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Interview

Jean-Claude Richez: «Dès le départ, l’éducation populaire était un mouvement hétéroclite»

Depuis leur naissance, les mouvements d’éducation populaire ont alterné périodes de grande expansion et décennies de reflux. L’historien Jean-Claude Richez revient pour Libé sur deux siècles mouvementés.
par Benjamin Leclercq
publié le 17 mars 2022 à 23h48

Forum Live

Du 17 au 19 mars 2022, auront lieu à Poitiers les premières Rencontres nationales de l’éducation populaire. Une réponse politique, sociale et culturelle aux enjeux de demain. «Libération» partenaire de l’événement, proposera le 18 mars à 20h30 une table ronde sur le sujet. A suivre sur notre site.

Sait-on dater l’apparition de la notion d’éducation populaire ?

Une chose est sûre, elle est ancienne ! Des travaux de recherche ont montré que le terme était utilisé dès la fin du XVIIIe siècle. Le sens est alors légèrement différent de celui d’aujourd’hui : il désigne l’accès à l’école pour tous. On considère par exemple que, dans son discours d’avril 1792 sur l’instruction publique, prononcé devant l’Assemblée, Condorcet posait déjà les jalons de l’éducation populaire française. Le mouvement s’inscrit, au départ, dans la lignée des Lumières. Il est essentiellement animé par des élites éclairées, républicaines et démocrates, autour d’expériences spontanées d’enseignement mutuel.

A quel moment le mouvement se formalise-t-il ?

Au XIXe siècle, à l’initiative notamment du journaliste républicain Jean Macé, l’éducation populaire s’institutionnalise pour la première fois. A la fin de ce siècle, un autre mouvement fondamental voit le jour, cette fois à destination des adultes : les universités populaires, sur fond d’affaire Dreyfus, avec pour volonté d’arracher le peuple à l’antisémitisme. Notez que dès le départ, l’éducation populaire est un mouvement hétéroclite porté par trois grands courants : les cathos, les républicains et les socialistes.

La Grande Guerre va lui donner une nouvelle impulsion. Pourquoi ?

La Première Guerre mondiale laisse un grand vide : beaucoup de pères sont morts. Que faire, dès lors, des jeunes gens en dehors du temps scolaire ? Colonies de vacances, animations culturelle et sportive se développent dans les années 30. Une réalité que va venir valider le Front populaire, qui insiste sur le fait que les questions de jeunesse doivent être administrées en dehors des seules institutions de l’Etat. L’idée est alors de se poser en contre-modèle des régimes fascistes.

Le retour de la paix, en 1945, va inaugurer une nouvelle ère. Quelle sera-t-elle ?

Après la Libération, les mouvements d’éducation populaire vont connaître un véritable apogée. Ils se cristallisent au sein de grandes organisations. A partir de 1958, une politique d’Etat active va conduire à leur institutionnalisation. Les acteurs se professionnalisent et les équipements se multiplient : maisons de la jeunesse et de la culture, centres sportifs, maisons de quartiers… Signe d’un changement de paradigme, des diplômes d’Etat apparaissent (le brevet d’aptitude à l’animation socio-éducative en 1970, le Bafa en 1973).

Et pourtant, l’éducation populaire va disparaître des radars…

La professionnalisation et l’institutionnalisation du secteur ont ouvert la porte à des référentiels concurrents. On se met à parler d’insertion, d’animation, d’éducation permanente ou de politique de la ville… mais on ne fait plus référence à l’éducation populaire, jugée dépassée voire ringarde. Il faudra finalement attendre la fin des années 90 pour qu’on la nomme à nouveau.

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