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Le jeu vidéo en France : une industrie et une pratique en progression continue

Temps de lecture  13 minutes

Par : La Rédaction

Le jeu vidéo est devenu en quelques décennies un des loisirs les plus populaires au monde. Entre développeurs et distributeurs, la France dispose de forces indéniables sur le marché mondial. Joueurs occasionnels ou passionnés, les Français s'adonnent à ce loisir désormais incontournable.

À la fois industrie, culture et divertissement, le jeu vidéo est, depuis 2006, reconnu comme le 10e art par le ministère de la culture. Développeurs indépendants, multinationales, joueurs professionnels de e-sport… une diversité française a émergé en quelques décennies et s'exprime au niveau mondial.

Industrie et divertissement : structure d'une culture numérique

Une industrie culturelle dynamique

En 2020, l'industrie du jeu vidéo représente en France un chiffre d'affaires marchand de 3,5 milliards d'euros selon les données publiées par le ministère de la culture. Le jeu vidéo a été le seul secteur culturel à croître durant la crise sanitaire (+21% en 2020). Si les pratiques vidéoludiques sont adaptées au contexte de confinement, ces chiffres ne font que mettre en valeur un phénomène culturel et industriel plus ancien. Entre 2015 et 2018, le secteur a crû de 11% par an selon une étude de la direction générale des entreprises (DGE).

Les chiffres clés 2022 du ministère de la culture confirment la tendance. Le chiffre d'affaires (CA) du secteur du jeu vidéo excède, en 2021, de 12% la valeur du CA de 2019 (41% au quatrième trimestre).

Toutefois, ces chiffres ne prennent pas en compte la distribution numérique, devenue majoritaire. D'après le bilan du marché 2020 du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL), le CA du secteur dans son ensemble représente 5,3 milliards d'euros en 2020 (+11,3% par rapport à 2019). Ce CA progresse de 1,6% en 2021 (5,6 milliards d'euros) et baisse légèrement en 2022 (5,5 milliards d'euros).

À titre de comparaison, le chiffre d'affaires en 2020 du secteur du cinéma en France est de 3,2 milliards d'euros (-33%) selon le bilan 2020 du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). D'après une étude de l'Insee sur l'édition de logiciels, en 2020 le chiffre d'affaires dans l'édition de jeux électroniques a connu deux pics en mars (+50,9% par rapport à janvier) et en décembre (+60,3%), soit au moment des confinements (mais aussi de Noël pour le second).

Selon le baromètre 2021 du jeu vidéo en France du Syndicat national du jeu vidéo (SNJV), en 2021, près de 1 350 jeux étaient en cours de production et 750 jeux ont été commercialisés en France. Cette tendance n'est pas nouvelle, puisque les studios (développement de jeux) et les éditeurs (diffusion et promotion) français ont une grande importance dans l'histoire du jeu vidéo.

Studios et éditeurs français

Dès les années 1980, studios et éditeurs français sont reconnus pour leur savoir-faire : Delphine Software, Microïds, Infogrames, Lankhor, Loriciel, Silmarils, etc. Souvent ces entreprises commencent par l'édition, pour se lancer ultérieurement dans le développement. Ubisoft, une entreprise familiale d'abord impliquée dans la distribution de jeux, croît jusqu'à devenir une multinationale qui dispose de studios implantés partout dans le monde en 2023.

En 2018, selon l'étude de la DGE, la filière française du jeu vidéo compte 958 acteurs économiques, dont 496 studios et 53 éditeurs.

Signe que la crise sanitaire n'a pas eu d'impact sur la vitalité du secteur, le SNJV estime dans son baromètre 2021 qu'il y a près de 700 studios de développement en France sur 1 200 entreprises de jeu vidéo. Les activités de production y sont majoritaires.

Les plus gros éditeurs internationaux font régulièrement appel à des studios français afin de développer leurs jeux (Asobo Studio, Quantic Dream, Arkane Studio, etc.).

In the game… de la disquette au musée

Maupiti Island (1990), Another World (1991), Alone in the Dark (1992), Rayman (1995), The Nomad Soul (1999), Beyond Good & Evil (2003), Dishonored (2012), Life is Strange (2015), Dead Cells (2017), A Plague Tale: Innocence (2019), Microsoft Flight Simulator (2020)… Comme ces titres ne l'indiquent pas, tous ces jeux sont français et connus des joueurs du monde entier. La plupart ont marqué l'histoire du jeu vidéo, tant pour leurs qualités artistiques que pour leurs innovations technologiques. Quelques exemples…

Dans Another World, Éric Chahi utilise des polygones vectoriels afin de créer des cinématiques en 2D. Les animations sont faites en rotoscopie. Le jeu, programmé dans un langage maison entre le basic et l'assembleur, est remarqué pour ses innovations tant techniques que narratives. Another World est entré en 2012 au Museum of Modern Art (MoMA) de New York.

