"Je veux devenir ingénieur" : à Marseille, une prépa amène les bacs pro vers le supérieur

Publicité

"Je veux devenir ingénieur" : à Marseille, une prépa amène les bacs pro vers le supérieur

Par
Marc Rosmini, professeur de philosophie en CPES au lycée Antonin Artaud de Marseille et ses élèves
Marc Rosmini, professeur de philosophie en CPES au lycée Antonin Artaud de Marseille et ses élèves
© Radio France - Radio France

Les classes préparatoires à l’enseignement supérieur (CPES) offrent à des bacheliers motivés une remise à niveau avant de poursuivre leurs études. Celle du lycée Antonin Artaud, dans le 13e arrondissement de Marseille, a la particularité d'être réservée aux titulaires d'un bac professionnel.

UNE SEMAINE DANS LEURS VIES 

Je vous emmène en cours de philo avec Marc Rosmini, professeur investi depuis douze ans dans cette classe prépa particulière, et des élèves et anciens élèves de la CPES du lycée Antonin Artaud, à Marseille.

Publicité
Marc Rosmini, professeur de philosophie en CPES au lycée Antonin Artaud de Marseille
Marc Rosmini, professeur de philosophie en CPES au lycée Antonin Artaud de Marseille
© Radio France - Radio France

Episode 1 : "On a vraiment les étudiants qui ont eu le mérite de s’accrocher"

Cet après-midi de janvier, ils ne sont que neuf dans la classe de CPES. Prévue pour une vingtaine d’élèves, elle a connu cette année un nombre inhabituel de défections depuis la rentrée. Un effet de la crise sanitaire ? C’est possible admet Marc Rosmini, le professeur de philo : "On a eu beaucoup de décrochages précoces. Dès octobre-novembre, on a vraiment senti que les élèves qui avaient fait leur Première-Terminale les deux années de Covid avaient tout simplement perdu l'habitude de travailler"

Or le programme de cette classe préparatoire aux études supérieures scientifiques est exigeant, avec 40 heures de cours, dont dix heures de maths, et du travail à la maison. Pour ces élèves venus de bacs Pro, "la marche en général est très haute" souligne Marc Rosmini, devant son petit effectif :  "Là, on a vraiment les survivants, les étudiants qui ont eu le mérite de s’accrocher et qui bénéficient de conditions très particulières, un suivi presque individualisé".

Mohamed a 18 ans et un Bac "systèmes numériques et informatiques". En Terminale, son prof de maths l’a convaincu de tenter la CPES, pour ensuite intégrer une classe préparatoire, et si possible une école d’ingénieur. Lui qui au collège n’était "pas trop intéressé par les études", a peu à peu décidé d’étudier "pour aller plus loin dans la vie". C’est le dénominateur commun de ces élèves, qui viennent souvent de l’extérieur de Marseille : des garçons (pas une fille dans cette classe scientifique) qui ont fini par obtenir de très bonnes notes à la fin du lycée professionnel, et qui sont très motivés pour poursuivre leurs études.

A Marseille, une prépa pour ramener les bac pro vers le supérieur, ep. 1

3 min

Episode 2 : "On est tous studieux car on veut tous réussir"

Quand je demande à Killian de raconter son parcours scolaire, il remonte à son année de Troisième, ratée, "il faut dire qu'en 3e je ne m'intéressais pas trop à mon avenir". Si ses notes ont dégringolé à la fin du collège, c’est aussi à cause de ses problèmes de concentration et de ses troubles "dys" (dysléxie, dysorthographie), pour lesquels il devait suivre un traitement.

Par défaut, Killian poursuit vers un lycée professionnel, où ses profs, "tous géniaux" dit-il, lui redonnent le goût d’étudier. Puis, il choisit la CPES et compte bien prendre sa revanche sur ses études : 

Je veux vraiment devenir ingénieur […], je veux avoir un bon milieu social, pas comme mes parents.

