mère n’avait pas pris une décision essentielle.
A l’époque, rien n’était prévu pour conjuguer les études et la musique. Et comme il était considéré qu’il fallait se décider très tôt, on entrait au conservatoire, on suivait des cours par correspondance, et on arrêtait avant le bac… Ma professeure de piano estimait au contraire qu’il était essentiel d’aller jusqu’au bac. J’ai commencé avec elle à 5 ans, elle a dû dire à ma mère que j’étais douée, qu’il faudrait trouver une solution. J’ai souvent pensé aux affres dans lesquelles j’ai dû la plonger : dois-je chambouler la vie de cette petite fille, la retirer de l’école communale où elle est heureuse, la priver de contacts avec des enfants de son âge ?
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