Devant l’entrée close du bâtiment, Jordan et Ilyes – les prénoms ont été modifiés – concèdent à demi-mot leur acte manqué de cette fin d’après-midi. Les deux amis âgés de 19 et 20 ans sont arrivés à peine cinq minutes après la fermeture de la mission locale de Paris, dont ils s’étaient pourtant décidés à pousser la porte, « juste pour voir », éludent-ils.
Mais ils sourient, un brin gênés, lorsqu’on leur parle de cet article sur les jeunes qui ne recourent pas aux aides auxquelles ils ont droit. Presque 25 % d’entre eux en 2021, selon une nouvelle étude publiée en janvier par l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep).
Ilyes, étudiant en BTS, explique être justement passé à côté de la « caution solidaire » à laquelle il aurait pu prétendre en 2020 pour le petit studio qu’il loue dans le nord de la capitale. « Je ne savais pas que j’y avais droit. C’est un prof qui m’en a parlé, bien après », raconte le jeune homme, qui en aurait pourtant « bien eu besoin ».
Quant à Jordan, sans formation ni emploi stable depuis son bac pro en poche il y a deux ans, on découvre au fil de la conversation qu’il n’a eu vent que très récemment par une connaissance, et de toute évidence assez vaguement, de la Garantie jeunes qui aurait « peut-être » pu l’aider plus tôt… Le dispositif, lancé en 2017 et transformé en Contrat d’engagement jeune (CEJ) depuis ce 1er mars, a pour ambition de proposer, en 2022, à près de 400 000 jeunes de 16-25 ans sans emploi ni formation une allocation (allant jusqu’à 500 euros), en échange d’un engagement dans un parcours d’accompagnement et de formation individualisé. Mais pour atteindre cet objectif, il faudra « aller chercher » ceux qui ne poussent pas spontanément les portes des missions locales ou des agences Pôle emploi, a rappelé le premier ministre Jean Castex, le 1er mars. Car, en raison du « non-recours », « le “droit” à la Garantie jeunes n’est aujourd’hui pas effectif », comme le disait déjà, en 2021, un rapport du Conseil d’orientation des politiques de jeunesse.
Des conséquences parfois lourdes
Certes le « non-recours » à l’aide sociale en France n’est pas spécifique à la jeunesse : la Cour des comptes pointait récemment les « 30 % » de potentiels bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) qui n’en faisaient pas la demande.
Mais la jeunesse est une zone sensible, car « la précarité et les changements réguliers de statut, de lieu de vie ou de formation démultiplient les démarches administratives, et mécaniquement, le risque de non-recours et ainsi de surprécarisation », observe Benjamin Vial, chercheur en sciences sociales à l’Observatoire des non-recours aux droits et services. En effet, passer à côté d’une aide n’est pas sans conséquence : faute de caution solidaire, Ilyes raconte par exemple avoir « mis plusieurs semaines à réunir, non sans difficulté, la somme demandée », en travaillant à côté de ses études, et avoir dû « [se] restreindre » en conséquence « sur la nourriture et la vie étudiante » pendant plusieurs mois.
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