Marie Rose Moro, pédopsychiatre, dirige la Maison de Solenn, maison des adolescents de l’hôpital Cochin. Elle a coordonné, entre autres ouvrages, le numéro de la revue L’Autre sur « Les enfants et la guerre » (n° 62, 2020). Alors que le conflit en Ukraine rencontre un fort écho auprès des plus jeunes, « parler est essentiel », souligne-t-elle à l’adresse des parents, mais en veillant à s’adapter à l’âge des enfants.
Nous avons tous le sentiment de passer d’une crise à l’autre, voire de cumuler les crises – crise sanitaire, crise terroriste, crise climatique, et maintenant crise géopolitique. Cela joue-t-il aussi sur l’état psychologique des plus jeunes ?
Oui, cela joue, nécessairement. Gardons en tête qu’historiquement la pédopsychiatrie s’est imposée avec la seconde guerre mondiale, lorsque nous avons pris conscience des effets des guerres sur les enfants. Longtemps, nous les avons sous-estimés. Nous pensions les enfants plus à l’abri, moins concernés. Or les plus jeunes sont bien les premières victimes des conflits.
Avec l’Ukraine, le facteur de proximité doit absolument être pris en compte ; il aggrave l’effet violent ressenti par les enfants. D’autant que cette guerre intervient dans le sillage d’une crise sanitaire qui a accru les situations d’angoisse. Le phénomène est documenté partout dans le monde : non seulement le Covid-19 a fait s’envoler les situations d’urgence psychologique et psychiatrique mais il a, dans le même temps, fragilisé les institutions en rendant plus difficile l’accès aux soins. Ce cumul a de fortes conséquences sur les jeunes générations.
Faut-il parler de la guerre à tout âge ? Attendre que nos enfants posent des questions ou, au contraire, les devancer ?
Parler est essentiel. En s’adaptant à l’âge de l’enfant, et en choisissant un moment où l’on est, soi-même, pas trop inquiet pour mettre des mots sur les événements et les émotions.
Avant 3 ans, on ne va pas attendre que des questions soient posées – elles ne le seront pas. Mais si l’on sent son enfant inquiet, si l’on voit par exemple qu’il change de comportement, on peut nommer les choses, la « guerre ». Cela peut aider. Entre 3 et 6 ans, face à des petits qui auront entendu parler du conflit mais éprouveront des difficultés à se le représenter, il faudra chercher à comprendre ce qu’ils ont en tête. Faire preuve de justesse et d’authenticité. Apporter des réponses sans pousser l’échange trop loin.
Après 6 ans, je crois, en revanche, qu’il ne faut pas hésiter à organiser des petits temps de discussion, par exemple à partir d’une carte simplifiée, en nommant les pays. Inutile de dire aux enfants que cette guerre ne les touche pas, qu’elle est trop loin. Rassurer l’enfant, c’est prendre au sérieux ses inquiétudes, ne pas les évacuer.
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