Killian et ses camarades rêvent de devenir ingénieurs, mais ils ont aussi besoin d’une remise à niveau dans les matières littéraires. En CPES, ils découvrent la philosophie, avec grand intérêt me semble-t-il : les doigts se lèvent, pas de bavardage ni de regard dans le vague. "On est tous très studieux car on veut tous réussir, confirme Killian, même moi j'ai été choqué quand je suis arrivé ici, dans mon lycée Pro, c'était pas du tout comme ça !".

Le climat de travail tient aussi à l’effectif réduit de la classe : "On fait beaucoup plus participer les élèves, les profs sont plus attentifs, ça change vraiment ! "

A Marseille, une prépa pour ramener les bac pro vers le supérieur, ep. 2

4 min

Episode 3 : "J’ai pris conscience que des portes s’ouvraient pour moi"

Dans cet épisode j’ai interrogé Guillaume, un ancien élève de la classe préparatoire aux études supérieures. A 20 ans, il poursuit cette année son parcours dans une classe préparatoire aux grandes écoles. 

Lui aussi, au collège, "préférait jouer jeux vidéo et sortir" plutôt que de travailler. Au lycée professionnel, lors de ces stages, il comprend pourtant que "le manuel ne lui plait pas trop". Une enseignante l’aiguille vers la CPES du lycée Artaud, il le vit comme une deuxième chance : "J'ai pris conscience que des portes s'ouvraient pour moi".

Aujourd’hui, Guillaume rêve d’intégrer "une école prestigieuse, comme Centrale". "Je n’ose pas dire Polytechnique" ajoute-t-il. Et pourtant, le cas s’est produit il y a 18 mois : un ancien élève de la CPES de Marseille a réussi le concours: "c’était le deuxième dans l’histoire de Polytechnique à être issu d’un bac professionnel", complète l’enseignant Marc Rosmini.

Depuis douze ans, quasiment tous ses élèves de la CPES poursuivent leurs études. Une minorité accèdent aux classes préparatoires aux grandes écoles d’ingénieurs, d’autres se dirigent vers des BTS. Avec aussi des parcours prestigieux, même si Marc Rosmini ne veut pas se focaliser sur ceux-là : "Polytechnique il y a deux ans, on ne s'y attendait pas trop. On avait déjà un élève qui avait intégré Centrale, des beaux parcours, mais on ne travaille pas pour l'exception : _notre but c'est de faire réussir tous les élèves__"._

Pour Marc Rosmini, alors que les élèves de la CPES et des bacs pro en général sont souvent issus de milieux modestes, cette classe unique en France doit aussi permettre de "réfléchir à l'aspect sélectif et normatif de notre système scolaire". Avec ce premier constat assez simple : avec un peu de moyens, et un plus petit nombre d’élèves, on obtient vite des résultats.

A Marseille, une prépa pour ramener les bac pro vers le supérieur ep.3

4 min

Episode 4 : "Mon but, c’est de faire de vous des intellos"

Dans le cours de philo, les élèves planchent sur le sujet du jour, la vérité, en s’appuyant sur le film Douze hommes en colère. Chacun apporte son analyse, et régulièrement Marc Rosmini fait écrire et surligner des "règles de méthode"

"L’idée c’est effectivement d'abord d’apprendre à travailler", explique l'enseignant, d’autant qu’en lycée professionnel, les enseignements sont davantage pratiques que théoriques et que les élèves n’ont pas pris l‘habitude de travailler à la maison.  Et pour cela, pas de programme imposé en CPES, ce qui ajoute à l’attrait de cette classe particulière pour le prof, qui aime "inventer un parcours" et "s’adapter aux demandes des élèves".

Marc Rosmini les entraîne au théâtre, au musée ou au cinéma. "Certains viennent de milieux éloignés de la culture scolaire, je leur dis, mon but c'est de faire de vous des intellos ! Cela a les faire rire, ça leur fait peut-être un peu peur, et puis ils y prennent gout évidemment."  Un bonheur de prof, même s’il tient dans ce qu’il qualifie de "petite niche expérimentale".

A Marseille, une prépa pour ramener les bac pro vers le supérieur ep.4

4 min

pixel