The Nomad Soul, du studio français Quantic Dream, propose un des premiers mondes ouverts en 3D à être abouti et vivant. Il marque l'histoire du jeu vidéo en établissant des passerelles avec d'autres formes d'art : le chanteur David Bowie compose les musiques, prête sa voix à des personnages et participe à des animations.

Pour Microsoft Flight Simulator, l'un des GAFAM a demandé à Asobo Studio de développer un monde ouvert à l'échelle de la planète. L'entreprise bordelaise a été choisie pour son expertise technique : "Il fallait des outils, des technologies et la capacité de les faire évoluer pour streamer un monde aussi grand."

Loisir et emplois : joueurs et métiers en France

Le jeu vidéo s'est largement diffusé en quelques décennies, via la notoriété de certains titres entrés dans la culture populaire (Pac-Man, Space Invaders, Mario Bros., Tetris, GTA V, Minecraft, Animal Crossing, etc.), mais aussi grâce à la démocratisation de certains équipements comme les téléphones portables ou les ordinateurs.

Profil des joueurs français

Selon une étude de l'Insee de février 2021, le taux d'équipement des ménages français en ordinateurs (portables, fixes ou tablettes) a doublé en 15 ans. En 2019, 96% des ménages possèdent un téléphone portable et 83% un ordinateur.

Le taux d'équipement en matériel informatique qui, contrairement aux consoles, n'est pas exclusivement ou initialement destiné au jeu vidéo contribue à expliquer l'engouement. Le fait que les jeux gratuits (free to play), avec des achats dans le jeu, soient un modèle économique très présent sur l'écosystème mobile explique aussi le développement de la pratique.

D'après l’enquête Pratiques culturelles des Français du ministère de la culture, 53% des Français âgés de plus de 15 ans ont joué aux jeux vidéo en 2020, contre 19% en 1997. L'effet des confinements ne suffit pas à expliquer ces chiffres, puisqu'ils étaient 36% en 2008 et 44% en 2018. Il y a donc une progression continue qui exprime une tendance de fond.

En 2020, 74% des femmes et 93% des hommes nés entre 1985 et 2004 ont joué au jeux vidéo au cours de l'année. Un enfant sur deux et un adulte sur trois jouent quotidiennement. Près de 20% des Français jouent plusieurs fois par jour. On compte 19% de retraités parmi les joueurs français.

Formation et emploi : la filière française du jeu vidéo

D'après l'étude de la DGE, avec 133 organismes recensés, la formation française est reconnue au niveau international. Une seule école publique, l'École nationale du jeu et des médias interactifs numériques (CNAM-Enjmin), propose des formations (licence, master, diplôme d'ingénieur) à l'ensemble des métiers. Le SNJV publie régulièrement un référentiel des métiers du jeu vidéo.

Le système de formation français reste perfectible. Il se concentre sur la formation post-bac, quand d'autres pays (Suède, Finlande, Canada…) proposent des formations dès le plus jeune âge ou disposent d'un plus grand nombre de formations publiques (63 écoles en Allemagne).

Selon l'étude de la DGE, la filière du jeu vidéo emploie en France près de 11 900 personnes en 2018 (dont 5 000 emplois liés à la production et 3 200 emplois chez les éditeurs). Le nombre d'emplois connaît à cette date et depuis 2010 un rythme annuel de croissance de 9% par an.

En 2018, les emplois recensés dans les studios étaient :

  • des contrats à durée indéterminée (CDI) à 65% ;
  • des contrats à durée déterminée (CDD) à 27%.

Selon les estimations du SNJV dans son baromètre 2021, l'effectif des studios de développement est composé de 22% de femmes en 2021 (contre 19% en 2020), pour seulement 11% de femmes dans les directions des entreprises. Fin 2020, entre 580 et 800 nouveaux emplois ont été créés.

Compétition et professionnalisation : l'e-sport en France

L'e-sport, ou sport électronique, désigne une compétition de jeu vidéo, seul ou en équipe. Depuis quelques années les joueurs se professionnalisent partout dans le monde.

Selon la DGE, avec un chiffre d'affaires de près de 50 millions d'euros en 2019, l'e-sport représente en France près de 650 professionnels, dont 189 joueurs répartis en 15 équipes professionnelles.

