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L’enquête

Ecole de commerce : la classe prépa est-elle encore utile ?

ENQUÊTE // La classe prépa filière économique ne fait plus recette : chute de 9,6 % des effectifs en première année. Pour autant, ce désamour condamne-t-il cette voie d'excellence ? Pas si sûr. Il n'a jamais été aussi facile d'intégrer les dix meilleures écoles de commerce via la classe prépa.

La baisse des effectifs de classe prépa est continue depuis six ans.
La baisse des effectifs de classe prépa est continue depuis six ans. (iStock)

Par Florent Vairet

Publié le 11 févr. 2022 à 12:06Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:19

« La situation est alarmante » pour les étudiants fondateurs du site spécialisé Mister Prépa, fervents défenseurs du modèle. Même constat du côté du directeur de l'EM Strasbourg qui craint même pour « la survie des classes préparatoires et du modèle des écoles de commerce basé sur un lien fort avec ces dernières ».

Il y a péril en la demeure. Il faut dire que la classe prépa s'est fait torpiller ces dernières années en raison d'une multiplication des voies parallèles. Première attaque : les écoles de commerce ont fait feu de tout bois de ce nouveau diplôme au nom venu d'outre-Atlantique : le bachelor. En 2020, 19.200 étudiants étaient inscrits dans ces formations Bac+3 (uniquement ceux reconnus par l'Etat), soit une hausse de 42 % par rapport à 2018. Sur cinq ans, c'est un quasi-doublement des effectifs ! L'attribution en 2020 du grade de licence à certains bachelors (16 d'entre eux) a démultiplié son pouvoir de séduction auprès des lycéens.

Bachelor, grandes écoles post-bac et admissions parallèles

Bien sûr, celles et ceux qui ont choisi cette formation ne seraient pas tous allés en classe prépa. Les cibles sont différentes, « mais il y a pu avoir une légère cannibalisation », reconnaît toutefois Christophe Germain, vice-président de la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (CDEFM). D'autant que certaines écoles offrent la possibilité à leurs meilleurs étudiants de bachelor de rejoindre le parcours grande école en master. De quoi décourager un peu plus de passer par la case « prépa ».

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Mais les bachelors sont loin d'être les seuls à avoir mis du plomb dans l'aile de la prépa. Les admissions parallèles, sur dossier, ne l'ont pas épargnée. Des étudiants dotés d'une licence 2, 3 ou d'un master 1 peuvent rejoindre le parcours grande école des plus prestigieux établissements français, sans jamais avoir connu une colle ou un concours blanc, si familiers aux étudiants de prépa.

Autre élément de poids : l'émergence de très bonnes écoles post-bac délivrant un diplôme bac+5, à l'instar de l'Ieseg. Le master en management de l'école lilloise a décroché la 8e place du classement 2021 des meilleurs masters français (la 34e place au niveau international) réalisé par le Financial Times . Elle dame ainsi le pion à des écoles post-prépa parmi les plus honorables, comme Grenoble Ecole de management (GEM) ou Audencia.

L'international aussi fait du mal à la classe prépa, constate Jean-François Fiorina, directeur des programmes de GEM. « Certains se disent que la prépa, c'est bien, mais partir en Angleterre ou à Lisbonne dans une business school d'aussi bonne qualité que GEM peut valoir le coup », plaisante-t-il.

Un décrochage des prépas dans les promotions

Selon les chiffres calculés communiqués par l'EM Strasbourg, entre 2010 et 2020, les effectifs de l'ensemble des écoles de commerce de la Conférence des grandes écoles (CGE) ont augmenté de 81 %. Sur la même période, les effectifs des classes préparatoires au sein de ces établissements n'ont crû que de 6 %. L'arithmétique est sans appel : la proportion des étudiants issus de classes préparatoires parmi les diplômés est de plus en plus faible.

Dans le même temps, toutes les écoles martèlent haut et fort que la place de la classe prépa reste primordiale. Objectif pour elles : conserver le prestige accolé au recrutement en classe prépa. Mais les chiffres sont coriaces. En enlevant les étudiants étrangers et les bachelors, la proportion d'anciens prépas oscille entre pas beaucoup et 70 % des promotions de diplômés. L'EM Normandie diplôme moins de 20 % d'étudiants passés par la prépa, Kedge environ 40 %, quand GEM est autour de 58 % et l'Essec de 70 %. Mieux l'école est classée, plus haut est le curseur.

