Publicité
Tribune

« À HEC, l'entrepreneuriat n'est une priorité que sur les brochures »

TRIBUNE // De nombreux entrepreneurs à succès sont passés par HEC. Théo Lion, jeune diplômé de la première école de commerce française, et à la tête de Coudac, une agence de pub spécialisée sur les réseaux sociaux, est sorti amer de son master X-HEC entrepreneur. Le « tampon » de l'école est toujours utile, mais l'école ne fait pas assez pour accompagner les entrepreneurs en herbe vers la réussite, estime-t-il.

On travaille sur des cas de « vraies » start-up, mais il manque un élément pour que le cocktail soit réussi : la réalité
On travaille sur des cas de « vraies » start-up, mais il manque un élément pour que le cocktail soit réussi : la réalité (Getty Images/Westend61)
Publié le 15 mars 2022 à 07:01Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:19

23% des licornes françaises sont made in HEC Paris : 6 sur 26 (Mirakl, Aircall, Ankorstore, Qonto et Ivalua), se targuait l'école sur son site en début d'année. Et d'ajouter, qu'en 2021, dans le monde, plus de 2,4 milliards d'euros ont été levés par les start-up de l'écosystème HEC. Un record pour les entreprises « issues du programme » dont les exemples sont égrenés sur la page du MS Entrepreneurs. Fraîchement admis en 2016 dans la prestigieuse école, je m'attendais à découvrir le secret de la réussite de toutes ces boîtes. Après tout, si les plus grands entrepreneurs français sortent d'HEC, c'est parce que la formation est la meilleure, non ? Cinq ans plus tard, j'obtiens enfin mon diplôme et souffle dans la foulée ma 24ᵉ bougie à la tête d'une boîte autofinancée qui emploie 35 personnes. Pourtant en 2021, je quitte l'école déçu et frustré, avec cette impression d'avoir dû tout apprendre tout seul.

Le cursus académique d'HEC s'adresse clairement à des étudiants qu'on destine à des gros postes en conseil en stratégie ou en banque, ceux qui font « gonfler les stats » de salaires à la sortie. Les cours de stratégie, comptabilité et droit sont en fait des leçons de stratégie de grande entreprise, comptabilité de grande entreprise et droit de grande entreprise. L'entrepreneuriat n'est une priorité que sur les brochures.

La réussite entrepreneuriale n'est pas un critère de réussite

Publicité

Pourtant, la perspective du master X-HEC entrepreneur m'avait permis de garder espoir durant les deux premières années. Alors, effectivement on travaille sur des cas de « vraies » start-up, mais il manque un élément pour que le cocktail soit réussi : la réalité. On discute, on accompagne, on conseille, on pitche mais on ne construit pas. La plupart des projets montés par les étudiants ne font pas de chiffre d'affaires, probablement car la réussite entrepreneuriale n'est pas un critère important pour l'obtention du master.

Ce qui compte vraiment ? Le mémoire et les notes aux présentations de groupe. Pire, les impératifs du master, qui comprend 450 heures d'enseignement et une mission en entreprise d'au moins 4 mois, sont difficilement conciliables avec un vrai projet entrepreneurial, et l'on vit avec la peur d'être exclu du master si on se met en situation de développer sérieusement notre entreprise. Cela m'a conduit personnellement au burn-out. J'ai dû être arrêté trois semaines en décembre 2020, beaucoup de sommeil et de larmes. J'ai failli tout mettre en pause et arrêter HEC.

Pour apprendre à faire, il faut faire et le plus tôt possible

Ce qu'il faut savoir, c'est que les licornes HEC ont été montées par des entrepreneurs après 5 à 10 ans d'expérience en entreprise. Et c'est tant mieux pour l'école. Le gros salaire de sortie pour les stats et plus tard la mention HEC sur la start-up pour le prestige : le deal est gagnant. Le diplôme a une valeur tampon. Il permet de lever des fonds, d'accéder au réseau d'alumni et de découvrir le sens de l'ambition (monter une boîte qui réussit à HEC, c'est créer une licorne, pas une PME). Il y a aussi des intervenants incroyables quoique souvent trop distants. Mais apprendre à entreprendre : non.

Un premier pas vers la résolution de ce problème serait de mesurer, considérer comme priorité la proportion d'étudiants qui montent des entreprises à succès en sortie d'école. L'école dit que 75% des diplômés ont créé leur entreprise mais combien de temps vivent ces entreprises en moyenne et quel succès rencontrent-elles (nombre d'emplois créés, fonds levés, impact positif sur la société ou la planète…). Il est difficile pour une école de s'attribuer le succès d'un entrepreneur qui s'est lancé 10 ans après l'obtention de son diplôme.

Certaines institutions tomberont de haut et découvriront que « l'expérience est une lanterne qui n'éclaire que celui qui la porte », comme le disait l'écrivain Céline. Ils réaliseront que pour apprendre à faire, il faut faire. Pour que leurs étudiants montent des boîtes à succès, il faut les y pousser le plus tôt possible. Dès l'enseignement du programme grande école. Pas avec des cours théoriques, mais des impératifs de résultats. Des impératifs de clients, d'utilisateurs, de chiffres d'affaires.

Théo Lion, fondateur de Coudac

Publicité