Le patron d'Amazon France, Romain Voog, a prévenu vendredi que les dispositions encadrant les conditions de la vente à distance des livres, dite loi anti-Amazon, aura un "impact sur le lecteur" qui devra payer plus cher ses livres.

En France, ce métier a émergé voilà une vingtaine d'années. Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, le "scouting" est pratiqué de longue date.

afp.com/Loic Venance

Toujours prêts, ces scouts-là sont d'un genre un peu particulier : il s'agit d'intermédiaires, des femmes, pour la plupart, rémunérés par des éditeurs pour repérer dans la production mondiale les livres qui pourraient correspondre à leurs programmes - et cartonner, de préférence. "Mon scout" par-ci, "ma scoute" par là...

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Il n'est pas une maison d'édition française qui n'ait le sien, ou plutôt la sienne, essentiellement aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, pays pionniers où le "scouting" est pratiqué de longue date. Par la très influente Maria Campbell, par exemple, qui a monté son agence en 1982 à New York, et oeuvre notamment pour le groupe Hachette ; ou par Koukla MacLehose, tête chercheuse de Gallimard à Londres depuis vingt-cinq ans - Le Dieu des petits riens, d'Arundhati Roy, ou encore Testament à l'anglaise, de Jonathan Coe, c'est elle.

Même Albin Michel, qui s'en est longtemps passé, vient de s'adjoindre les services d'un scout outre-Atlantique. "Le marché a complètement changé, tout s'est accéléré, confie Anne Michel, directrice du département étranger. Les scouts ont pris une importance considérable et créent des liens spécifiques entre éditeurs."

En France, le métier a émergé voilà une vingtaine d'années, mais il est moins connu. "Nous sommes une sorte de petite société secrète et n'aimons pas trop la publicité", concède avec amusement Zéline Guéna, Franco-Américaine avenante qui vit entre Paris et Varsovie, et travaille pour le monde entier - Allemagne, Espagne, Pays-Bas, Pologne, Japon, etc. Tout comme cette polyglotte souvent entre deux avions, elles sont une quinzaine à défricher le marché français. A la grande satisfaction d'Heidi Warneke, responsable des droits étrangers de Grasset, pour qui elles "permettent de gagner du temps".

Et de se réjouir que le beau récit de Marceline Loridan-Ivens, Et tu n'es pas revenu, ait tout de suite trouvé preneur en Italie, grâce à la scoute Tina Hegeman. Pour la plupart indépendantes, binationales, très au fait des particularismes culturels d'ici et d'ailleurs, ces scoutes perçoivent un forfait (mensuel, voire trimestriel) d'éditeurs ou de groupes étrangers, un seul par pays. Et ce, contrairement aux agents qui touchent un pourcentage sur les ventes de droits. La confusion est fréquente.

"Un travail assez ingrat"

"L'agent vend un auteur, le scout vend un livre", insiste Béatrix Foisil-Penther, brune gracile de 45 ans. "Nous gardons notre liberté de jugement, quitte à dissuader un éditeur d'acheter un titre qui ne nous paraît pas coller à son catalogue, ou au contraire à lui en proposer un qui ne nous plaît pas forcément, mais s'inscrit dans sa ligne éditoriale", ajoute cette diplômée de Langues O et d'une école de journalisme. Lectrice pour Robert Laffont et Christian Bourgois puis stagiaire chez un agent new-yorkais, elle s'est mise à son compte en 1998 et officie pour trois éditeurs allemands d'un même groupe, du plus littéraire au plus commercial. "Nous devons opérer un tri rigoureux. C'est un travail assez ingrat car, d'un côté, il ne faut pas surcharger notre client ; et, de l'autre, ne pas passer à côté d'un futur succès."

Lourde responsabilité, d'autant que la concurrence est de plus en plus acharnée, tous les scouts recevant simultanément les mêmes textes. C'est à celle ou à celui qui dégainera le plus vite une proposition d'achat et de droits de traduction. Ainsi de La petite communiste qui ne souriait jamais (Actes Sud), de Lola Lafon, pour lequel Sabine Fontaine a fait tout de suite un pre-empt, c'est-à-dire une offre (en l'occurrence de 100 000 euros) valable pendant vingtquatre heures. Et l'a emporté pour l'Allemagne, à la barbe de ses concurrentes, dont Béatrix Foisil-Penther. Laquelle a eu plus de chance avec Pas pleurer, de Lydie Salvayre (Seuil), acheté par Karl Blessing Verlag avant le Goncourt.

Elle avait aussi convaincu l'éditeur de publier Lutetia, de Pierre Assouline (Gallimard), ou encore Les Derniers Jours de Stefan Zweig, de Laurent Seksik (Flammarion). Et regrette aujourd'hui son attentisme à propos du nouveau roman de Lionel Duroy, Echapper (Julliard).