Pour celles qui n'arrivaient plus à se nourrir du vivier de prépa, bachelor et concours passerelle sont venus donner une bouffée d'oxygène dans les comptes des écoles. « Car il ne faut pas être naïf, il y a une course à la taille entre les écoles de commerce. En cause : elles se sont de plus en plus engagées dans la recherche, ce qui représente un coût croissant ! » tient à souligner Herbert Castéran, directeur général de l'EM Strasbourg. Pour accroître leur revenu, les écoles de commerce n'ont eu donc d'autre choix que de trouver de nouveaux candidats.

Vers la fermeture de classes prépa ?

Sans surprise, ces stratégies de contournement ont fini par décourager certains lycéens de s'engager sur la voie, certes enrichissante mais laborieuse, de la classe prépa. Entre 2016 et 2020, les effectifs de la filière économique, celle qui mène aux écoles de commerce, ont fondu de 4,5 %.

Et la dynamique s'accélère. D'après les chiffres publiés par le ministère de l'Enseignement supérieur, la rentrée 2021 marque une chute annuelle historique de 9,6 % d'étudiants inscrits en première année. Certaines classes prépa souffrent plus que d'autres. Celles de Camille Vernet à Valence ou Dumont d'Urville à Toulon seraient menacées de fermeture pour la rentrée prochaine.

Toutefois, cette baisse spectaculaire est à relativiser, prévient Alain Joyeux, président de l'Association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales (Aphec). Cette rentrée correspondait à l'entrée en vigueur d'une double réforme. La première est celle du bac qui a vu les mathématiques devenir une option . « Or, elles sont vivement recommandées pour intégrer une classe prépa éco », souligne-t-il.

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La seconde est la fusion des classes prépa économique et commerciale option scientifique (ECS) avec celle option économique (ECE), en une seule filière générale (ECG). « En pleine pandémie, les salons et journées portes ouvertes dédiés à la prépa ont été annulés et beaucoup de jeunes nous ont dit ne pas comprendre le nouveau fonctionnement de l'ECG », explique Alain Joyeux.

Il n'a jamais été aussi facile d'intégrer les dix meilleures écoles via la prépa

Les effectifs pourraient-ils se redresser dans les prochaines années ? C'est possible. Jean-Michel Blanquer s'est exprimé, début février, en faveur d'un retour des mathématiques dans le tronc commun du baccalauréat, ce qui pourrait remettre dans la course une partie des lycéens.

Au-delà de cet ajustement, quid de l'avenir de la prépa ? Le modèle est à la croisée des chemins et les fondamentaux vacillent. Même les plus brillants lycéens semblent s'en détourner. « Le temps où les excellents élèves allaient systématiquement en prépa est révolu », constate d'année en année Alain Joyeux.

Pour autant, ce constat pourrait ne pas signer la mort de la prépa. Bien au contraire. Et pour cause : « Il n'a jamais été aussi facile d'intégrer les dix meilleures écoles via la prépa », insiste Dorian Zerroudi, cofondateur de Mister Prépa.

Pour comprendre, petit retour à l'arithmétique. Nous l'avons vu, les effectifs de la filière éco sont à la baisse. Dans le même temps, les meilleures écoles conservent leur nombre de places au concours, voire les augmentent. +20 places à l'Essec et à l'ESCP en quatre ans, +60 à l'ESCP, GEM ou Audencia sur la même période. Quand d'autres, moins bien classées réduisent la voilure.

« Résultat : l'ensemble des écoles du top 10 représentent 70 % des places mises en jeu au concours prépa », précise Dorian Zerroudi. Et Alain Joyeux de l'Aphec d'ajouter : « Un élève moyen qui va en prépa est certain d'intégrer une grande école, alors que ce n'est pas forcément le cas en faisant le pari d'une voie parallèle. »

Certains augmentent leurs places quand d'autres ne remplissent plus

Un choix pour la classe prépa qui pourrait redevenir de plus en plus judicieux étant donné que les meilleures écoles se ferment peu à peu aux admissions parallèles, en tout cas en début de cursus. C'était déjà le cas pour HEC, l'Essec ou l'ESCP, ça l'est également depuis quelques années pour l'emlyon, l'Edhec (depuis 2019) ou Audencia, préférant sacraliser (un peu) le recrutement en classe prépa, avant de s'ouvrir aux profils universitaires plus tard en master 1.

