Quand il parle de son travail, Cédric Brochier a parfois des airs d’ingénieur futuriste : photobioréacteur nouvelle génération pour la culture de microalgues, fibres optiques et lumière bleue pour le traitement des maladies infantiles, photocatalyseur pour la production d’hydrogène… Pourtant, ce Lyonnais de 60 ans est bien un fabricant de soieries, qui plus est profondément attaché à la tradition. Ses ateliers, nichés au pied de la Croix-Rousse – quartier des canuts au XIXe siècle – pratiquent encore l’impression « au cadre » sur de délicats tissus ; et le bureau sur lequel il travaille et créé chaque jour est une longue table d’impression à la planche, utilisée à l’époque de son grand-père. C’est ainsi, « un pied dans le passé, l’autre dans le futur », que le dirigeant du groupe Brochier Soieries, semble trouver l’équilibre.

L’adaptation comme marque de fabrique

Voilà près d’une trentaine d’années qu’il tient les rênes de cette maison, créée par son arrière-grand-père en 1890 et devenue une institution lyonnaise : reconnue pour la qualité de ses pièces, elle parvient à traverser les décennies grâce à une remarquable capacité d’adaptation « qui continue, aujourd’hui, de guider mon travail », confie-t-il. Celle de son « emblématique » grand-père Joseph qui, alors qu’il peine à s’approvisionner au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, décide de s’intéresser aux fibres de verre pour fabriquer les premiers tissus ignifugés et capter les marchés naval puis aéronautique. Celle de son père Jacques qui, par soif de créativité ou besoin de nouveauté, saisit toutes les opportunités pour collaborer avec le monde de la haute couture, dont Saint-Laurent, Givenchy ou encore Mugler. Les Brochier tisseront ainsi la robe de mariée d’Elizabeth II comme le nez du Mirage 2000.

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Les premiers pas de Cédric se font, eux, dans le cadre d’un boulot d’été, à l’usine de Villeurbanne, alors qu’elle vient d’être reprise par son oncle au milieu des années 1970. Le contact avec le métier l’intéresse, « mais je retenais surtout la pénibilité du travail », plaisante-t-il. Lui qui cultive surtout une passion pour l’histoire de l’art, transmise par son grand-père collectionneur, préfère s’inscrire à l’université de la Sorbonne avant d’intégrer l’école du Louvre, où sa curiosité sans borne est en partie satisfaite.

Le jeune homme, qui a d’abord refusé de reprendre l’affaire familiale, ne tarde pas à revenir à Lyon : il pilote un projet au nom de la maison pour le festival Berlioz et finit par monter sa propre boîte de mécénat artistique : « Cela me plaisait et cela fonctionnait, mais l’incroyable univers de la soie a fini par me happer ! »

Ouvrir le champ des possibles

Alors que son père partait progressivement à la retraite, Cédric Brochier prit la charge des activités artistiques, notamment la reproduction d’œuvre sur carré de soie, initiée en 1953 avec le Makemono multicolore de Miró pour la galerie Maeght. Il garde d’ailleurs un souvenir ému de son premier foulard, « un Braque, celui avec les colombes ! » Ce travail, qui se poursuit avec les descendants des créateurs et la collaboration avec des artistes contemporains comme Jeff Koons, Robert Combas, Yoko Ono, ou pour les musées et galeries du monde entier, forme désormais l’activité principale de ses ateliers rhônalpins. La soie chinoise, en fil ou en tissu préparé, y est tissée et imprimée via des techniques traditionnelles ou de nouvelles machines numériques.

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« L’entreprise étant liée au tourisme, elle a souffert des années Covid, mais je crois qu’on en est enfin sortis ! », glisse cet héritier peu conventionnel. Pour lui, la soie est un métier d’êtres « discrets, mais curieux, ouverts et voyageurs », ce qui permet de chercher la solution « partout » quel que soit l’obstacle rencontré.

La soie, textile technologique

En 1999, Cédric Brochier parvient à développer, sur un métier Jacquard, un tissu en fibre optique pour que son ami Olivier Lapidus puisse créer une robe de mariée lumineuse. Le défilé donne des frissons au public et suscite la curiosité des plus grandes entreprises : le groupe est approché par des fabricants automobiles et aéronautiques pour imaginer de nouvelles ambiances lumineuses.

Le dirigeant s’entoure d’ingénieurs, de docteurs, de chercheurs et crée, en 2007, l’entité Brochier Technologies, consacrée au développement de tissus « intelligents », lumineux ou connectés. Elle donnera naissance à de nombreux brevets, à la marque Lightex ou encore à l’entreprise NéoMedLight, spécialisée dans le secteur médical.

Symbole de ce vaste champ des possibles, la création de Bilicocoon, une gigoteuse permettant de faciliter le traitement anti-jaunisse des nouveau-nés grâce à la diffusion dans le tissu de lumière bleue, est une de ses grandes fiertés.

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Son inspiration - La curiosité et la transmission

« Notre boutique, installée dans l’édifice historique de l’Hôtel-Dieu, à Lyon, s’apprête à devenir le musée des soieries Brochier. Elle ouvrira au mois d’avril, un projet qui me tient à cœur. J’ai hérité de quelque chose de magique et j’ai le devoir de le faire découvrir pour que jamais ça ne s’arrête, comme le souhaitait mon père ! D’autre part, si l’on a pu faire perdurer le métier, c’est aussi parce qu’il s’est progressivement nourri des enseignements de multiples voyages, rencontres, découvertes. On a donné aux autres et on a reçu des autres : c’est la force de la curiosité, et surtout de la transmission ! L’important est de ne rien forcer : je me suis moi-même longtemps orienté vers une autre voie avant de retrouver celle de la soie, et si aucun de mes cinq enfants ne souhaite reprendre l’affaire, pour le moment, je ne suis pas inquiet. »