Les qualités d'un(e) scout(e) ? "La curiosité, la réactivité, être informé avant tout le monde, voir des gens, avoir toujours l'oeil vif, lire beaucoup, vite, et de tout, les premiers romans comme ceux d'écrivains plus établis", estime Zéline Guéna. Et suivre un auteur, coûte que coûte, malgré les déceptions. Comptes rendus rapides, rapports de lecture détaillés, e-mails réguliers, échanges téléphoniques constituent le b.a.-ba de leur quotidien. Il est loin le temps où les scouts envoyaient un coursier chercher le manuscrit qui promettait, le photocopiaient avant de renvoyer l'original à l'agent. "Si on y croyait, il fallait refaire des photocopies pour chacun de nos éditeurs, les expédier en DHL Express après leur en avoir adressé un rapport par fax !" se souvient Koukla MacLehose.

En moyenne, un seul livre retenu sur une centaine recommandés

"Notre priorité est de repérer un livre très en amont, même sous forme de projet, de manuscrit non finalisé, signale dans un français parfait Cristina De Stefano, auteur d'une récente biographie d'Oriana Fallaci chez Albin Michel. Pointure du milieu, cette énergique Italienne de 47 ans, qui réside à Saint-Germain-en-Laye, jongle allègrement avec les fuseaux horaires, toujours en ligne avec un éditeur espagnol, turc, taïwanais, israélien, chinois, etc. Seize contrées en tout, une organisation à l'anglo-saxonne avec deux lectrices qui l'assistent.

Pour elle, "l'idéal est de trouver la perle rare". Ce fut le cas avec La Vérité sur l'affaire Harry Quebert, de Joël Dicker : "J'ai été intriguée de voir figurer cet inconnu dans la sélection du Goncourt, en 2012, et j'ai aussitôt demandé le livre à Bernard de Fallois." Bonne pioche : Cristina l'a dévoré en une nuit - "Ça m'arrive rarement" - et l'a fait acquérir fissa par Alfaguara, pour les pays de langue espagnole, ainsi que par son client du Portugal et celui de Taïwan. Bien vu: près de 3 millions d'exemplaires vendus dans le monde, 45 traductions. "Les scouts font le buzz", dit-elle. "Il y a un effet boule de neige : dès qu'un ouvrage suscite l'intérêt, tout le monde le veut", renchérit Béatrix Foisil-Penther.

Cas exemplaire, L'Extraordinaire Voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea, premier roman du jeune Romain Puértolas (Le Dilettante) : bon potentiel, répondant aux attentes du moment, mobilisation générale, des enchères stratosphériques - un chèque de 300000 euros pour l'emporter en Allemagne. Et, in fine, une trentaine de traductions. Du jamais-vu pour un débutant !

L'Allemande Hella Faust, 47 ans, mariée à un Français, peut s'enorgueillir d'avoir convaincu son client italien, Einaudi, de miser sur ce Fakir. Tout comme sur La femme au carnet rouge d'Antoine Laurain, qui a rencontré un joli succès dans la Péninsule. Elle a réussi également à "placer" en Autriche le roman de Jean-Philippe Blondel, 06h41. Et intercédé pour faire connaître Fred Vargas au Portugal.

"Quand un livre que j'ai défendu devient un best-seller, je ne touche pas le moindre pourcentage... Ce métier est vraiment un sacerdoce, passionnant mais parfois éprouvant car ce n'est jamais terminé, on ne peut objectivement pas lire tout ce qui sort ." D'autant plus qu'en moyenne un seul ouvrage est retenu sur une centaine recommandés. D'où la nécessité de compter un bon nombre de clients pour s'en sortir financièrement.

Les pays du Nord aiment les histoires tristes, pas ceux du Sud

"Avec le temps, on finit par connaître les goûts des éditeurs, les spécificités de chaque lectorat, reconnaît Cristina De Stefano. Par exemple, un livre sur Coco Chanel intéressera tout de suite les Asiatiques, moins les Espagnols." Une scoute, qui préfère garder l'anonymat, résume : "Les pays du Nord aiment les histoires tristes, ceux de l'hémisphère Sud les préfèrent glamour ; les riches aiment les histoires de pauvres, les pauvres les histoires de riches." Mais un succès franco-français n'est pas assuré de franchir les frontières, comme en témoigne le flop de La Bicyclette bleue, de Régine Deforges, en Allemagne. Et c'est seulement après plusieurs livres que Guillaume Musso est en train de s'y imposer.

Reste que, en grande partie grâce aux scouts, les Français demeurent les deuxièmes vendeurs de livres au monde, certes loin derrière les Anglo-Saxons. "La France est considérée comme le pays de la culture, rappelle Cristina De Stefano. Tout le monde connaît Houellebecq, même au fin fond de la Corée du Sud. Il n'y a pas d'auteur équivalent en Allemagne, ni en Espagne." Ces vigies de la production hexagonale n'ont pas fini de se tenir aux aguets...

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