Si cette intégration, oserions-nous dire, facilitée dans les écoles du haut du classement est une bonne nouvelle pour les étudiants, elle l'est moins pour les écoles les moins bien classées. Le vivier d'étudiants de prépa étant en décroissance, il est aspiré par les meilleures écoles. Les autres doivent peu à peu réduire la voilure au risque de ne pas remplir les promotions. Lors de la session 2021, plusieurs écoles dont Toulouse Business School, ISC Paris ou Inseec ont intégré moins d'étudiants que prévus dans les objectifs.

Kedge a par exemple fait le choix de réduire de 15 % ses places « prépa ». « Maintenir des chiffres élevés nous exposait à un risque de dégradation de la qualité de nos recrutements », explique Caroline Cabiro, responsable de l'expérience étudiante.

La prépa oui, mais pour quelles écoles ?

Va-t-on vers un modèle où la prépa deviendrait la voie royale uniquement pour les meilleures écoles ? Alors, faire le choix de ce cursus ultra-exigeant a-t-il encore un sens si c'est pour intégrer des écoles aux prestiges moindres, largement accessibles par des voies alternatives ?

Car pour les étudiants, le risque est connu : ressentir de la frustration chez ceux issus de classe prépa qui se retrouvent aux côtés d'étudiants universitaires, assurément tout aussi brillants, mais ayant fait l'économie d'un parcours difficile. « Il est vrai que certains se disent que ça ne vaut pas la peine de rejoindre une école de la deuxième partie de tableau où la majorité des élèves ne provient pas de classe prépa, constate Herbert Castéran de l'EM Strasbourg. Mais cette vision est un peu court termiste », ajoute-t-il, estimant qu'au-delà des quelques écoles très prestigieuses, toutes donnent accès aux mêmes types de carrière, aux mêmes salaires.

Pour Romain Vismara, président du Bureau national des étudiants en école de management, l'important est que chaque lycéen trouve la voie la plus adaptée pour intégrer une grande école. Celui ou celle pressé d'effectuer des stages ou de partir à l'international pourra se tourner vers le bachelor ou les voies parallèles, alors que la prépa permettra à celles et ceux qui en font le choix d'acquérir un esprit de synthèse, une solide culture générale, une résistance au stress ainsi qu'une aisance à l'oral et une méthodologie efficace. « C'est une fois en école qu'on se rend compte de toutes ces capacités qu'on a développées en prépa », témoigne Romain Vismara.

Prépa versus système LMD

Un enthousiasme partagé par les ex-prépas. Selon l'étude de l'Edhec Newgen Talent Centre parue en novembre dernier, 81 % des élèves referaient le choix de la classe prépa, 92 % louent la stimulation intellectuelle et 85 % l'envie de se dépasser suscitée par la formation. « Les meilleurs ambassadeurs sont ceux qui y sont passés, abonde Alain Joyeux. A nous donc de mieux communiquer, en amont, sur les avantages de cette formation. »

Il reconnaît qu'à l'heure actuelle, les écoles ont plus tendance à faire de la publicité pour les cursus à intégrer tout de suite, et non dans deux ans. Il faut réussir à rendre la prépa « sexy » avance Dorian Zerroudi. « C'est aux écoles de montrer la valeur ajoutée de ce cursus et de souligner que certaines entreprises comme les banques d'affaires ou les cabinets de conseil en stratégie favorisent fortement les candidats issus de prépa », ajoute-t-il.

En attendant, l'Aphec travaille de concert avec les écoles pour mettre en place un référentiel de compétences spécifiquement acquises dans le cursus prépa-grande école. « Objectif : marquer notre identité », conclut Alain Joyeux. Mais un problème reste intrinsèque à la prépa, admet-il. Elle ne correspond pas bien au système LMD, (licence en trois ans, master en deux). « Des responsables américains nous disent ne pas comprendre qu'on peut décrocher un master sans avoir de licence… » La prépa devra-t-elle un jour s'y conformer ? La poutre n'a pas fini de travailler.

Florent Vairet

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