La loi du du 7 octobre 2016 pour une République numérique crée un contrat de travail de joueur professionnel de jeu vidéo. C'est un CDD :

  • d'une durée comprise entre un an minimum et cinq ans maximum (sauf en cas de remplacement d'un joueur ou lorsque la fin de saison est l'échéance) ;
  • obligatoire pour les sociétés ayant reçu un agrément du ministère chargé du numérique ;
  • qui ne comporte pas d'indemnité de précarité obligatoire ni nécessairement de terme précis.

Avec 1,3 millions d'amateurs pratiquants, l'e-sport attire de plus en plus de spectateurs : 5 millions en 2018, plus de 7 millions en 2019.

Compétition et reconnaissance

La Team Vitality, une des équipes d'e-sport françaises les plus connues, a remporté le 21 mai 2023 la finale d'une compétition internationale, le Major 2023 de Counter-Strike: Global Offensive.

L'événement, qui se tenait à Paris, a vu la visite de deux membres du gouvernement : Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports, et Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications.

Ces visites confirment une volonté politique de faire de la France une grande nation de l'e-sport.

Financement et subventions : les pouvoirs publics dans le jeu

D'après l'étude de la DGE, le besoin d'un financement initial est crucial dans l'élaboration d'un projet qui ne sera rentabilisé que quelques années après son lancement. Les studios ont recours au financement privé et public.

    Le financement privé

    Selon la DGE, 90% des studios ont recours à un financement externe dans le cadre de leurs projets, pouvant provenir de différentes sources :

    • éditeurs ;
    • fonds d'investissement ;
    • établissements de crédit ;
    • financement participatif (via des plateformes internet).

    Seuls 10% des studios autofinancent totalement leurs jeux.

    Les acteurs français du jeu vidéo ont majoritairement recours à des investisseurs étrangers. La DGE explique cette faible participation française par une différence de taille et de capacité entre les fonds d'investissement français et étrangers. Cela pose des questions de propriété intellectuelle et de soft power.

    Malgré un fort potentiel économique, le financement du secteur par les établissements de crédit français est peu développé. Cela peut s'expliquer par la difficulté d'appréhender le marché et le recours historique aux éditeurs.

    Salons de jeux vidéo, conférences, influenceurs

    Le salon européen du jeu vidéo, la Gamescom, se tient du 23 au 27 août 2023 à Cologne, en Allemagne. Près de 36 entreprises françaises sont présentes afin de présenter le savoir-faire et le paysage vidéo-ludique français.

    Toutefois, les salons de jeux vidéo n'ont plus le poids qu'ils ont pu avoir autrefois. L'édition 2023 de l'Electronic Entertainement Expo, salon de Los Angeles plus connu sous le nom de E3, est annulée une nouvelle fois après celles de 2020 et de 2022 et une édition en ligne en 2021.

    De nombreux éditeurs organisent leurs propres conférences afin de présenter leurs jeux (Ubisoft Forward, par exemple).

    Enfin, les éditeurs préfèrent désormais s'appuyer sur les influenceurs jeux vidéo, souvent suivis par des millions d'abonnés sur les réseaux sociaux. 

    Le financement public

    Le jeu vidéo dispose en France d'une cotutelle des ministères chargés de l'industrie et de la culture. Il existe des dispositifs de financement public spécifiques au secteur du jeu vidéo :

    D'autres dispositifs ne sont pas exclusifs au secteur du jeu vidéo et concernent :

    D'après l'étude de la DGE, le FAJV (enveloppe annuelle de 4 millions d'euros) et surtout le CIJV (53 millions d'euros en 2019) sont les aides publiques les plus sollicitées.

    Le financement public est au cœur de la concurrence internationale. Selon la DGE, les crédits d'impôt chez les principaux concurrents de la France (Royaume-Uni, Canada, États-Unis) sont nettement moins sélectifs. La Finlande est à la tête du modèle "free to play" sur mobile grâce à un fonds public performant et l'agence Business Finland. L'Allemagne a mis en place un fonds public doté d'un budget de 250 millions d'euros pour la période 2019-2023.

    La stratégie nationale pour l'e-sport

    Afin de faire de la France le leader européen de l'e-sport à l'horizon 2025, les pouvoirs publics ont mis en place une stratégie e-sport 2020-2025 qui repose sur quatre axes :

    • promouvoir le développement d'une pratique e-sportive responsable et socialement valorisée ;
    • accompagner la création d'un parcours de formation, avec une attention portée au haut niveau ;
    • mettre en place une politique de soutien aux acteurs français de l'e-sport ;
    • mettre en valeur l'attractivité de la France auprès des acteurs de la filière et des investisseurs.

    Les principales actions de cette stratégie consistent à mettre en place dès 2020 des parcours de formation adaptés à la haute performance et des solutions d'accompagnement et de financement.